bord n. m.
fam.
I. Loc. adv.
1. 〈Côtes de Normandie et de Bretagne〉 d’un bord à l’autre / d’un bord (et) de l’autre / d’un bord sur l’autre "de part et d’autre ; ici et là ; à droite et à gauche".
1. Et tous deux, avec ensemble[,] déroulèrent leurs bandes molletières, comme des fileuses
déroulent leur écheveau de laine ; ils ôtèrent leurs grosses chaussures à clous et
jetèrent d’un bord et de l’autre vareuses, pantalons, chemises et caleçons. (L. Petiot, La Bretagne rit, 1982, 122.)
2. Ah ! mon pauvre gars, y a rien de drôle ! Toujours à trimer d’un bord sur l’autre toute [sic] l’été ! (H. Bouyer, Presse-Océan, 17 septembre 1984, dans BrasseurNantes 1993.)
V. encore s.v. durer, ex. 2.
2. 〈Côtes de Normandie et de Bretagne, Vendée〉 chacun de son bord "chacun de son côté ; séparément".
3. On se mit à discuter chacun de son bord, à voix basse, pour le cas où une oreille ennemie aurait traîné. (Y. Viollier, La Cabane à Satan, 1982, 24.)
— Surtout dans les loc. verb. partir / repartir / virer chacun de son bord ; virer chacun de bord "s’en aller de son côté".
4. Là-dessus, tout le monde se sépare, virant chacun de son bord, l’esprit émoustillé à cette idée de dégoter le Parisien [= lui jouer un bon tour] !
(R. Dubos, Histoires normandes, 1978, 24.)
5. Raguissabe, qui connaît les bonnes manières […] sert la rincette […]. Et chacun repart de son bord en se souhaitant bonne chance pour le restant de la journée […]. (R. Dubos, Histoires normandes, 1978, 116.)
II. Loc. verb.
1. 〈Basse Bretagne.〉
— aller d’un bord et de l’autre "aller à peu près". Stand. fam. aller comme ci comme ça.
6. Nos deux pensionnaires bretons, assis à mes côtés, mangent de bon appétit. Louis n’est
pas « causant », mais reste souriant ; Jean, lui, […] n’a qu’une parole pour tout ce qu’on lui dit,
un mot qui semble témoigner d’une toute simple et très douce philosophie :
– Comment ça va, Jean, ce matin ? – Ça va d’un bord et de l’autre. – Et la pêche, Jean ? – Toujours d’un bord de l’autre. (M. Richard, Une enfance heureuse. Une enfance vendéenne, [après 1960], 78.) — n’aller / ne plus aller d’aucun bord "n’être bon à rien".
● [le sujet désigne une personne]
7. Du bar, par l’escalier, montaient les bruits de la fête, le cliquetis des verres entrechoqués,
les toasts bruyamment portés, les chansons à boire et les commandes hurlées par-dessus
ce tumulte :
– Hé, Ninette, quatre demis ! Et la voix de Ninette : – Ça vient, les gars, ça vient ! Une invective suivait, nettement moins amène, probablement adressée à Corentin : – Dépêchez-vous donc ! Et puis, à l’adresse des assoiffés, pour dégager sa responsabilité dans le retard apporté au service : – Celui-ci* ne va plus d’aucun bord ! (J. Failler, Boucaille sur Douarnenez, 1996 [1995], 140-141.) 2. 〈Côtes de Normandie et de Bretagne〉 tirer des bords [Le sujet désigne un homme pris de boisson] "décrire des zigzags". Synon. région. chambouler*.
9. Officiellement, Lucien Le Berre s’était noyé dans le bassin des chalutiers. Ça n’avait
surpris personne, car il était si souvent sorti des bistrots du quai en tirant des bords qu’un tel accident était plausible, sinon prévisible. D’autant plus qu’à cet endroit,
le quai n’avait pas de rambarde. (J. Failler, Marée blanche, 1996 [1994], 32.)
◆◆ commentaire. Métaphores d’origine maritime sur fr. bord "côté d’un navire" (dep. ca 1121, Saint Brendan, v. TLF), non prises en compte par la lexicographie contemporaine (sauf II.2., dans
Rob « argot mar. »).
I. est attesté en français de Basse Bretagne dep. ca 1819 (« bord […] s’emploie aussi pour côté. Chacun s’en alla de son bord » Le Gonidec) ; Frantext en donne un exemple chez P. Loti [originaire de Rochefort], qui cite une lettre de
son frère (1877) : « […] je me suis marié hier. […] cela vaut mieux que d’être toujours à courir, comme
vous savez, d’un bord et de l’autre ». Malgré son absence du français de référence, non seulement la locution adverbiale
est d’usage bien établi sur les côtes normandes et bretonnes, mais on l’observe aussi
chez plusieurs auteurs d’autres régions, ce qui est l’indice d’une certaine dérégionalisationa. Par ailleurs, l’emploi très commun au Québec (dep. 1778, dans La Gazette de Québec, FichierTLFQ) et en Acadie (NaudMadeleine 1999), notamment de virer de bord (ALEC 2155 « se tourner ») et de aller d’un bord et de l’autre (ALEC 2153 "aller de part et d’autre") souligne l’ancienneté de ces tours.
II.1. est absent de la lexicographie générale et des relevés régionaux ; attesté dep. 1882
au Québec (« vivant de sa petite rente et travaillant d’un bord et de l’autre », Archives nationales du Québec, FichierTLFQ).
II.2. est pris en compte par Rob 1985 comme « arg. de marine », sans exemple ; il a été relevé en référence à Rennes dans Actuel avril 1983, 121 (Doillon, janvier 1985).
a « Dès lors, mon oncle s’abrutit au travail avec les longues tournées de roulage, les
après-midi d’ensachage des grains, d’un bord et de l’autre chez quelques paysans » (R. Blanc, Les Amours de l’oncle César, 1986, 142) et « Qu’est-ce qu’il travaille ! Il n’arrête jamais. Tu le vois toujours sur son tracteur,
d’un bord de l’autre. En ce moment, avec les foins, il se démène » (Cl. Courchay, Chronique d’un été, 1990, 141) ; « D’un bord, des toilettes minuscules. De l’autre, une penderie » (Cl. Courchay, Quelqu’un, dans la vallée…, 1998 [1997], 275).
◇◇ bibliographie. LeGonidecBret 1819 ; EsnaultMétaph 1925, 239 « Toute femme de Brest emploie virer de bord, Changer de sens sur un plan, Faire demi-tour en marchant » et 268-269 ; DéribleSPM 1986 ; BrassChauvSPM 1990 ; BrasseurNantes 1993 ; GallenBÎle
1997, 7 ; FEW 15/1, 180a, *bord.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96 : Ø.
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