charrière n. f.
1. 〈Manche, Allier, Bourgogne, Franche-Comté, Ain, Rhône, Loire, Drôme, Ardèche (Annonay),
Haute-Loire (Velay), Puy-de-Dôme (est), Cantal, Limousin〉 rural "chemin rural ; voie de desserte assez large pour permettre le passage de véhicules
utilitaires, souvent trop rustique pour les voitures de tourisme". Tu ne peux pas passer en auto par cette charrière (FréchetMartAin 1998).
1. Deux jours après, un dimanche, lorsque les gens furent partis à la messe, et qu’il
ne risqua plus guère la rencontre de curieux sur son chemin, il prit le baluchon et
coupa droit, par la charrière, vers la route de Tulle… (M. Chaulanges, Les Mauvais numéros, 1971, 112.)
2. Allez donc boire à la fontaine des griottes : vous n’avez qu’à tourner à gauche après
le portail et suivre la charrière tout droit, à travers les grandes friches (H. Vincenot, Le Pape des escargots, 1972, 269.)
3. Ce qui ne changeait guère, par exemple c’était le chemin creux, la charrière toujours impraticable, boueuse, absolument infecte[,] qui conduisait de la route
au hameau. (Cl. Duneton, Le Diable sans porte, 1981, 91.)
4. Ce qui m’attirait dans ce coin c’était une source, abondante, claire et d’une fraîcheur
inégalée. Elle sortait du talus, au bord même de l’antique charrière ; elle ne tarissait jamais, même au moment des plus fortes chaleurs. (J. Vinatier,
Jean de la Rose, berger des Monédières, 1999 [1985], 74.)
5. Rien, ni personne. Si, pourtant, avant midi, c’est son jour, le facteur passera, au
bout de la charrière, là-bas vers la croix. (R. Eymard, Nous sommes tous des Nez noirs, 1988, 137-138.)
6. Mais pourvu que les premiers frimas ne leur fassent pas regretter Paris, quand les
charrières ruisselleront de brouillas [= brouillard] et d’ennui, une fois que les enfants auront
repris l’école. (A. Aucouturier, Le Dénicheur d’enfance, 1996, 179.)
7. Il [un prêtre] marcha longtemps dans une mauvaise charrière sombre et humide, les souliers empâtés, la soutane éclaboussée par l’eau des sources
dont la fraîcheur montait avec le soir. (B. Gérard-Simonet, Contes du pays creusois, 1996, 64.)
8. Pour y accéder, il faut suivre une longue, étroite et sinueuse charrière, bordée de haies d’aubépine et d’imposants talus de la taille d’un homme. (R. Limouzin,
D’une Toussaint… à l’autre, 1998, 53.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
9. Les fermes, si elles ne bordent pas les routes, sont […] plutôt au milieu de leurs
terres, au fond d’une longue « charrière », chemin empierré bordé de hautes haies vives. (Pays et gens de France, n° 25, la Manche, 11 mars 1982, 9.)
— En emploi adj. "qui permet la circulation de véhicules utilitaires (d’une voie)".
10. Ils se proposaient de couper court par les vieilles pistes charrières qui convergent toutes vers la haute butte de Thil. (H. Vincenot, Le Pape des escargots, 1972, 180.)
— Emplois locutionnels vieillis et connotés.
● 〈Limousin〉 traîner (dans/par) les charrières loc. verb. "être oisif, inactif, s’attarder sans raison". Une fille qui « traîne les charrières » a mauvaise réputation (SabourinAubusson 1983).
11. L’autre, le Fernand, il doit traîner dans les charrières, il sait pas quoi faire de son corps, aujourd’hui […]. (Panazô, L’Argent du ciel, 1987, 275.)
12. Avec tous ces hommes qui n’étaient pas d’ici, c’était pas le moment de laisser traîner les filles par les charrières. (R. Eymard, Nous sommes tous des Nez noirs, 1988, 44.)
● 〈Corrèze〉 faire les charrières loc. verb. [Le sujet désigne une femme] "s’attarder dans les chemins pour faire des rencontres galantes".
13. Des mauvaises langues avaient dit à la Guillaumette, que, du côté du moulin à drap,
les ribaudes faisaient les charrières à la tombée de nuit. (R. Eymard, Nous sommes tous des Nez noirs, 1988, 47.)
— Emplois spéciaux ou techn.
● 〈Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique, Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire (est), Allier,
Rhône, Loire (nord)〉 "chemin d’exploitation, dont le tracé peut être provisoire, permettant le passage de
véhicules agricoles dans les champs ou les bois". La « charrière » est une allée qui occupe la bordure d’un champ, ou bien le traverse, et qui permet
de desservir des terres enclavées. À la différence du chemin creux, elle n’est pas
entourée de haies et elle est parfois provisoire (ALBRAM 426*, mot titre).
14. Mais voilà-t-il pas qu’au détour d’une charrière la Louise Monnier elle se jette en travers de son chemin pour le faire s’arrêter.
(J. Boutin, Louis Rougé, le braconnier d’Anjou, 1979, 21.)
15. Il y eut un froissement de branches, un cinglement plutôt, en contrebas de la taille,
sur la pente du talus qui surplombait la charrière où ils avaient laissé la juvaquatre [= modèle de voiture automobile]. (G. Guicheteau,
Les Gens de galerne, 1983, 13.)
16. Absorbé par sa contemplation, il n’avait pas entendu arriver Emile Chavassat par la
charrière herbeuse qui longeait le haut des vignes. (R. Langlois, Les Raisins de la passion, 1996, 8.)
● 〈Franche-Comté〉 "chemin vicinal". La charrière est le plus souvent un chemin carrossable de 4 m. de large, entretenu
par la commune (ALFC 155*, mot titre).
17. […] une charrière qui biaisait dans le communal et aboutissait sur la route du Mont-miret [sic]. (M. Vuillemin, La Mort de Fany, 1994, 50.)
● 〈Drôme, Cantal〉 "voie empruntée par les troupeaux (lors de la transhumance)". Synon. région. draille*.
□ En emploi métalinguistique.
18. Passé le village, bêtes et hommes prennent le chemin de la montagne, par les « charrières », parce qu’il faut le savoir une bonne fois pour toutes, dans le Cantal, on ne parle
pas de « drailles »*. (A. Galan, Burons que vent emporte, 1979, 38.)
2. 〈Rhône (nord), Drôme (Anneyron), Hautes-Alpes (Gap), Creuse (Saint-Hilaire), Corrèze
(Chamberet), Dordogne (La Coquille)〉 "rue, ruelle".
19. Ce chemin fait pour les villageois, leurs bêtes et leurs charrois, pavé de larges
pierres usées par les générations, se divisait en traversant le hameau en « charrières » que seuls entretenaient les usagers, ou, plutôt, qu’ils n’entretenaient pas, qu’ils
exploitaient, devrais-je dire […]. (G. Thévenot, Une Vie de Creusois, 1996 [1981], 11.)
20. Bon, la nuit tombe, mon petit Martial, va chercher ton frère pour la soupe. / Martial
traversa la cour puis, dans la charrière du village, on l’entendit crier.
– Vincent ! Vincent ! la soupe ! (D. Borzeix, Martial Rieupeyroux maître d’école, 1988, 33.) V. encore s.v. foirail, ex. 19.
◆◆ commentaire. Fr. char(r)ière. est issu de lat. médiéval. carraria "chemin sur lequel peut rouler une voiture" (813, Cluny). L’évolution du sémantisme de ce type lexical a suivi la transformation
des aménagements routiers et de l’environnement et a été infléchie par la concurrence
des types chemin et voie, puis route. Il est bien documenté dep. 1119 (TL, Littré, TLF) jusqu’à l’époque classique (Gdf,
FEW) aux sens "voie par laquelle peut passer un char, voie qui garde les marques du passage d’un
char (ornières)". À partir du 17e siècle – v. Cotgr 1611, et Ménage 1694 qui donne la première référence régionale en Basse-Normandie,
s.v. carriere –, il est attesté plus sporadiquement dans la lexicographie française (Littré ; Besch
1845 ; Lar 1867 et 1899). Dès le 17e s., l’emploi général ne fait que se restreindre, même si les dictionnaires du 18e siècle mentionnent encore le terme sans le marquer. Malgré la mention « helvét. » (DavauCohenLall 1972), le statut du terme reste indécis pour la lexicographie moderne
(« vx ou région. » TLF, qui donne des ex. de G. Sand [1849] et T. Ballu [1933] ; Rob 1985) ; J. Serme
classe le terme dans les « régionalismes-survivances lexicaux » (SermeArchaïsmes 1998, 283). L’emploi, de grande extension (il connaît également
des développements en Suisse romande), est particulièrement dense en Basse-Normandie,
Limousin, Bourgogne, Franche-Comté et dans l’aire d’influence lyonnaise, avec une
avancée sud (Ardèche), prolongeant souvent d’anciens emplois. La Bretagne et l’est
de l’Allier connaissent surtout des emplois techniques et spécialisés par restriction
de sens. La partie nord de la France est bien documentée pour le sens "chemin de desserte rural" qui s’étend sporadiquement sur une partie de l’aire francoprovençale, et en Auvergne,
avec une diversification liée à l’évolution du mode d’exploitation des ressources
(voie de desserte en région agricole ou forestière, chemin creux dans des régions
où la charrière a perdu sa fonction de voie de desserte). Il survit dans la moitié nord évoquant
des particularismes paysagers, du petit chemin encaissé et ombragé limousin, à la
trace de roues matérialisant une voie de desserte dans un champ (v. ALBRAM 426) ;
mais la diversité du référent s’observe souvent dans la même région comme en Franche-Comté
où charrière évoque essentiellement un chemin carrossable régulièrement entretenu par la commune,
alors qu’en des points voisins « c’est un mauvais chemin creux, pierreux ou rapide » (ALFC 155*. V. encore ALLy 838*, ALB 239*).
◇◇ bibliographie. FEW 2, 412b-413a *carraria I 1 a "chemin (rural)" ; BoulangerConfolentais [fin 17e s.-18e s.] "chemin de desserte rural" ; DuPineauR [1746-1748] "trace des roues d’une charrette" « le mot est largement représenté dans la région à l’époque contemporaine » ; JaubertCentre 1864 ; BeauquierDoubs 1881 ; ConstDésSav 1902 ; VerrOnillAnjou 1908 ;
CormeauMauges 1912 "chaintre" ; RézeauPérochon 1978 [1920] ; CollinetPontarlier 1925 ; BoillotGrCombe 1929 "chemin" « vieilli » ; DoillonComtois [1926-1936] "chemin creux bordé de haies mais carrossable" ; MussetAunSaint 1931 char(r)ière ; PrajouxRoanne 1934 ; FleischJonvelle 1951 ; JouhandeauGuéret 1955 ; EscoffRem 1958
"couloir ou passage pour descendre les bois" ; MazaleyratMillevaches 1959, 86, 94 "chemin creux" ; F. Longy, Le Canton d’Eygurande 1980 [1893], 23 ; PierdonPérigord 1971 carrière, charrière "chemin, parfois cour de ferme" ; RLiR 42 (1978), 164 (Ain, Caen, Rhône, Loire) ; BecquevortArconsat 1981 "chemin à chars, (dans les bois) emplacement accessible aux véhicules pour le chargement
des bois" s.v. chorèiro ; SabourinAubusson 1983 et 1998 "chemin assez large" ; DuraffHJura 1986 "chemin pierreux" « mot souvenir » ; QuestThiers 1987 charreyre "chemin dans une forêt" ; RobezVincenot 1988 ; LepelleyBasseNorm 1989 "chemin creusé de profondes ornières" « usuel » Manche (sud), « employé » Calvados (ouest) et Orne (centre), « connu » Orne (est) ; « attesté » Manche (nord) et Orne (ouest) ; MartinPilat 1989 chareire "chemin (à chars)" « usuel à partir de 60 ans, en déclin au-dessous » ; BrasseurNorm 1990 "chemin de terre, chemin rural entre deux champs" ; TavBourg 1991 « ornière ; chemin forestier emprunté par les chars » ; DromardDoubs 1991 et 1997 "chemin étroit, empierré" ; BlanchetProv 1991 carraïré "chemin de transhumance" ; ColinParlComt 1992 "chemin empierré pour les chariots et les charrettes" ; VurpasMichelBeauj 1992 charrière, charrère "chemin à chars" « connu au-dessus de 40 ans, attesté au-dessous » ; DubuissBonBerryB 1993 "chemin de terre ; entrée d’un champ où l’on peut passer en voiture" ; LepelleyNormandie 1993 ; TamineChampagne 1993 "ornière" ; DuchetSFrComt 1993 (nom de lieux-dits) ; GagnySavoie 1993 "route carrossable" « appellatif figé en toponyme » ; FréchetMartVelay 1993 charrèïre "chemin à char[s]" « globalement connu, usuel à Yssingeaux », "terrain abandonné" « globalement attesté » ; RobezMorez 1995 "chemin rocailleux" « Ce mot local a été conservé dans les toponymes et en fr. région., avec un sens péjoratif
[…] » ; FréchetAnnonay 1995 charrère "chemin (à charrettes)" « globalement attesté » ; ValMontceau 1997 « alors que [ce terme] devrait tomber en désuétude, il est réactivé par les randonneurs » ; FréchetDrôme 1997 charrère, charrière, carraïré "chemin (à charrettes) ; voie de transhumance" « globalement peu attesté » ; FréchetMartAin 1998 "chemin praticable (pour les véhicules agricoles)" « globalement attesté » ; MichelRoanne 1998 charrière, charrère (« forme la plus usitée ») "chemin dans les bois, les prés et les terres" « usuel au-dessus de 40 ans » ; SermeArchaïsmes 1998, 283-284. – ALCB 216, 220 ; ALBRAM 426 ; ALB 239 ; ALFC 155* ;
ALLy 838 ; ALLy t. 5. – Voir encore (LengertAmiel adj. route charrière [1871] ; Pierreh ; GPSR 3, 396-398) et PohlBelg 1950 (carrière "route charretière, chemin de terre" ne prenez pas le chemin, mais la carrière « région. répandu » alors que « charrière ne paraît pas usuel en Belgique » ; Ø Canada.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : "chemin creux" Corrèze, 75 % ; Creuse, 35 % ; Dordogne, 25 % ; Haute-Vienne, 15 % ; "environs d’une habitation" Haute-Vienne, 40 % ; Corrèze, 20 % ; Dordogne, 35 % ; "trou dans une haie" ; Haute-Vienne, 15 % ; Dordogne, 10 %.
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