draille n. f.
1. 〈Alpes-de-Haute-Provence, Gard, Hérault, Tarn, Tarn-et-Garonne, Lot, Aveyron, Puy-de-Dôme,
Lozère, Ardèche〉 usuel "chemin ménagé pour la transhumance des troupeaux". Synon. région. charrière*. – La balafre claire d’une draille (P. Brotte, « Itinéraire d’un géographe en Lozère orientale », Lou Païs 186, 1972, 222). Le long des drailles cévenoles (M. Carlat, dans M. Carlat, L’Ardèche, 1985, 171). À partir du col de l’Asclier, on va suivre la draille jusqu’au col du Pas (MazodierAlès 1996).
1. Ces « drayes » sont toujours utilisées de nos jours pour la transhumance des moutons qui, venant
de Provence, montent jusqu’aux pâturages d’été du Lozère. (Ch. Camproux, Essai de géographie linguistique du Gévaudan, s.d. [1962], t. 2, 202.)
2. Le soir vient. Un dernier adieu au Plan de las Fourcos et voici la draye. Mais fatigués de la draye, nous nous jetons à l’aventure dans les bois. (Ch. Dombre, « Le col de Jalcreste et le hameau des Aires », Lou Païs 147, 1968, 161.)
3. Seul, sur le petit causse de Ferrières, le Taciturne avançait en suivant le bord de
la draille pointillé d’un vestige de mur […]. / Tout en suivant la draille à travers le brouillard, grâce au double liseré de pierres rondes qu’elle matérialisait
devant lui au fur et à mesure qu’il se déplaçait […], il réfléchissait, l’esprit tranquille
et démeublé par ce trajet presque machinal qui, au milieu de cette brume sans surprise,
laissait libre cours à ses pensées. (J. Carrière, L’Épervier de Maheux, 1972, 113 et 115.)
4. Au milieu du siècle dernier plus de 300 000 brebis empruntaient chaque année les drailles qui les menaient du bas Languedoc vers les pâturages lozériens. L’été 1971, encore
28 000 transhumants sont venus, dont 20 000 sur le mont Lozère. (J.-P. Chabrol, Le Crève-Cévenne, 1993 [1972], 1055, n. 1.]
5. « Depuis Pont-Saint-Esprit, il y a cinq jours de route pour venir ici. On est monté
à deux troupeaux. On a fait la drailhe [en note : antique chemin de transhumance] à pied, mais il y avait des agneaux trop jeunes
pour suivre : cent cinquante bêtes qui sont montées en camion […]. » (Témoignage d’un berger, dans J.-P. Chabrol, La Cévenne par ses gens, 1976, 47.)
6. Ces drailles ou drayes […] furent créées dans les temps préhistoriques pour le déplacement des troupeaux
[…]. Larges de dix, vingt, parfois même quarante mètres, elles vont par la pierraille
et les landes, évitant les cultures. Combien ont disparu, envahies par les bruyères,
les genêts ou les pins. (Ch. Forot, M. Carlat, Le Feu sous la cendre, 1979, t. 1, 311.)
7. Je voyais la courbe des drailles,
Les gambades d’un agnelet Sur un coussin de serpolet, Dans un tintement de sonnailles […]. (L. Buffier, « L’Exilé », dans « La page des poètes », Lou Païs 239, 1979, 68.) 8. Jadis simple site gaulois, devenue « draille » suivie par les troupeaux transhumant entre le Causse et les pâturages de l’Aubrac
[…]. (Edmond Quintard, « Connaissez-vous La Bastide ? », Revue du Rouergue 37, 1983, 146.)
9. Les souvenirs en appelaient d’autres. Il revoyait en pensée l’extraordinaire voyage
qu’il avait fait avec son père, il devait avoir, voyons, une dizaine années. Ils étaient
allés du bourg à Florac à pied, au mois de juin. Ils avaient marché durant des jours
à travers la montagne, en suivant les drailles. (S. Pesquiès-Courbier, La Cendre et le feu, 1984, 23.)
10. Sur la montagne, là-haut, la neige avait fondu, les torrents étaient pleins d’eau
de neige, il ruisselait partout une eau brillante et bleue. Depuis quatre jours les
troupeaux avaient pris les drailles pour monter sur les plateaux. (M. Rouanet, H. Jurquet, Apollonie, 1984, 160.)
11. Ainsi, malgré la brume, la battue annuelle de Clansayes se déroulerait comme prévu.
On pourrait donc rameuter suffisamment de monde pour encercler la colline de la Suquée,
celle du Couvion et même la Plane jusqu’au précipice qui rompt le plateau du côté
sud, en surplomb de la draille des Alyssas. (P. Sogno, Le Serre aux truffes, 1997 [1993], 43.)
12. La vie allait tout doucement en ces temps-là. Elle suivait plutôt le pas des moutons
dans les drailles que la course des grands express qui traversaient déjà l’Europe. (M. Jeury, « Chez soi », dans A. Roustan (dir.), Nouvelles des Cévennes, 1996 [1994], 82.)
13. […] j’achève cette traversée du Méjean, […] j’approche de la falaise où prend le chemin
de Meyrueis suivant l’ancienne draille des troupeaux transhumants […]. (J. Lacarrière, Chemin faisant, 1996, 232.)
14. Le jour de la Saint-Urbain [25 mai], date de la transhumance, la montée se fit sans
heurt. Flanqué de Mariole qui ramenait sans cesse les bêtes en ligne, Jean marchait
à l’avant, au pas du troupeau. Les drailles les menaient à la porte du buron* où il rassemblerait ses vaches chaque soir, derrière les claies d’un parc qu’il changerait
d’emplacement de jour en jour. (J.-P. Leclerc, D’un hiver à l’autre, 1997, 113.)
15. Finalement ces vastes drailles cédèrent à la pression des riverains-paysans qui les mangeaient un peu plus chaque
année pour gagner quelques mètres de terre cultivable ou de pâturage. Au début du
xxe siècle, elles furent presque toutes abandonnées à leur triste sort. Quelques tronçons
de ces autoroutes à moutons sont encore visibles dans certains secteurs isolés et
oubliés. Souvent, les routes départementales ou nationales ont repris le tracé de
ces drailles, les noyant sous le goudron. (Br. Auboiron et G. Lansard, La Transhumance et le berger, 1998, 60.)
16. Entre drailles et burons*, les bâtiments [d’un ensemble hôtelier contemporain à Laguiole, Aveyron] s’inscrivent
dans la beauté du paysage […]. (Le Monde, 2 mars 1999, 32.)
V. encore s.v. boudi(e), ex. 14.
□ Avec ou dans un commentaire métalinguistique incident.
17. C’est un plaisir de contempler la rivière qui gronde, de découvrir derrière le mas
une « draille » – vieux chemin où passaient autrefois les troupeaux transhumants – qui gravit la
colline pierreuse et aride. (J. Lhermet, « La vallée du Chapeauroux dans la commune d’Arzenc-de-Randon », Lou Païs 196, novembre 1973, 251.)
18. Aujourd’hui, si certains troupeaux sont conduits depuis le pays d’Arles jusque dans
les alpages de haute Provence par le chemin de fer, d’autres continuent de passer
par les vieilles « drailles », ou chemins de migration, suivant le rythme des saisons. Terre d’alpage de haute
tradition, complément indispensable de la plaine provençale, la haute Provence possède
de nombreuses drailles. […] Ces vieux chemins, qui ne suivent pas le tracé des vallées, comme les routes
commerciales, révèlent, en fait, les véritables voies d’échanges et de relations spirituelles
entre le littoral et la montagne depuis la plus haute antiquité. (Pays et gens de France, n° 31, les Alpes-de-Haute-Provence, 22 avril 1982, 17.)
19. […] la tête baissée, résolus dans les caillasses des collines, les ovins menaient
une transhumance annuelle par les « drailles », chemins qui leur étaient réservés, allant des vallées et des combes du département
vers le Larzac et l’Aveyron. (Pays et gens de France, n° 59, l’Hérault, 9 décembre 1982, 18.)
20. Les voies spéciales, dralhes ou drailles, empruntées par les transhumants, suivent les crêtes au plus droit et restent le plus
possible sur le faîte des chaînes de montagnes. (F. Buffières, « Ce tant rude » Gévaudan, 1985, t. 2, 1203.)
V. encore s.v. charrière, ex. 18.
■ encyclopédie. « On peut distinguer deux sortes de drailles [dans les Cévennes] d’après leur direction :
les drailles principales partant de la garrigue languedocienne pour se diriger vers
l’Aigoual, le mont Lozère, puis plus loin la Margeride et l’Aubrac, dont la direction
est souvent orientée nord-sud ou légèrement déviée vers l’ouest ; les drailles transversales
ou secondaires qui sont orientées est-ouest. Elles viennent rejoindre ou couper les
grandes drailles nord-sud, formant un ensemble de voies locales particulièrement dense
dans la région du Vigan. Il y a trois drailles principales : la draille d’Aubrac ou
draille du Languedoc, la draille de Margeride et la draille du Gévaudan ou Grande
Draille » (A.-M. Brisebarre, Bergers des Cévennes, 1978, 101.)
2. 〈Drôme, Hautes-Alpes (Gap), Provence, Ardèche〉 usuel "chemin de campagne, sentier". Tu le trouveras dans le champ au bout de la draille (GermiChampsaur 1996). Synon. charrière*, coursière*. – Drailles aux galets délités par l’averse (P. Magnan, Les Secrets de Laviolette, 1993 [1991], 217).
21. C’est alors qu’au bout de la draille sur laquelle cahotait l’antique guimbarde de Guitou, une carriole apparut. (Y. Audouard,
Le Dernier des Camarguais, 1971, 15.)
22. La neige se mit à tomber, drue, opaque, ensevelissant le somptueux paysage que nous
avions admiré en montant par une impossible draille où la voiture s’enlisait dans des bourbiers de neige fondue et terre détrempée. (J. Durand,
Les Contes de la Burle, 1993 [1974], 159.)
23. Marthe s’appuya contre la croix pour se garer du vent, le temps de repérer son chemin.
Par la route, elle était à 4 km de chez elle environ. En coupant à travers les drailles, ça irait plus vite et elle ne courrait pas le risque de tomber sur une voiture. (Cl. Vincent,
Les Roses de l’hiver, 1982, 259.)
24. Brémond […] : Sois prudent, Vincent. Te fais pas reprendre, coupe par le bois et prends la
draille du Nord. (Cl. Frédéric, On piègera la sauvagine, 1984, 8.)
25. Je coupe à travers les châtaigniers […]. Je fonce tête baissée. Je connais chaque
buisson, chaque draille. (J.-Cl. Libourel, Les Roses d’avril, 1998 [1997], 227.)
26. J’ai souvent grimpé au sommet du pic [dans le massif des Courmettes], par une mauvaise
draille raide au milieu des chênes verts. (J. Onimus, Les Alpes-Maritimes, 1999, 84.)
— Par analogie 〈Provence〉 jeu de boules "parcours (rigole, trajectoire) tout désigné, grâce auquel la boule que l’on joue ne
peut manquer d’atteindre le but". Regarde, tu peux y aller, là tu as une belle draille (Entendu à Manosque, 1996, dans MartelBoules 1998).
● manquer la draille loc. verb. "pointer avec maladresse" Et voilà, j’ai encore manqué la draille ! (Entendu à Cavaillon, 1995, ibid.).
■ graphie. La graphie habituelle est draille, mais on lit parfois la graphie occitanisante dralhe (v. ici ex. 20) ; la graphie draye est aussi bien attestée (v. ici., ex. 1-2, 6) et parfois même revendiquée comme étant
la seule recevable, ainsi dans ALLOr 120* (v. aussi ALLOr 53* : La draye d’Aubrac […] / la draye de la Margeride […] la draye du Gévaudan ou Grande
Draye […]).
◆◆ commentaire. Type lexical d’origine incertaine, attesté en latin médiéval dep. 1246 (St-Maximin,
Var, v. BambeckBoden, 59), en aocc. dep. 1325 (draia), 1525 (draie, draio, Pans), 1528 (drayas pl., Basses-Alpes, MeyerDoc, 241). Emprunt ancien à l’occitan, qui a dû être introduit
en français écrit régional par les notaires méridionaux, depuis le 16e siècle au moins : attesté dans le français de Basse Auvergne dep. 1518 (« par le chemin ou draye appelé draye de Chomeilz » (région d’Ambert), dans BullGRAHLF 13, 1991, 39), du Rouergue dep. 1531 draye (P.-A. Verlaguet, Cartulaire de l’abbaye de Bonnecombe, Rodez, 1918-1925, n° 61, 125), 1539 (« confronte aux terres de Bernas de St. Beaulize, draye ou chemin entre deux […] led.
seigneur de la Tour sera tenu de laisser draye de bestail dans le deves del Bosco
del Matas […] et autre draye pour aller abreuver a la Fon de Mendictz » Cartulaire de l’abbaye de Nonenque, dans BambeckBoden, 59-60 ; même date s.v. faïsse ci-dessous, dans le commentaire) et dans celui de l’Aude dep. 1580 (draye, CaylaLanguedoc). Très tôt spécialisé pour désigner un chemin de transhumance, le
terme se présente aujourd’hui sous la graphie draille (dep. 1802), qui est une « cacographie moderne » (J. Boisgontier). Au sens 1., il est en usage dans une aire compacte au sud du Massif Central, particulièrement
dans les Cévennes, le sens 2. étant nettement localisé dans le Sud-Est. Entré tardivement dans les dictionnaires
généraux du français (LittréSuppl, qui localise draye « dans les Alpes ») le mot y est toujours pris en compte (GLLF, sans marque d’usage ; TLF « région. (Sud de la France) » ; Rob 1985, NPR 1993-2000 et Lar 2000 « région. »). L’étymologie donnée par ces dictionnaires (d’après FEW 13/2, 173b, *tragulare) est considérée comme irrecevable par BoisgontierMidiPyr 1992 ; peut-être convient-il
d’envisager, comme Bambeck (qui reprend une hypothèse de Schuchardt et de Hubschmid),
un rattachement à une racine indo-européenne *dhregh, *tregh.
◇◇ bibliographie. (1.) VillaGasc 1802 ; PomierHLoire 1835 ; GebhardtOkzLehngut 1974 ; NouvelAveyr 1978
draye ; BoisgontierMidiPyr 1992 draye, draille ; GermiChampsaur 1996 ; MazodierAlès 1996 ; FréchetDrôme 1997 « globalement connu » ; FEW 13/2, 173b, *tragulare. – (2.) BrunMars 1931 draye "sentier dans les collines" ; GermiLucciGap 1985 « encore fréquent surtout en milieu rural » ; VidalBoules 1990 ; BlanchetProv 1991 "chemin de campagne" ; QuesnelPuy 1994 ; MartelBoules 1998 « très répandu, dans le vocabulaire général comme dans celui des boules où il est présent
partout » ; BouisMars 1999.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Aveyron, Lot, 100 % ; Tarn, 75 % ; Tarn-et-Garonne, 60 % ;
Haute-Garonne, 50 % ; Ariège, 0 %.
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