porter v. tr.
I. 〈Basse-Normandie, Hautes-Alpes, Provence, Gard, Haute-Garonne, Pyrénées-Atlantiques
(Béarn)〉 usuel "emmener, conduire (une personne)". Synon. région. envoyer*. – Je vous porterai à la gare (LepelleyBasseNorm 1989). Eh* bé, quand papa a été malade, on l’a porté à l’hôpital (Toulousaine, née en 1920, dans MoreuxRToulouse 2000). Un car nous porte chez nous (Copie d’élève, sud du Calvados, dans BrasseurNorm 1990).
1. Devant l’hôtel, un camion se prépare au départ pour Sommières. Le chauffeur ne veut
pas, n’ayant pas trop de carburant, faire un détour par la nationale et Aigues-Vives
pour nous porter. (Les Carnets de guerre de Gustave Folcher, 2000 [1981], 282.)
□ En emploi métalinguistique.
2. […] la blonde Mascarine aimait bien aller rouler des hanches, soit au village voisin,
soit même à la ville de Castellane, où un automobiliste complaisant l’emportait souvent
(chez nous, on n’emmène pas les gens, on les porte ou on les emporte). (M. Scipion, Le Clos du roi, 1980 [1978], 65.)
II. 〈Allier, Jura (Morez), Drôme, Provence, Gard, Hérault, Aude, Haute-Garonne, Lot, Aveyron,
Lozère, Ardèche, Haute-Loire (Saugues), Auvergne, Haute-Vienne, Dordogne, Lot-et-Garonne,
Gers, Pyrénées-Atlantiques (Béarn), Landes〉 usuel "porter à quelqu’un, dans un lieu". Stand. apporter.
— porter à qqn. Porte-moi donc une bouteille de bordeaux et deux verres (J. Giono, Les Âmes fortes, 1949, 269). Porte-nous du café (R. Escarpit, Les Voyages d’Hazambat. Marin de Gascogne (1789-1801), 1984, 85). Nous vous demandons de bien vouloir nous porter rapidement l’attestation [d’affiliation
à la Sécurité sociale] (Affichette apposée à la pharmacie d’Orcet, Puy-de-Dôme, mai 1999.)
3. Les paysans nous portent leurs affaires à vendre aux foires et aux marchés du samedi […]. (G. de Lanauve,
Anaïs Monribot, 1995 [1951], 15.)
4. – Reste au lit, je te porterai le dîner*.
Il a pas répondu. Moi je suis descendue faire ma cuisine pour le midi […]. (Th. Monnier, Madame Roman, 1998 [1957], 109.) 5. « […] Té*, porte-lui deux bouteilles de vin nouveau. Pour les malades, il y a rien de mieux.. ». (M. Pagnol, Jean de Florette, 1995 [1963], 831.)
6. La Marissou […] nous a porté faire voir sa nénette qu’on appelle Vovonne. (G. de Lanauve, Les Mémoires d’Anaïs Monribot, 1969, 78.)
7. Avant le poulet basquaise il y a eu la piperade d’Élisa. Elle nous l’a portée dans un grand plat creux qu’elle tenait comme le Saint Sacrement. (Chr. de Rivoyre,
Boy, 1973, 305.)
8. – Aimes-tu le maïs ?
– Je n’en mange pas. – Je t’en porterai. (J. Cayrol, Les Enfants pillards, 1989 [1978], 103-104.) 9. Je le voyais souvent entrer au café en face de chez moi :
« Portez-moi un litre de blanc et deux verres. » (F. Dupuy, L’Albine, 1978, 225.) 10. – Tu ne pourrais pas me porter une livre de poivre, qu’on [v. que] tue le cochon ? ou bien des tiges de vanille pour la tourtière* ? (R. Blanc, Clément, Noisette et autres Gascons, 1984, 114.)
11. – […] Quelles biscottes ?
– Elles sont excellentes, je t’en porterai. (Cl. Courchay, Le Chemin de repentance, 1986 [1984], 94.) 12. Presque tous les jours, le facteur nous portait une lettre de papa. (N. Calmels, L’Oustal de mon enfance, 1985, 54.)
13. […] Mélanie t’a porté l’arbre de Noël […]. (Chr. de Rivoyre, Crépuscule taille unique, 1989, 69.)
14. – Je vous ai porté à boire, vous devez avoir soif. (Panazô, Le Traînard, 1994, 85.)
15. Marie nous porta le café, puis, discrètement, se retira. (J.-Cl. Libourel, Le Secret d’Adélaïde, 1999 [1997], 53.)
16. On portait à grand-mère de la laine et du coton et elle tricotait toutes sortes de tricots. (M. Rouanet,
Il a neigé cette nuit, 1997, 93.)
17. – Je vous ai porté un livre de classe terminale […]. (Cl. Allègre, ministre de l’Éducation nationale,
21 février 1999, TV 1, émission « Public », 20 h 45.)
— porter à + subst. désignant, par méton., un lieu.
18. – […] Je vous ai préparé un sac avec quelques kilos de sucre, du café, des bricoles…
Je le porterai au presbytère à la nuit tombante. Pour le paiement, ne vous faites pas de souci. (M. Donadille,
Pasteur en Cévennes, 1989, 134.)
V. encore s.v. farci, ex. 14 ; tomme, ex. 2.
— [Le destinataire ou le lieu de destination est implicite] Té* Honorine, porte un peu de café ! (J. Ferrandez, Arrière-pays, 1982, 30).
19. – Et tu veux un lapin pour ta grand-mère ?
– Oui, madame. Nous aimons beaucoup le civet. – Mais tu aurais dû porter un panier […]. (L. Bourliaguet, La Dette d’Henri, 1958, 73-74.) 20. Ayant terminé sa collecte, il s’en revient à la roulotte et commence le travail. Il
repassera porter, un ou deux jours après, les ustensiles réaffûtés ou réparés. (M. Prival, Artisans et métiers d’Auvergne, Bourbonnais, Limousin, Rouergue, 1975, 103.)
21. Et après quand venait le temps de Pâques, ils faisaient les omelettes. Ils portaient un morceau de ventrêche* là, l’un portait une douzaine d’œufs, et alors s’il y avait des champignons, on leur faisait une omelette
aux champignons, ou à l’oseille, et ils se régalaient. Ils étaient quatre ou cinq
de ces « retraités », ils se tenaient comme ça, c’était des veufs ou des célibataires. (Témoignage d’une
patronne de café-épicerie, dans G. Charuty et al., Gestes d’amont, 1980, 90.)
22. – Tu as porté de la ratatouille pour dîner* !… Maurice il aime bien la ratatouille… Quand il part à la chasse, je lui en mets
toujours dans sa gamelle… (J. Ferrandez, Nouvelles du pays, 1986, 22.)
23. Du vin, du fromage étaient posés sur la table. Des voisines avaient porté des œufs, de la tome* fraîche et du lait. (M. Fouriscot, Marie la dentellière, 1987, 59.)
24. Félix Broussaud appela son épouse : « Léonie, sers-nous un verre de blanc sec ! » Mme Broussaud, belle femme, élégamment vêtue, à l’allure de bourgeoise racée, porta une bouteille de vin d’Alsace et deux verres, puis s’éclipsa. (Panazô, L’Argent du ciel, 1987, 75.)
25. La semaine, je travaillais, et le dimanche j’étais toujours avec mon père et avec
ma mère. L’été, on portait le manger et on pique-niquait sur les rochers du Petit-Nice, tu sais, en bas de la
Corniche. (R. Bouvier, Tresse d’aïet, ma mère, 1997 [av. 1992], 76.)
26. Le père Noël est passé à Trois-Pierres. Il a aussi porté des pralines colorées, des fondants en sucre rose et des crottes en chocolat fourré.
(P. Louty, Léonard, le dernier coupeur de ronces, 1995, 224.)
27. […] c’était succulent, la panse de porc garnie avec du riz et de la chair à saucisses
[sic], le pain frais de la veille, du fromage de vache un peu sec, et les gâteaux que
j’avais portés. (P. Chevrier, La Haute-Bigue, 1996, 17.)
28. Dès le matin, direction « Les Chapelles » [à Mudaison, Hérault], pour vendanger les deux coquettes vignes qui se trouvent au
bord du Bérange. Pour le déjeuner, Yvette a porté les fougasses* et Albert ne manque pas de faire déguster sa Carthagène*. (Midi libre, 6 octobre 1998, 13.)
◆◆ commentaire. L’usage de ces deux emplois dans le français de Saint-Pierre-et-Miquelon témoigne
de leur ancienneté ou de leur importation depuis la Basse-Normandie.
I. Emploi absent des dictionnaires généraux contemporains, qui ne donnent ce sens qu’avec
un sujet de l’inanimé.
II. Cet emploi semble bénéficier, dans l’ensemble de la partie méridionale de la France
(on l’a aussi relevé dans le français d’Algérie), d’une fréquence et d’une constance
bien supérieures à ce qu’on peut relever au nord de la Loire ; on interprètera l’absence
de porter dans les recueils différentiels récents du Sud-Ouest (Boisgontier) et du Languedoc
(Boisgontier, Camps) comme le signe d’une très forte légitimité. Les dictionnaires
généraux contemporains rendent mal compte de cet emploi (non dégagé dans GLLF, qui
le légitime toutefois avec cet exemple Je vous porterai ce livre à mon prochain passage, et dans Rob 1985, NPR 1993-2000 et Lar 2000), ou le qualifient de « vieilli » (TLF, citant Maine de Biran 1816, né à Bergerac).
◇◇ bibliographie. (I) SajusLescar 1821 porter en croupe ; TuaillonRézRégion 1983 (Calvados, Hautes-Alpes) ; LepelleyBasseNorm 1989 ; BrasseurNorm
1990 ; LepelleyNormandie 1993 ; MoreuxRToulouse 2000 « régionalisme inconscient et, semble-t-il, général » ; aj. à FEW 9, 204a, portare (où cet emploi manque). – (II) DesgrToulouse 1768 « porter, pour apporter » ; Sauvages 1785 ; VillaGasc 1802 ; RollandGap 1810 ; SajusLescar 1821 ; JBLGironde
1823, 111-112 ; ConnyBourbR 1852 ; AnonymeToulouse 1875 (idée de destination) ; « il avait porté des saucisses et de la grillade et nous avons cassé la croute » (18 décembre 1915, VandrandPuyD, 126) ; RostaingPagnol 1942, 127 ; BonnaudAuv 1976 ;
BouvierMars 1986 ; BrassChauvSPM 1990 ; DuclosAlgérie 1992 ; RobezMorez 1995, dans
la métalangue et dans l’exemple s.v. cantine, dans l’exemple s.v. kelire ; BouisMars 1999 ; MoreuxRToulouse 2000 « régionalisme inconscient et, semble-t-il, général » ; aj. à FEW 9, 204a, portare.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I) Basse-Normandie, 90 %. (II) Puy-de-Dôme, 100 % ; Haute-Loire, 80 % ; Cantal, 75 %.
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