âne n. m.
I. Loc. verb. fig. fam.
1. 〈Provence, Hérault, Aude, Haute-Garonne, Ardèche, Cantal, Creuse, Pyrénées-Atlantiques〉 peser un âne mort "peser très lourd". Son sac pesait un âne mort (M. Grisolia, Barbarie coast, 1989 [1978], 59). Il tremblait beaucoup et pesait plus lourd qu’un âne mort (H. Pagan, L’Étage des morts, 1990, 199).
1. […] si vous voulez bien porter mon sac[,] Marie, je prendrai le parapluie[,] ça me
sert de canne, il pèse un âne mort ce sac, j’ai mis tous mes papiers dedans […]. (M. Laborde, Violette sur cour, 1978, 181.)
2. Je change de plus en plus fréquemment ma serviette de main, elle pèse un âne mort maintenant. (P. Perrève, La Burle, 1984 [1981], 67.)
3. Du menton elle montra les lourds montants de chêne [d’un lit] :
– J’ai eu du mal à le sortir, il pèse un âne mort […]. (P. Cauvin, Rue des Bons-Enfants, 1990, 163.) 4. Les haut-parleurs pesaient un âne mort et c’est complètement vidé[s] que nous sommes arrivés dans le hall pour les disposer
à côté du matériel imposant déjà entreposé par le groupe de rock local. (J.-B. Pouy,
La Belle de Fontenay, 1992, 202.)
5. Leur table est une table de camping […]. La nôtre est une invention de mon père, en
Isorel : elle se plie comme une valise et à l’intérieur on peut loger les pieds – des tubes de fer –, les sièges et même tout le repas quand on va manger dehors. Comme dit ma mère, « elle pèse un âne mort ». (M. Rouanet, Je ne dois pas toucher les choses du jardin, 1993, 11-12.)
6. Qu’on eût à randonner cinq ou six heures, notre art de vivre était égal : les bouteilles
de vin étaient ce qu’il y avait de plus lourd dans notre paquetage […]. Chaque sac
pesait un âne mort mais après, ce n’était que du bonheur, du bonheur tout simple. (P. Dessaint, La Vie n’est pas une punition, 1995, 135.)
7. – Ça pèse un âne mort, tes saloperies !
Je viens de soulever le premier fût pour le transbahuter de la remorque du poids-lourd dans ma camionnette. (Ph. Carrese, Filet garni, 1996, 83.) 2. 〈Haute-Loire, Cantal, Puy-de-Dôme〉 toucher son âne ; 〈Loire (Forez)〉 pousser son âne vieilli "poursuivre avec obstination une idée, s’obstiner dans un comportement".
8. Tu sais tout ce qu’on raconte sur lui […]. En tout cas, ça n’a pas l’air de le toucher.
Y continue de faire son petit trafic, tout plan-plan* : y pousse son âne. (MeunierForez 1984, s.v. pousser.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
9. Gabriel baissait la tête, ne répondait pas, mais, comme on dit, il touchait son âne : il continuait sa petite marche sur le chemin qu’il avait choisi. Il voulait être
scaphandrier. (J. Anglade, Un temps pour lancer des pierres, 1974, 189.)
10. D’abord choqué, son Corse de mari se contentait maintenant de hausser les épaules
et de toucher son âne, comme dit l’Auvergnat, de poursuivre ses affaires. (J. Anglade, Un lit d’aubépine, 1997 [1995], 113.)
3. 〈Drôme (sauf Anneyron), Provence, Hérault〉 tuer un âne à coups de / avec des figues "(pour parler d’une action qui prend beaucoup de temps ou de quelqu’un qui met toujours
un certain temps pour faire quelque chose)" (BouvierMartelProv 1982).
11. […] un petit bourg paisible, sans bruit. Le mot qu’on y prononce le plus souvent c’est :
soleil. On prend le soleil […]. Il me tarde qu’il fasse soleil. Voilà le soleil, je
vais prendre le soleil. Ainsi de suite. C’est le plus gros* bruit. Avant qu’un commerçant ait fait un tour sur lui-même, tu tuerais un âne à coups de figues. (J. Giono, Les Âmes fortes, 1949, 131.)
12. mémé za (voix de stentor) Alors, Chichounet, tu as été sage en classe ?
moi Ah ! mémé, vu de loin, je semblais* un second Amador tellement je bougeais pas ! papa (aussi voix de stentor) Ton Amador, si j’ai bien compris, on tuerait un âne à coups de figues avant qu’il lève la main pour prendre son porte-plume ? (N. Ciravégna, Chichois et la rigolade, 1996 [1992], 115.) 13. Enfin, M. Léotard met le même entrain à déchirer le contrat sur les primaires pour
l’élection présidentielle péniblement passé entre RPR et UDF. « Trompe-couillons », avait plaisanté, citant Pagnol, M. Barre. « C’est un peu en dessous de la vérité », a dit sur TF 1 M. Léotard, qui y voit plutôt, usant à son tour du provençal [sic], une manière de « tuer un âne à coups de figues ». (Le Monde, 3 décembre 1992, 7.)
14. « Avant que tu comprennes quelque chose, on aurait le temps de tuer un âne à coup de figues » […]. (G. Ginoux, Dernier labour au Mas des Pialons, 1994, 37.)
□ En emploi autonymique.
15. […] on n’épargnait à l’autre aucune réflexion désobligeante sur sa maladresse ou sa
lenteur d’esprit. On ne se privait pas de « tu ne comprends rien », « tu ne comprends pas vite », « le temps que tu aies appris on tuerait un âne à coups de figues ». (M. Rouanet, Nous les filles, 1990, 289.)
— Avec retour au sens de base, par plaisanterie.
16. Il appuie sur la gâchette… Clic ! / C’est sûr, quand tu oublies les cartouches, autant
essayer de tuer un âne à coups de figues… (Ph. Carrese, Trois jours d’engatse, 1995, 100.)
— Var. 〈Drôme (sauf Anneyron), Provence〉 le temps de tuer un âne à coups de poings. Il y est resté… je peux pas te dire moi, le temps de tuer un âne à coups de poings (FréchetDrôme 1997) ; 〈Provence〉 le temps de tuer un âne à coup de mouchoirs (BouvierMartelProv 1982).
II. Loc. 〈Haute-Savoie, Savoie, Ain (Dombes), Rhône, Loire, Provence, Aude, Haute-Loire, Cantal,
Puy-de-Dôme, Creuse, Corrèze〉 Dans des comparaisons têtu/buté comme un âne rouge fam. "particulièrement têtu".
17. – […] notre bonne […] est une petite pécore incivile. Elle est têtue comme un âne rouge. (M.-É. Grancher, Le Cervelas avait disparu, 1966, 189.)
18. […] Jacques Chirac nourrit une certaine sympathie pour ce patron mouton noir, qui
n’est pas énarque, ni inspecteur des finances, et refuse les mondanités. Il lui sauve
la mise en 1996. Lors d’une étape du Tour de France, Jean Peyrelevade [directeur du
Crédit Lyonnais] aura l’occasion de remercier le chef de l’État de vive voix. « Vous vous êtes sauvé vous-même. Vous êtes têtu comme un âne rouge », lui répond celui-ci. (Le Monde, 16 juin 1999, 19.)
— Au fig. 〈Doubs, Haute-Loire (Velay)〉 âne rouge loc. nom. m. peu attesté "personne particulièrement têtue". Ce n’est pas la peine de lui demander de faire quelque chose s’il n’en a pas envie :
c’est un âne rouge (FréchetMartVelay 1993).
19. […] peut-être que ces deux ânes rouges vont se décider à nous dire où c’est qu’y z’ont été traîner leurs guêtres […]. (R. Vuillemin,
La Chasse aux doryphores, 1989, 238.)
◆◆ commentaire. Aucune de ces locutions n’est enregistrée dans les dictionnaires généraux contemporains.
I.1. La locution semble absente de tous les ouvrages de référence (sauf RoubaudMars 1998,
28), alors qu’elle est pourtant en voie de dérégionalisation, comme en témoigne son
usage par un auteur angevin (A. de Saint-André, L’Ange et le réservoir de liquide à freins, 1994, 21)a ; aj. à FEW 25, 451b. 2. Cette métaphore de fr. toucher son âne (cf. « piqua un Aze per lou faire marcha.Toucher un Ane », PellasAix 1723) n’est pas attestée à date ancienne dans la documentation disponible ;
elle est analogue à fr. piquer son âne, de même sens, attesté à Clermont dep. 1861 (« On dit d’une personne qu’elle pique son âne lorsque, ayant un projet arrêté, elle va droit à son but sans tenir compte ni se
soucier des remontrances et objections qu’on peut lui faire » Mège ; l’auteur ajoute qu’il s’agit là d’une métaphore ancienne, et renvoie à Molière,
L’Étourdi, [1655] : « Moquez-vous des sermons d’un vieux barbon de père ; / Poussez votre bidet, vous dis-je,
et laissez faire » ; FEW 25, 450a signale aussi la loc. en patois) ; toucher son âne est attesté dans un autre sens, métaphorique lui aussi, dans JouhandeauGuéret 1955,
77 : « Toucher son âne, c’était parler d’or, employer le mot qu’il faut et qui porte » ; cf. encore BaronRiveGier 1939 « toucher l’âne, accompagner des fiancés qui portent des dragées » et MeunierForez 1984 pousser son âne. 3. Attestée dep. 1949 (Giono, ci-dessus ex. 11), la locution semble caractéristique
de la Drôme et de la Provence (BouvierMartelProv 1982 ; BlanchetProv 1991) ; elle
n’est documentée pour l’Hérault que par M. Rouanet (ci-dessus, ex. 15) ; aj. à FEW 25, 451b.
II. Attesté en français dep. 1861 à Clermont (Mège), dep. 1894 à Lyon (Puitspelu), la
loc. est une variante de têtu comme un âne (FEW 25, 443a), sur le modèle du plus ancien méchant comme un âne rouge (dep. 1616 dans Mège). Elle a été relevée aussi dans les patois des régions considérées
(FEW 25, 443a ; aj. ca 1825b « coummo quos âneis rougis n’éro pas entêta » C.-A. Ravel, La Paysade, 20 ; DauzatVinz 1915, § 185 entêté comme un âne rouge, pour traduire l’équivalent exact en patois) et, indirectement chez Zola, 1887, qui
reprend un usage aixois (« s’il ne s’obstinait pas, comme un âne rouge », Frantext) ; BrunMars 1931 ; GononPoncins 1947, 16 (comme traduction de la formule patoise) ;
BonnaudAuv 1976 ; MeunierForez 1984 s.v. rouge ; GuichSavoy 1986 ; cf. FréchetMartVelay 1993 âne rouge ; SalmonLyon 1995 (avec ex. de 1928 être un âne rouge) ; FréchetMartAin 1998 s.v. têtu ; FEW 25, 443a, asinus.
a La loc. adj. lourd comme un âne mort, formée à partir de cette loc. verb. (« Je me sens lourd comme un âne mort » G. Del Pappas, Massilia dreams, 2000, 49), témoigne, elle aussi, d’une dispersion de la métaphore en dehors de l’aire
méditerranéenne : « […] les usines Renault où j’ai promené pendant cinq années un sac lourd comme un âne mort » (R. Doisneau, À l’imparfait de l’objectif, 1995 [1989], 25) ; « – […] Voulez-vous que je vous accompagne ? – Ce n’est pas de refus. Ce sacré sac est
plus lourd qu’un âne mort ! » (J. Failler, Brume sous le grand pont, 1997, 262).
b Daté selon Dauzat RLiR 4 (1928), 81.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : I.1. Ø. – I.2. Haute-Loire, Puy-de-Dôme, 50 % ; Cantal, 30 %. I.3. Ø. II. Cantal, 100 % ; Haute-Loire et Puy-de-Dôme, 80 %.
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