boge (aussi bauge) n. f.
1. 〈Allier, Rhône (Beaujolais), Loire, Drôme, Ardèche, Cantal, Haute-Loire, Puy-de-Dôme,
Creuse, Corrèze, Haute-Vienne, Dordogne〉 rural, usuel "grand sac, généralement en jute ou en toile grossière". Prends une boge et va chercher de l’herbe pour les lapins (MédélicePrivas 1981). Apporte les bauges pour mettre l’avoine (SabourinAubusson 1983).
1. À Genestelle [Ardèche], tous les vendredis, on porte son pain au four du boulanger,
dans des paniers ou cabassous couverts d’une « boge ». (Ch. Forot, Odeurs de forêt, 1987 [1955], 21.)
2. Olivier tenait la boge ouverte. Victor y déversait la récolte que la mémé tassait avec un bâton. Le bois
craquait et le sac se bosselait. Parfois, des pignes* s’échappaient d’un trou qu’on colmatait avec des branchettes. (R. Sabatier, Les Noisettes sauvages, 1983 [1974], 234.)
3. Le grand sac sur l’échine – la « boge » – ils [les chiffonniers de la région d’Ambert] allaient d’un village à l’autre, n’achetant
rien, vendant toujours. En effet, ils ne payaient pas les chiffons, mais donnaient
en troc des articles de petite mercerie (épingles, aiguilles, rubans, lacets) ou de
basse quincaillerie que pour eux on se mit à fabriquer à Ambert. (J.-L. Boithias,
Ethnologia 8, 1978, 158.)
4. Tous les jeunes d’ici qui avaient pas de travail à l’arrière-saison prenaient une
« bauge », un crochet et ils passaient dans les fermes demander les peaux de lapin, les métaux,
la cire… (Mme Dif [Artense], dans M. Prival, Les Migrants de travail d’Auvergne et du Limousin au xxe siècle, 1979, 126.)
5. À une certaine époque (1920-1930), la généralisation de l’eau sur l’évier a éliminé
les fontaines en cuivre. Jules Massoubre les achetait au prix du kilogramme de métal,
les écrasait d’un coup de pied et les entassait dans sa bauge. S’il les avait conservées, il serait aujourd’hui millionnaire… Vanité de la valeur
des choses ! (M. Prival, Les Migrants de travail d’Auvergne et du Limousin au xxe siècle, 1979, 153.)
6. Aux grands froids, le Félix les emmitouflait de paille et de vieilles « bauges ». Il en était fier de ses oliviers ! (Cl. Vincent, Les Roses de l’hiver, 1982, 74.)
7. Il fallut colmater les ouvertures des maisons, des écuries et des étables, à la fois
contre le froid et les animaux affamés. Le renard était le seul à oser se saisir d’un
vieux sac, d’une vieille boge qui bouchait un trou. Il tirait dessus comme l’aurait fait un chien qui joue et,
l’orifice débouché, il attendait à distance. Si rien ne se produisait, il s’introduisait
dans la place où il provoquait un émoi qui lui laissait peu de temps pour agir. (F. Rey,
La Haute saison, 1984, 164-165.)
8. Le grain recueilli sur de grands draps était passé au crible, puis mesuré à l’aide
du double-décalitre et mis dans des sacs de jute au [lire : ou] boges. (M. Carlat, dans M. Carlat (dir.), L’Ardèche, 1985, 160.)
9. Pour les châtaignes, nous ne ramassions que celles qui étaient tombées sur le chemin.
Parfois, cependant, une famille nous invitait à aller en chercher dans son bois […].
C’était alors une grande joie, car nous pouvions remplir des paniers et des « bauges » entières de ces fruits qui, blanchis, faisaient notre délice. (J. Vinatier, Jean de la Rose, berger des Monédières, 1999, [1985], 22.)
10. Céleste s’aperçut que la paillasse de sa petite pensionnaire avait perdu de son moelleux.
Elle suggéra une récolte de feuilles nouvelles. Il fallait les râteler sous les hêtres
peu de temps après leur chute, par temps sec, avant qu’elles pourrissent. […] Tous
les arbres à présent souffraient de la jaunisse. Il fut facile de remplir plusieurs
boges, légères à porter malgré leur volume. (J. Anglade, La Soupe à la fourchette, 1996 [1994], 161.)
11. Le dimanche matin, une modeste activité animait encore la place d’Arzon. Au sortir
de la grand-messe, on achetait des tourtes* de pain pour la semaine. Une boge pleine, souvent, que l’on jetait au fond de la carriole ou de la camionnette. (R. de
Maximy, Le Puits aux corbeaux, 1996 [1994], 52.)
V. encore s.v. char, ex. 17.
— Par méton. "contenu d’une boge".
12. Il choisissait les besognes les plus rudes. C’est ainsi qu’à l’époque des battages
il coltinait les sacs de grain : les fabuleuses boges de cent, cent vingt, cent trente kilos. (J. Anglade, Le Voleur de coloquintes, 1972, 39.)
13. Leur brouille datait du jour où, comme en compensation de sa Marianne récupérée, Joannès
avait descendu une énorme boge de charbon, disant :
– Chauffez-vous. (J. Anglade, Un lit d’aubépine, 1997 [1995], 124.) — 〈Allier (Cressanges, Luneau)〉 par plaisanterie "(pour souligner la sottise avérée d’une personne)". Le jour de la distribution, il était derrière la porte avec une boge (Comm. de M.-R. Simoni-Aurembou).
2. Par anal.
2.1. 〈Allier (Moulins, Montluçon), Beaujolais, Loire (Roanne), Haute-Loire, Cantal, Puy-de-Dôme,
Corrèze〉 usuel (souvent avec légère connotation argotique) "sacoche dans laquelle les écoliers, les lycéens etc. mettent et transportent leurs
livres, leurs cahiers, leurs papiers". Stand. cartable. – Prendre sa boge ; une bataille à coups de boges ; mets ça dans ta boge ! M’sieur j’ai
pas mes affaires, parce que je sais pas où elle est ma boge (MeunierForez 1984). Il a oublié sa boge à l’école, il ne pourra pas faire son travail (VurpasMichelBeauj 1992).
2.2. 〈Allier (Montluçon), Ardèche (Mariac, Privas), Corrèze (Tulle)〉 "grand sac à main de femme" ; 〈Allier〉 "grand sac fourre-tout".
2.3. 〈Haute-Loire (Brivadois), Cantala, Puy-de-Dôme, Corrèze, Dordogne〉 "jupe trop ample, informe".
a Seulement « connu » (3 témoins sur 9) dans le Cantal (enqDRF).
3. Par méton. 〈Saint-Étienne〉 "toile de sac". Un « devantier » de boge (DornaLyotGaga 1953.)
■ graphie et prononciation. En Bourbonnais, la graphie bauge reflète une prononciation [boːʒ]. En Auvergne et en Limousin (ici ex. 4-5 et 9 ; MazaleyratMillevaches 1959 ; BonnaudAuv
1976 ; JaffeuxMoissat 1987 ; PotteAuvThiers 1993), elle est sans rapport avec la prononciation
([bɔːʒ]) et constitue probablement un hyper-correctisme ou un alignement sur l’homonyme standard
bauge (sans rapport étymologique), cf. BonnaudAuv 1978 (une seule entrée).
■ dérivés. 〈Puy-de-Dôme〉 rare embauger, v. tr. "mettre en sac". « Entre le 15 avril et le 1er septembre, on arrache les racines [de gentiane] destinées aux laboratoires : elles
sont livrées sèches, après avoir été “embaugées” » (A. Pourrat, Traditions d’Auvergne, 1976, 98). Cf. ALAL 1563 pt 13.
◆◆ commentaire. Régionalisme fermement implanté dans une assez vaste zone septentrionale du Massif
Central et de ses abords. On partira, pour tenter d’en rendre compte, de l’observation
de FréchetAnnonay : « les attestations de l’aire du fr. région. semblent moins sporadiques [il n’est pas exagéré de dire qu’elles sont compactes] que celles de l’aire dialectale où elles sont dispersées sur la moitié sud de la
France ». On tirera parti, en outre, de la remarque de Wartburg (FEW 1, 606) selon laquelle « in Südfrankreich ist bulga weniger vertreten, und zwar durchwegs in formen, welche dem Norden entlehnt sind », et dont la justesse éclate à considérer une forme telle qu’aveyr. b(ou)ocho qui ne saurait être indigène. On constatera encore, avec DauzatVinz 1915, § 365,
que les formes occitanes (V. encore ALP 386 ; ALLOc 711 ; ALMC 1023) supposent un
prototype *bòja, tout en ajoutant que celui-ci ne peut refléter afr. et mfr. bouge "sac de cuir" (FEW ; Gdf ; Huguet) où [ou] a été réduit précocement à [u] (13e s. BourciezPhon, § 74). Dès lors, en se fondant sur les parallèles fournis par ultra > afor. adauph. otra (FEW 14, 7a ; Hafner 55), pullitra > afor. podra (GononLangVulg), on pensera que c’est en domaine francoprovençal que bogi ("grand sac") se révèle autochtone, et que c’est à partir de la région lyonnaise (cf. Lyon, St-Genis,
Létra dans FEW) qu’il a assez profondément rayonné dans le domaine linguistique occitan.
La diffusion en français est moins considérable et sa configuration aréale est différente
(plus compacte, plus restreinte et d’orientation surtout occidentale) : les centres
foréziens (Montbrison, Saint-Étienne), influençant directement l’est de la Basse Auvergne
(puis Clermont), Le Puy et Annonay, ont probablement pris, plus récemment, le relais
de Lyon (où le mot n’a jamais été relevé en français : il est vraisemblable qu’il
s’en est retiré, la ville ayant adopté la norme nationale). À côté du sens de base
(1), attesté dep. 1763, en Auvergne (La Vaudieu, AlmBrioude 52, 1972, 70 n. 35 ; MègeClermF
1861 ; 1925, H. Pourrat, Gaspard des montagnes, impr. 1966, 316, 317 ; cf. aussi 1770 « 4 saches qu’on appelle boges à tenir le charbon », Inventaire à Renaison, dans BouillerRoanne 1998, 14 et boje, Rive-de-Gier 1856 dans RoquilleVurpas 276)a, la solidité de l’implantation en français est garantie par la diversité des ramifications
sémantiques (emplois non liés à la vie rurale). 2.1. (dep. 1981, OlivierMauriacois)b, bien vivantc, et 2.3. (s. d.) sont des innovations sémantiques régionales documentées sur une partie seulement
de l’aire de 1d ; 2.2. (1991) et 3 (1953) paraissent d’extension beaucoup plus limitée.
a Encore en dehors de la période contemporaine : « […] j’ai […] encore un sac c’est une bauge où me m’enfonce dedans la nuit et çà me tient très chaud » (3 décembre 1914, VandrandPuyD, 58 ; sic en tous points).
b Mais connu du signataire depuis ca 1965 (ClermF.) ; depuis 1958 (instituteur, Firminy) par P. Rézeau. – Sens relevé
en argot scolaire local par MarconPradelles 1987, s.v. bòja.
c Mais nettement moins en Limousin (« employé » ou « connu » par seulement deux témoins dans la Creuse ; « inconnu » en Haute-Vienne) et en Périgord (« employé » par deux témoins) qu’en Auvergne (enqDRF).
d Le sens 3 est donné comme « employé » par un témoin seulement de Corrèze et un autre de Dordogne dans l’enqDRF.
◇◇ bibliographie. BaronRiveGier 1939 ; ParizotJarez [1930-40] ; BigayThiers 1941 ; ManryClermF 1956,
402 ; MazaleyratMillevaches 1959 ; GagnonBourbonn 1972 s.v. bauge et boge ; BonnaudAuv 1976 ; RLiR 42, (1978), 160 ; KnoppSchülArg 1979, 51 ; BecquevortArconsat
1981, s.v. bojo ; MédélicePrivas 1981 ; ArnouxUpie 1984 ; GononPoncins 1984 ; MeunierForez 1984 ;
JaffeuxMoissat 1987 ; MartinPilat 1989 ; MaurelFirminy 1989 ; MazaMariac 1992 ; QuesnelPuy
1992 ; VurpasMichelBeauj 1992 ; DubuissBonBerryB 1993 ; FréchetMartVelay 1993 ; PotteAuvThiers
1993 ; SabourinAubusson 1983 et 1998 ; VurpasLyonnais 1993 (Ø Lyon) ; FréchetAnnonay
1995 ; FréchetDrôme 1997 ; BouillerRoanne 1998 ; Chambon enq. ; ChambonÉtudes 1999,
107-108 ; FEW 1, 605a, bulga.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96 : Taux de reconnaissance : ("grand sac") Cantal, Haute-Loire (nord-ouest), Puy-de-Dôme, 100 %. ("sac de classe") Cantal, 90 % ; Haute-Loire (nord-ouest), Puy-de-Dôme, 80 %. ("jupe trop ample, informe") Puy-de-Dôme, 55 % ; Haute-Loire (nord-ouest), 50 % ; Cantal, 30 %.
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