béate, biate n. f.
1. béate.
1.1. 〈Saint-Étienne (« dans les villages »), Haute-Loire (pays de Saugues, Pradelles, Velay, Brivadois)〉 "femme célibataire placée sous le patronage de la congrégation des Sœurs de l’Instruction
de l’Enfant Jésus (plus rarement des ordres de Saint-Dominique ou de Saint-François,
ou encore tertiaire du Mont-Carmel) qui dispensait autrefois, dans les villages et
les hameaux, le catéchisme et l’instruction élémentaire, les soins aux malades et
le réconfort aux agonisants, enseignait la dentelle et servait de chef d’équipe dans
les ouvroirs de dentellières (dans le diocèse du Puy et certains cantons voisins)". Instituteur et béate catalysent les passions (J.-Fr. Simon et J.-L. Simon, Là où le vent s’envole, 1983, 109) ; la « densité en béates » de chaque commune (J. F. Vincent, Ethnologia 17-20, 1981, 163, n 26) ; maison de béate (J. Chaize, Per lous chamis 39, 1982, 57) ; Sœur Béate (P. Chevrier, La Haute-Bigue, 1996, 69).
1. On se léguait la tradition [de la dentelle] de mère en fille, et cette tradition était
elle-même entretenue par un personnage curieux et attachant : la béate, une personne pieuse, vouée au célibat, veillant à l’animation de ces assemblées de
dentellières. Les dernières béates viennent de mourir, ou vont mourir, en même temps que les dernières dentellières
des campagnes. (A. Fel, L’Auvergne, le Bourbonnais, 1973, 46.)
2. – … Il travaillait le dimanche. Ah ! le mal-parlant, avec ses paters noirs, il aurait
insulté une béate !
– C’est quoi une béate ? – Il ne sait rien, ce petitou*. […] C’est une sœur de village. Tu en verras encore quelqu’unes, mais ça se fait rare. Elles apprennent le catéchisme aux enfants, prêtent la main aux travaux, soignent les gens, habillent les morts et mangent comme l’oiseau. Toutes simples, toutes bonnes. Des saintes, mais on ne le sait pas. (R. Sabatier, Les Noisettes sauvages, 1983 [1974], 202.) 3. Émule de François-Régis, Anne-Marie Martel fonda au Puy, en 1665, la congrégation
des « Dames de l’instruction », plus connues sous le nom de « béates ». (J. Arsac, « La dentelle au Puy », Per lous chamis 18, 1976, 20.)
4. Les gens qui nous respectaient ne nous donnaient pas ce nom de « béate ». Jamais à Esplantas on ne me l’a donné ; on disait « la sœur » […]. Ce nom de « béate » ne me plaît pas, je préfère celui de « sœur de campagne ». (E. Cubizolle [dernière béate du pays de Saugues], 1976, dans J. F. Vincent, Ethnologia 17-20, 1981, 144.)
5. L’emprise religieuse et morale sera encore exercée [en Velay] – fait plus original
– par les béates qui joueront un rôle d’animation très vivant dans les « couviges » (assemblées*) des dentellières, assurant en bloc l’instruction, la catéchèse et les soins aux
malades. (Guide Bleu. Auvergne, Velay, 1979, 438.)
6. La béate ? c’est un mauvais souvenir ! J’y suis allé à son école ! Elle savait à peine lire
et écrire. D’un côté ce n’est pas mal qu’il n’y ait plus de ces béates ; elles mettaient la pagaille dans les villages ; elles allaient d’une maison à l’autre…
Quelqu’une était acceptable, quelqu’autre, non ! (Agriculteur, 50 ans [Saugues], dans
J. F. Vincent, Ethnologia 17-20, 1981, 159.)
7. Armandine irait, chaque jour, chez la sœur Benoîte du Calvaire qui lui enseignerait
le rudiment. La Benoîte du Calvaire était une sainte fille n’ayant aucun droit au
titre qu’on lui donnait puisqu’elle n’avait jamais prononcé de vœux. Grande, sèche,
avec des grosses mains aux gestes délicats qui surprenaient, elle se rendait au chevet
des malades, des femmes en gésine, aidait le curé à tenir le presbytère à peu près
propre et lui préparait une nourriture dont la frugalité excluait tout souci culinaire.
[…] Cette dévouée créature, se voulant au service de tous et de chacun, dans l’amour
du Seigneur, était ce qu’on appelait, dans ces rudes pays, la Béate. (Ch. Exbrayat, Le Chemin perdu, 1982, 30.)
8. C’est l’anti-diable. La vie des saints, la catéchèse, c’est son affaire, sa vocation,
sa certitude, sa raison de vivre. Mais elle n’a pas fait de vœu, la béate. / Elle veille au respect des fêtes, au culte des morts, inspecte, confesse, punit,
jeûne, se sacrifie. / Initiée. / Elle défend, candide, les fondements du dogme, conseille,
professe. Elle se donne en exemple, et répand, toujours, la bonne parole. À sa façon.
/ Ex cathedra ? / Elle assiste le malheureux, réconforte le mourant, habille le défunt,
lave ses souillures, le veille. Sereine, elle côtoie la mort sournoise. Du village,
elle a reçu mandat unanime ; c’est ainsi qu’elle se donne bonne conscience. (J.-L. Simon
et J.-F. Simon, Là où le vent s’envole, 1983, 107.)
9. À l’assemblée*, y’avait une béate qui apprenait le catéchisme aux enfants. Mais c’était pas une sœur… Les gens lui
donnaient quelque chose… À la fin ou au commencement du mois… Pour qu’elle vive !…
Elle vivait parce qu’on lui portait* des pommes de terres… (Témoignage, dans J.-L. Simon et J.-F. Simon, Là où le vent s’envole, 1983, 108.)
10. Moi j’ai entendu dire que dans le temps… Y’avait une béate à X… Et un instituteur… Il voulait que la béate parte… Alors il faisait croire que chez elle y’avait la trêve [= revenant]… (Témoignage,
dans J.-L. Simon et J.-F. Simon, Là où le vent s’envole, 1983, 109.)
11. Entre temps, on m’avait confié à la Béate, la « Roubiaca » en patois. Cela vers les quatre ans, je pense. C’était une religieuse qui tenait
« l’assemblée »* du village. Là, je complétai mon savoir en prières mais y appris aussi à lire. Quelle
patience avait cette brave femme ! […] / […] Cette Béate remplaçait en somme l’institutrice de maternelle d’aujourd’hui. (H. Verdier, « Une enfance à Taulhac au début de ce siècle », Per lous chamis 43, 1984, 29-30.)
12. Parmi les faits socio-culturels également il n’est pas difficile de trouver de considérables
interférences : le culte du saint vigneron auvergnat Saint-Verny a pénétré dans le
vignoble du Puy tout comme le système vellave des béates atteignait l’Allier brivadois. (P. Bonnaud, Almanach de Brioude 66, 1986, 173.)
13. Je me souviens avec reconnaissance de notre béate [sic, sans majuscule]. C’était une femme dévouée et simple, restée gaie et naïve comme
une enfant, avec des yeux extraordinairement lumineux […]. Elle était arrivée dans
notre village avant ma naissance. À la mort de la précédente Béate, enlevée par la petite vérole, les anciens s’étaient réunis et avaient dépêché l’un
d’entre eux au Puy, chez les Dames de l’Instruction dont la maison-mère se trouvait
alors rue Vienne. Les femmes et les enfants du village ne pouvaient en effet rester
longtemps sans une Béate. (M. Fouriscot, Marie la dentellière, 1987, 24.)
V. encore s.v. assemblée, ex. 29 ; manière, ex. 5.
□ En emploi métalinguistique.
14. Réglons d’abord un problème de terminologie : quel mot employer, « béate » ou « sœur » ? On rencontre bien « béate » à la fois en français savant et en français populaire – un proverbe peu flatteur
m’a été cité du côté d’Ambert qui assimile « béate » et « ignorante » – mais dans le canton de Saugues le mot, selon les habitants actuels, était jusqu’à
une époque récente totalement inemployé au moins dans le patois local. « Sur le journal on parle des sœurs des campagnes en disant “les béates” mais ici on ne les a jamais appelées comme ça, seulement “la sœur”. » (Cabaretière, 50 ans, Esplantas, juin 1979, dans J. F. Vincent, Ethnologia 17-20, 1981, 144.)
■ graphie. Parfois écrit avec B- majuscule (v. ex. 7, 11, 13 ; Per lous chamis 48, 1985, 27), le référent étant unique pour chaque communauté villageoise.
■ encyclopédie. V. R. Lagier, « Une institution vellave : les Béates », Cahiers de la Haute-Loire 1979 (non consulté) ; É. Pandraud, « L’enseignement primaire en Haute-Loire du 17e au 19e siècle », Per lous chamis 46, 1984, 96-101, et 48, 1985, 21-35 ; A. Rivet, « Des “ministres” laïques au xixe siècle. Les béates de la Haute-Loire », Revue d’Histoire de l’Église de France 64, 1978, 27-38 ; R. Sève (dir.), L’Enseignement sous l’Ancien Régime en Auvergne, Bourbonnais, Velay, Clermont-Ferrand, 1977, 8, 27 ; J. F. Vincent, « La béate au village », Ethnologia 17-20, 1981, 139-167 = « Les béates, un tiers-ordre villageois en milieu rural (Saugues, Haute-Loire) », dans La Margeride : la montagne, les hommes, Clermont-Ferrand, 1983, 255-271 ; R. Nicolas, « Cathéchisme de la Foi et des mœurs chrétiennes par M. de Lantages (1679) », Cahiers de la Haute-Loire 1987, 108 ; J. Chaurand, « La représentation d’un village vellave au xixe siècle d’après La Béate d’Aimé Giron (1884) », Les Parlers et les hommes, Paris, 1992, t. 2, 486-490.
1.2. Par ext. 〈St-Étienne〉 péj. béat/béate n. et adj. "bigot" (DornaLyotGaga 1953).
2. biate.
2.1. 〈Haute-Loire (Velay)〉 "(synon. de béate)" (FréchetMartVelay 1993).
2.2. Par ext. 〈Loire (Roanne)〉 vx "femme dévote".
15. Certaines femmes très pratiquantes, les « Biâtes » (qui ne sont pas celles du Velay), avaient en permanence, ou seulement pendant le
mois de Marie, de petits autels garnis de porte-bouquets, de chandeliers et de statuettes
qui occupaient le dessus d’une commode. (BouillerRoanne 1986, 114.)
— 〈Ardèche (Mariac)〉 péj. "(synon. de bigote)".
16. Tant pis pour les biates qui passent leur temps à nous lorgner, nous on préfère le bistrot aux vêpres ! (MazaMariac
1992, 52.)
■ graphie et prononciation. On relève aussi la forme beillate (MartinPilat 1989 ; défini par "religieuse" ; ex. concernant Lupé, dans la Loire), graphie révélant l’insertion d’un yod anti-hiatique.
◆◆ commentaire. béate (1), attesté dep. 1798 (Allègre et Tence, Per lous chamis 24, 12 ; 1835/1836, « Béates ou roubiaques », Rivet, art. cit. 29 ; 1879, J. Vallès, L’Enfant, éd. Le Livre de poche, 16, 18, 19 ; Arlempdes 1880, Per lous chamis 50, 100, 101 ; 1891, VinolsVel s.v. biāta ; etc.) résulte d’une spécialisation de frm. béate "(nom donné à des femmes qui, sans appartenir à un ordre religieux, en pratiquent certaines
règles dans le monde)" (FEW 1, 303 b, n. 1 ; cf. TLF), peut-être par ellipse sur les syntagmes fille béate/fille dévote béate (HLoire 1798, Per lous chamis 24, 12). L’épicentre de l’institution de la béate était constitué par le diocèse
du Puy (congrégation des Demoiselles de l’Instruction), où le mouvement se développe
à partir de la fin du 17e s., ce qui rend compte de l’aire du mot français, plus étendue que celle de la forme
occitane qui lui est empruntée (cf. ex. 11), ArdècheN. HLoireN. biata (ALMC ; dep. 1891, VinolsVel ; aussi Pradelles beata Marcon, sans réduction de l’hiatus). La forme populaire biate (2), rare à l’écrit dans notre documentation, est un réemprunt au parler dialectal.
La connotation (légèrement) péjorative, qui est propre au mot français (comparer ALMC),
du moins dans l’usage local (FréchetMartVelay 1993 et v. ex. 4, 6), s’attache à la
« compétence très rudimentaire » (ALMC) des béates en matière pédagogique (cf. ex. 6) et peut se ressentir aussi de
la contagion de frm. béat, adjectif généralement péjoratif (FEW ; TLF). Le sens de "bigot/bigote" (1.2. et 2.2.), qui découle naturellement (malgré MazaMariac) de 1.1./2.1., est attesté (sous la
forme béate) dep. 1894 (dans le français de Lyon ; PuitspeluLyon) et a été également connu du
français du Livradoisa.
a Pour le Livradois, où l’institution de la béate était absente (mais connue), cf. ex. 14
ci-dessus et le fait que le seul exemple illustrant le sens de "personne qui fait le dévot" (béate) cité par TLF se trouve être tiré de Pourrat (v. encore Gaspard des montagnes, impr. 1966, 122, 181, 238, 239) ; n’enregistrant pas le sens de base (ci-dessus 1.1.),
TLF ne pouvait guère reconnaître la filière sémantique. – GrasForez 1863 enregistre
beate "bigote".
◇◇ bibliographie. Aj. à FEW 1, 303a et n. 1, beatus ; Rob 1985 ; DornaLyotGaga 1953 ; MarconPradelles 1987, s.v. assemblada (dans la métalangue) ; MazaMariac 1992 ; FréchetMartVelay 1993 ; ALMC 1698 et 1698*.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96 : Ø.
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