écarter v. tr.
1. 〈Surtout Eure-et-Loir, Allier, Haute-Saône, Doubs, Jura, Ain, Rhône, Loire, Isère, Drôme, Hautes-Alpes,
Lozère, Lot, Ardèche, Haute-Loire, Cantal, Puy-de-Dôme, Limousin, Dordogne〉 usuel "disperser (une chose qui est en tas)". Écarter les taupinières (TuaillonVourey 1983 ; DromardDoubs 1997)a. Ecarte donc ces cendres de bois au pied des rosiers (GononPoncins 1984). Ecarte ta purée dans ton assiette si tu veux qu'elle refroidisse plus vite (FréchetMartAin 1998). Écarter [du fromage blanc] sur des tartines de pain bis ou de seigle (M. Massalve, Marie du fond du cœur, 1998, 168).
a Cf. ALFC 745* « Étendre les taupinières / Outre “étendre”, “épandre”, “répandre”, “épancher”, “élargir”, “écarter”, on a noté […]. »
1. La récolte se faisait avec trois chars* faisant la navette du pré à la grange où un homme déchargeait. Les bœufs faisaient
le tour de la grange, et, debout sur le char, le domestique jetait le foin à intervalles
réguliers avant de l'écarter. (É. Méallet, D'une fougère… à l'autre, 1992, 19.)
— En part.
● "étaler (l'objet d'une cueillette, d'un ramassage) pour aérer et faire sécher". Pour faire sécher les noix, il faut bien les écarter sur le plancher (PotteAuvThiers 1993).
2. – Si le tilleul est mûr, tu en ramasseras un peu. Tu le mettras dans la mansarde.
Tu l'écarteras sur la table pour qu'il puisse sécher, et puis tu laisseras la fenêtre ouverte. (D. Bayon,
Le Facteur de Mont-Joly, 1991, 129.)
● "disperser (du foin) sur un pré pour le faire sécher". Il faut écarter ce tas d'herbe. Ça sèchera plus vite (MartinPellMeyrieu 1987). Écarter soigneusement les endains [sic] (M. Massalve, Marie du fond du cœur, 1998, 62).
3. – S'il fait aussi chaud qu'hier […] et si on l' [le foin] écarte bien, […] on pourra peut-être déjà en rentrer dans la soirée ! (P. Arnoux, Les Loups de la Mal'Côte, 1991, 107.)
4. Dès l'aube, je partais rejoindre mes grands-parents qui fanaient […]. Munis de râteaux
aux longues dents, nous écartions le foin coupé la veille, pour qu'il sèche au soleil. […]. Nous avancions lentement,
attentifs à bien écarter les andains […]. (Chr. Signol, Bonheurs d'enfance, 1998 [1996], 86.)
5. Adolphe, plutôt maladroit avec les engins […] fait les recoins à la faux, « écarte », fane, rentre le foin. (« Journal d'un paysan de Creuse [A. Michard, Saint-Médard-La-Rochette] », présenté par T. Jolas et S. Pinton, Terrain. Carnets du patrimoine ethnologique 28 (1997), 158.)
V. encore s.v. beau, ex. 10.
● "disperser (du fumier, de l'engrais) sur une terre". Stand. épandre. – Autrefois on écartait le fumier à la fourche ; maintenant on l'écarte avec une épandeuse (TuaillonVourey 1983).
6. Y'avait aussi des hommes de journée. Y'en avait toute l'année. Un allait écarter du fumier, l'aut' allait dans les champs faire aut' chose ou ben travailler dans
la cour, dans l' jardin, dans l' grenier. (Marcel Barbier, meunier à Moutiers-en-Beauce, 1979, 25.)
7. Dans les champs, ils [les enfants] écartaient le fumier pour les labours, ils râtelaient le foin pour le mettre en petits tas « les chirons » ou en gros « les mules ». (Histoires et Traditions du Doubs, 1982, 117.)
8. Un jour, la bonne bête [un chien] partit à l'anglaise alors qu'Achille, l'ayant pris
avec lui, « écartait » du fumier […]. (Cl. Fourneyron, Quel temps faisait-il en Auvergne ?, 1991, 233-234.)
9. Sur le plateau, c'était déjà pénible, mais monter ces hottes lourdement chargées dans
la Côte, c'était encore plus dur. C'était sans doute la partie la plus éreintante
de l'opération car ensuite, écarter à la fourche le fumier autour des ceps demandait quand même un effort moins pénible.
(R. Langlois, Les Raisins de la passion, 1996, 17.)
● 〈Doubs〉 "étaler (la pâte d'une pâtisserie)". Écarter la pâte avec un rouleau en bois (Barbizier. Bulletin de liaison de folklore comtois, 1952, dans DuchetSFrComt 1993).
2. 〈Allier, Nièvre, Saône-et-Loire (ouest), Yonne, Hautes-Alpes, Lozère, Haute-Loire,
Cantal, Puy-de-Dôme, Limousin, Dordogne〉 rural "disposer (du linge) sur un pré ou un buisson (rural ; vieilli) ou sur un étendoir, afin de le faire sécher". Stand. étendre. – J'avais à peine fini d'écarter ma lessive qu'il s'est mis à pleuvoir (SabourinAubusson 1983). Maintenant, à la Mairie, y laissent pas écarter du linge aux fenêtres (QuesnelPuy 1995).
10. En cas de mauvais temps, on [les blanchisseuses de Nohanent, Puy-de-Dôme] « écartait » le linge sur les fils de fer galvanisés tendus dans les greniers. En cas d'urgence
([à] Saison de Royat), on séchait les serviettes de table au fer à repasser. (M. Jaffeux,
M. Prival, Artisans et Métiers d'Auvergne, Bourbonnais, Limousin, Rouergue, 1975, 117.)
11. […] il les [= draps] « écarta » dans la grande lumière plombée de l'après-midi en les maintenant avec des pierres
car il y avait un peu de vent qui sentait l'orage. / Le dernier drap étendu sur le
pré, Pierre s'éloigna vers l'amont. (M. Peyramaure, L'Orange de Noël, 1996 [1982], 250.)
12. Ma sœur demanda à ma mère, qui écartait le linge sur le coudert*, de venir la rejoindre dans la maison. (M. Fouriscot, Marie la dentellière, 1987, 78.)
13. Aux heures de gros et chaud soleil, elle écarte [en note : étendre] même les torchons, les serviettes, les caleçons longs, les mouchoirs,
les chaussettes, les chemises, soit sur une haie de buissons, soit à même l'herbe
verte […]. (M. Bénézit, La Voix des chaumières, 1999, 68.)
◆◆ commentaire. Innovation sémantique régionale de date moderne ou contemporaine, par restriction
de fr. général écarter "mettre les parties d'une chose à quelque distance les unes des autres", lequel n'est attesté que dep. 1573 (Vigenère [originaire de Saint-Pourçain], TLF).
2. tire son origine d'un emploi spécialisé de 1. dénotant une pratique traditionnelle (on écartait le linge sur le pré). L'aire globale
de ces particularismes est considérable (de la Bourgogne à la Franche-Comté au sud
du Massif Central et du Dauphiné, mais aussi en Beauce, v. ci-dessus, ex. 6) et il
est probable que le français de Lyon a joué son rôle dans sa formationa. Malgré l'étendue de cette aire, ces usages ne sont pas documentés avant le début
du 20e siècleb : ayant échappé à la stigmatisation (cf. leur apparition dans la métalangue de Dauzat
ou de Gardettec), ils ont été repérés avec retard (surtout à partir de 1970) dans la lexicographie
régionale et ils demeurent absents de la lexicographie générale.
a Le terme est passé dans les patois où il offre la représentation suivante : (i) type écarter le linge : ALB 1569, Nièvre, Saône-et-Loire ; ALLy 647 spor. (ii) type écarter le foin : ALLy 27 pt 4 et 31 pts 4, 12, 55. iii) type écarter le fumier ALCe 225 (dominant dans le Loir-et-Cher, le LoiretS. et le Cher) ; ALMC 646, Haute-Loire
pt 9, Chamalières et Cantal pt 17 Murat ; ALLy 1157, nord du domaine.
b Le sens indiqué par VerrOnillAnjou 1908 "étendre et aplatir avec la panne d'un marteau", et dont on ignore s'il est encore en usage, offre quelque analogie avec le sens
relevé ci-dessus dans le Doubs "étaler la pâte d'une pâtisserie" ; il s'agit d'innovations ponctuelles à partir du français.
c Témoin cette glose de l'ALLy où écarter apparaît dans la métalangue du commentaire de la carte 27 ‘défaire les andains’ : « Lorsque les faucheurs ont coupé le foin, on l'écarte avec des râteaux de bois, sur
toute l'étendue du pré, pour qu'il sèche mieux au soleil. »
◇◇ bibliographie. DauzatVinz 1915 s.v. dirama, dans la définition (sens 2) ; BoillotGrCombe 1929 (sens 2) ; BigayThiers 1941 (sens 1) ;
MazaleyratMillevaches 1959 (sens 1) ; VincenzCombeL 1974, 51, § 42 (sens 2) ; BonnaudAuv
1976 (sens 1 et 2) ; TuaillonVourey 1983 (sens 2) ; SabourinAubusson 1983 et 1998
(sens 1) ; GononPoncins 1984 (sens 2) « très courant » ; JaffeuxMoissat 1987 s.v. icartè (sens 1 et 2) ; QuestThiers 1987 (sens 1 et 2) ; MartinPilat 1989 (sens 2) « usuel à partir de 20 ans, bien connu au-dessous » ; TavBourg 1991 (sens 1) ; VurpasMichelBeauj 1992 (sens 2) « attesté au-dessus de 40 ans » dans le Beaujolais viticole et « bien connu au-dessus de 60 ans, en déclin rapide au-dessous » dans le Haut-Beaujolais ; DuchetSFrComt 1993 "étaler [la pâte]" ; FréchetMartVelay 1993 (sens 1 et 2) « usuel au-dessus de 20 ans, […] plus vivant chez les hommes que chez les femmes » ; PotteAuvThiers 1993 "étendre pour faire sécher" ; PruilhèreAuv 1993 (sens 1 et 2) ; VurpasLyonnais 1993 (sens 2) « connu » ; FréchetAnnonay 1995 (sens 2) « globalement connu » ; LaloyIsère 1995 (sens 1) ; QuesnelPuy 1995 (sens 1 et 2) ; GermiChampsaur 1996
(sens 1 et 2) ; FréchetDrôme 1997 (sens 2) « globalement connu » ; ValMontceau 1997 (sens 1) « expression […] tombée en désuétude » ; FréchetMartAin 1998 (sens 2) « connu à partir de 40 ans, peu attesté au-dessous » ; MichelRoanne 1998 (sens 2) « connu » ; FEW 3, 315b, *exquartare.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (écarter du linge) Haute-Loire, Puy-de-Dôme, 100 % ; Corrèze, Dordogne, Haute-Vienne, 90 % ; Creuse,
80 % ; Cantal, 75 %. (écarter du foin) Haute-Loire, 100 % ; Cantal, 75 % ; Puy-de-Dôme, 70 % ; Corrèze, Creuse, Dordogne,
65 % ; Haute-Vienne, 55 % ; Franche-Comté, 50 %. (écarter de l'engrais) Haute-Loire, 100 % ; Creuse, Puy-de-Dôme, 70 % ; Cantal, 65 % ; Dordogne, 50 % ;
Corrèze, Haute-Vienne, 45 %.
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