trempe adj.
〈Charente (nord-est), Centre, Saône-et-Loire (est), Franche-Comté, Haute-Savoie, Savoie,
Ain, Rhône, Loire, Isère, Drôme, Hautes-Alpes, Provence (légèrement vieillissant), Languedoc, Pyrénées-Orientales, Ardèche, Auvergne, Limousin, Aquitaine〉 fam. Surtout dans tout trempe, pour exprimer le degré d’intensité supérieur de l’adjectif.
1. [En parlant d’une personne] "trempé, très mouillé ; en part., mouillé par la pluie, par la sueur". Il fait chaud, je suis tout trempe.
1. Le maire et le facteur [après avoir trop bu à une noce], qui s’en allaient ensemble,
ont trébuché dans les jambes l’un de l’autre en sautant par-dessus un fossé, et ont
passé le reste de la nuit dans l’eau, sans s’en apercevoir […]. Puis, ils ont fini
par s’endormir tous les deux, et c’est le laitier qui les a trouvés l’endemain [= le
lendemain] matin. Mais, à part qu’ils étaient tout trempes, ça se connaissait plus qu’ils avaient trop bu. (G. Lanauve, Anaïs Monribot, 1995 [1951], 260.)
2. – Poitrinaire, poitrinaire, un aussi beau garçon ! répéta le pépé. Il aura pris mal
ici. Il roulait à bicyclette du matin au soir, il courait toujours par voies et par
chemins, tout en sueur, tout trempe, buvait l’eau glacée des sources de montagne, celle qui tue ! (R. Sabatier, Les Noisettes sauvages, 1983 [1974], 38.)
3. Il y a une année où je suis allé en Normandie, mais je n’y suis pas retourné une deuxième
fois.
– Et pourquoi ? – Mon vieux, ça y était pénible là-bas. Ah ! Le bois sciait bien, c’était un plaisir pour ça. Mais c’était le chemin qu’il fallait faire soir et matin. Et puis, c’était presque le long de la mer. Ça y était tout le temps la pluie. On était tout trempesa. On était obligés d’emporter du bois pour nous sécher. (1976, J.-M. Dapzol, tém. oral, dans M. Prival, Les Migrants de travail d’Auvergne et du Limousin au XXe siècle, 1979, 70.) a L’éditeur a inséré ici un appel de note renvoyant à la remarque suivante : « En Auvergne, ont [sic] dit : “trempe”, “gonfle”… pour trempé, gonflé. »
4. Je me sentais tout trempe dans le dos, aussi vrai que je suis là à vous le raconter. (R. Aurembou, Il était une fois… le Bourbonnais, 1983, 27.)
5. – […] Sainte Vierge qu’il fait chaud ! Je suis « trempe ». (G. J. Arnaud, Les Oranges de la mer, 1990, 57.)
V. encore s.v. radée, ex. 4.
— (tout) trempe de chaud*.
2. [En parlant d’un inanimé concret] "trempé, détrempé, très mouillé". Enlève vite ton manteau, il est tout trempe (MédélicePrivas 1981).
6. On va parfois la [l’eau] chercher à pied à plusieurs kilomètres : il faut la ramener
sur le dos avec deux seaux pendus à un balancier, pour remplir les bidons de 200 litres :
« L’été, ça allait, mais l’hiver, au deuxième voyage, le pantalon était tout trempe, il fallait le changer […]. » (Témoignage dans D. Musset, « De mémoire de charbonnier », Les Alpes de lumière, n° 119, 1996, 71.)
◆◆ commentaire. Adjectif verbal de tremper ; attesté dep. 1592 chez Blaise de Monluca, et qui figure dans les recueils de cacologies dep. Sauvages 1756. Dans les parlers
dialectaux, on relève le type en Poitou-Charentes (FEW), en Auvergne et en Limousin
(FEW ; ALAL 52), à peu près partout dans le reste du Massif Central (FEW ; ALMC 32*),
en Bourgogne (FEW), dans le Jura (FEW ; ALFC 33), le Lyonnais et le Dauphiné (FEW),
dans plusieurs points provençaux (FEW ; ALP L. 14) et languedociens (FEW ; ALLOr 34),
ainsi qu’en béarnais (FEW). En français, les enquêtes 1994-96 ont révélé que plus
de 90 % des témoins interrogés connaissent le mot en Savoie, dans le Languedoc, le
Roussillon et le Midi Aquitain, de 70 à 80 % dans la région Rhône-Alpes, le Limousin,
la Marche et le Périgord, et env. 40 % dans le Berry et le Bourbonnais. Les relevés
des cacologies et des sources de régionalismes permettent de compléter les résultats
de ces enquêtes ; le mot apparaît en effet dans un très grand nombre de sources, et
ce dep. le mil. du 18e s. : Sauvages 1756 et 1785 ; Féraud 1761 ; DesgrouaisGasc 1768 ; LagueunièreSéguier
[Agde ca 1770] ; VillaGasc 1802 ; MolardLyon 1803-1810 ; RollandGap 1810 ; RollandLyon 1813 ;
SajusLescar 1821, 43 ; BéronieTulle 1823, 347 ; JBLGironde 1823, 150 ; SaugerPrLim
1825 tout trempe ; ReynierMars 1829 tout trempe ; PomierHLoire 1834, 220 ; PomierHLoire 1835, 195 ; GabrielliProv 1836 ; SievracToulouse
1836 ; ConnyBourbR 1852 ; MonnierDoubs 1859 ; MègeClermF 1861 ; GrasForez 1863 ; AvignonToulouse
1875 ; ReynierMars 1878 ; ChambonVayssier 1879 ; BeauquierDoubs 1881 ; PuitspeluLyon
1894 ; PépinGasc 1895 ; FertiaultVerdChal 1896 ; GuilleLouhans 1894-1902 ; ConstDésSav
1902 ; Mâcon 1903-1926 ; LambertBayonne 1902-1928 ; ClouzotNiort 1907-1923 ; VachetLyon
1907 ; BoillotGrCombe 1929, 291 ; BrunMars 1931 ; PrajouxRoanne 1934 ; DoillonComtois
[1926-1936] ; MiègeLyon 1937 ; MittonClermF 1937, 44 ; ParizotJarez [1930-40] ; DuraffVaux
1941 ; BigayThiers 1943 ; MussetAunSaint 1948 ; MichelCarcassonne 1949 ; SéguyToulouse
1950 ; JouhandeauGuéret 1955 ; ManryClermF 1956, 403 ; MoussarieAurillac 1965 ; PierdonPérigord
1971 ; DuprazSaxel 1975, 207 ; BonnaudAuv 1976 ; EscoffStéph 1976, 366 ; GrandMignovillard
1977 ; NouvelAveyr 1978 ; RLiR 42 (1978), 157 s.v. arète (> GrevisseGoosse 1993, § 173 a) ; GonthiéBordeaux 1979 ; DuclouxBordeaux 1980 ; MédélicePrivas 1981 « très courant » ; ColasBordes 1982 ; RouffiangeMagny 1983, 476 ; SabourinAubusson 1983 et 1998 ;
TuaillonRézRégion 1983 (Drôme, Puy-de-Dôme) ; TuaillonVourey 1983 ; ArnouxUpie 1984,
26 ; GononPoncins 1984 ; DuraffHJura 1986 « très usuel » ; MartinPellMeyrieu 1987 ; ArmanetVienne 1989 ; MartinPilat 1989 ; MaurelFirminy
1989 ; DucMure 1990 ; BoisgontierAquit 1991 ; CampsLanguedOr 1991 ; CampsRoussillon
1991 ; DromardDoubs 1991 et 1997 ; MazaMariac 1992 ; VurpasMichelBeauj 1992 ; BlancVilleneuveM
1993 ; FréchetMartVelay 1993 ; PénardCharentes 1993, 108 ; PotteAuvThiers 1993 ; VurpasLyonnais
1993 ; CovèsSète 1995 ; FréchetAnnonay 1995 « globalement usuel » ; RobezMorez 1995 « personnes âgées » ; SalmonLyon 1995 ; GermiChampsaur 1996 ; MazodierAlès 1996 ; FréchetDrôme 1997 « usuel » ; GallenBÎle 1997, 26 ; FréchetMartAin 1998 « trempe de sueur » ; MichelRoanne 1998 « usuel » ; PlaineEpGaga 1998 (tout) trempe « encore utilisé » ; BouisMars 1999 ; ChambonÉtudes 1999, 204 et 239 ; MoreuxRToulouse 2000 « régionalisme inconscient ». Selon Cl. Martel (comm. pers.), le mot est encore bien connu en Provence chez les
plus de cinquante ans, et compris de tout le monde. Témoignage de S. Majin pour Saône-et-Loire
(est).
Le tableau d’ensemble est celui d’une zone qui s’étend au sud d’une ligne allant environ
de Bordeaux à Belfort, mais avec un débordement septentrional jusque dans le Berry
et le Bourbonnais. Par rapport à la géographie des attestations dialectales, on remarque
surtout : 1° d’une part, l’absence du mot dans le français de Poitou-Charentes (à
l’exception de la Charente limousine) et sa faible présence en Bourgogne ; 2° d’autre
part, son usage massif dans le Roussillon (100 % des témoins selon les enquêtes),
alors que ce type lexical n’existe pas en catalan (Ø AlcM). En contiguïté avec le
Doubs, le Jura, la Savoie et l’Ain, le mot est d’un emploi très courant en Suisse
romande (att. dep. DeveleyVaud 1808 ; v. encore Pierreh, Lengert 1994, DSR 1997).
On le relève aussi en Amérique du Nord (GPFC 1930 ; DitchyLouisiane 1932 ; PoirierAcadG ;
MassignonAcad 1962 ; ALEC 1980 ; DaigleCajun 1984 ; DQA 1992 ; CormierAcad 1999 ;
NaudMadeleine 1999) et dans le Maghreb (LanlyAfrNord 1970 ; DuclosAlgérie 1992 « peu répandu »). En dépit de l’immense territoire où le mot est d’un emploi quotidien pour des millions
de locuteurs, les dictionnaires généraux du français n’en font aucune mention (à l’exception
de Féraud 1761, 1788 et Gattel 1797, qui le stigmatisent comme un « barbarisme provençal »). GuiraudPop 1973, 61 le présente comme appartenant au registre populaire, mais sans
aucune restriction diatopique ; or, s’il est vrai que son usage relève davantage du
niveau de langue relâché, cela ne signifie pas qu’il fasse partie du français populaire
de toutes les régions de France ; son extension géographique, bien qu’assez imposante,
est tout de même limitée à la moitié sud du pays. – FEW 13, I, 169b-170a, temperare I 1 ; Mauriac [1923], M. Wiedemann MélJeune 1990, 383 ; ThibQuébHelv 1996, 346.
a « […] je m’esveillay [d’un cauchemar] et me trouvay tout en eau, comme si je fusse sorti
d’une riviere, ma chemise, mes draps, la couette du lict toutes trampes » (Commentaires, Paris, Gallimard, Pléiade, 1964, 595). Comm. de P. Enckell, qui précise : « Le manuscrit (av. 1577) donne lict tout en eau. La correction figure dans l’édition posthume de 1592, procurée par Florimond de Ræmond,
conseiller au Parlement de Bordeaux ».
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Ain, Ardèche, Cantal, Dordogne, Drôme, Gard, Gers, Gironde,
Hérault, Landes, Loire, Haute-Loire, Lozère, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Atlantiques,
Pyrénées-Orientales, Savoie, Haute-Savoie, 100 % ; Aude, Puy-de-Dôme, 90 % ; Dordogne,
Haute-Vienne, 85 % ; Isère, 80 % ; Creuse, Rhône, 65 % ; Cher, 60 % ; Corrèze, 55 % ;
Indre, 50 % ; Lot-et-Garonne, 40 % ; Allier, Loir-et-Cher (sud), 30 %.
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