garder v. intr.
1. 〈Loire (Pilat), Isère, Drôme, Hautes-Alpes, Provence, Gard, Hérault, Aude, Lozère,
Ardèche, Haute-Loire (Velay), Limousin, Dordogne, Lot-et-Garonne, Gironde〉 rural, vieilli "surveiller le troupeau". Mathilde et Janine « gardaient » dans l’un des prés de la vallée (J. Blanzat, La Gartempe, 1954, 138). En revenant de garder sur les pentes (Cl. Duneton, Le Diable sans porte, 1981, 47). Quand j’étais petite, j’aimais bien garder (DucMure 1990). Les petits bergers du village qui gardaient dans la colline (L. Merlo, J.-N. Pelen, Jours de Provence, 1995, 251).
1. […] Marthe […] « gardait » derrière le parc ; il y avait là un grand pré entouré de champs de maïs […]. Marthe
s’asseyait sur un tronc d’arbre abattu et restait des heures, pensive, à tricoter,
en surveillant les évolutions du troupeau. (A. Dupin, Pierric, 1953, 89.)
2. On lui avait fait changer de pacage. Il aimait tellement garder au-dessus de la route : les bêtes n’y bougent guère et elles ne peuvent faire aucun
dégât […]. (M. Chaulanges, Le Roussel, 1972, 13.)
3. Frédéric, au milieu des brebis tarabustées par les chiens […] cria, les mains en porte-voix
et se rapprochant un peu d’elle :
– Je vais garder un moment […]. Viens me rejoindre si tu veux. (R.-A. Rey, Griotte, 1978, 30-31.) 4. Quand il [sic] venait le printemps, les gosses gardaient. A neuf ans on a presque tous gardé. Moi j’ai gardé à neuf, dix, onze, douze et treize. (Témoignage, dans J.-Cl. Bouvier, La Mémoire partagée, 1980, 51.)
5. […] le petit berger se débarrassera au plus vite des nombreuses petites tâches qui
lui incombent le matin[,] afin de « garder » lui aussi, le plus souvent possible. (J. Couffinhal, Le Petit Berger du Larzac, 1989, 40.)
6. Ah oui ! elle s’en souvenait, la Marraine. Elle s’en souvenait, ma grand-mère ! d’avoir gardé sur les puys ! (M. Delpastre, Les Chemins creux, 1996 [1993], 457.)
7. On avait encore des vaches, à l’époque. Mais tu le sais, puisque nous avons gardé ensemble. (R. de Maximy, Le Puits aux corbeaux, 1996 [1994], 67.)
8. Pierre, lorsqu’il gardait dans le pré à côté du bois Fitou, laissait Pépère le chien à la garde du troupeau,
et avec son couteau taillait des genêts qu’il entassait en faisceaux… (P. Chevrier,
La Haute-Bigue, 1996, 35.)
— Dans aller garder loc. verb. intr. "vaquer à cette surveillance". Demain il faudra aller garder de bonne heure (M. Chaulanges, Le Roussel, 1972, 11).
9. « Laisse-moi dormir… Prends Carlo et épie bien les deux chemins. S’il y a quelque chose,
tu fais du bruit, tu tapes tes sabots, tu appelles le chien comme pour aller garder. » (M. Chaulanges, Les Mauvais Numéros, 1971, 37.)
10. Il était loin le temps où elle craignait que les vaches pourraient lui échapper, elle
avait hâte au contraire de voir arriver le moment où il faudrait « aller garder » : ce qui avait été un cauchemar était devenu une véritable fête. (G. Marthon-Marchi,
La Terre à ses sabots, 1994, 93.)
11. Mes premières relations de voisinage furent celles avec les Papou. Francine, leur
nièce, m’invita à aller garder [grasses dans le texte] avec elle. L’âne précédait le troupeau de quatre vaches,
surveillé par une chienne noire. (P. Cousteix, « Vacances en pays d’Artense », Bïzà Neirà 90, 1996, 33.)
V. encore ici ex. 12.
□ En emploi métalinguistique.
12. Le soir, après l’école, rares étaient les parents qui ne confiaient pas à leur progéniture
le soin d’aller « garder ». Pas besoin de mettre un complément : quand un de mes camarades me disait « je vais garder », je savais bien que c’est en compagnie de ses bœufs et de ses vaches que je le retrouverais
dans les prairies humides des bas-fonds. (A. Paraillous, Le Chemin des cablacères, 1998, 113.)
2. 〈Allier (nord), Haute-Saône (Champagney), Doubs, Vendée〉 rural, vieilli "rester de garde à la maison, notamment à la ferme, quand les autres membres de la
famille s’absentent (par ex. pour la messe du dimanche ou lors d’une fête)". À la messe de minuit, c’est les femmes qui vont à l’office… C’est les hommes qui gardent (DromardDoubs 1997).
13. Les cloches sonnent à toute volée. C’est dimanche. Personne ne travaille. C’est-à-dire
qu’on en fait peut-être bien plus que les autres jours en un sens, tout au moins le
matin. Quand on ne peut faire autrement, par exemple quand on n’habite pas trop loin
et qu’on « garde » à son tour ce dimanche, on assiste à la première messe. (M. Richard, Une enfance heureuse. Une enfance vendéenne, [après 1960], 12.)
14. Son aide était précieuse aux heures difficiles, pour les naissances ou pour les deuils,
pour les maladies. On pouvait sans crainte lui confier la maison.
– Faudrait bien qu’on aille tous à l’enterrement de ce pauvre Toinon… Vous ne pourriez pas venir garder ? (Cl. Joly, Bonnes gens, 1976, 29.) — 〈Jura, Haute-Savoie, Haute-Saône〉 Emploi pron. C’est moi qui me garde pendant la messe (GrandMignovillard 1977, 37). Il se garde pendant la messe (ValThônes 1993).
◆◆ commentaire. Ces emplois, par restriction de fr. garder "exercer une surveillance attentive sur" ne sont pas dégagés dans les dictionnaires généraux contemporains. 1. Très largement attesté en milieu rural selon FEW (qui n’offre toutefois guère d’indications
sur l’emploi absolu), ce méridionalisme semble particulièrement attesté dans une bonne
partie du Massif Central. 2. Cet emploi semble plus restreint que le précédent et être en usage dans quelques
aires : à l’Est, dans la Franche-Comté et la Savoie (avec prolongement en Suisse romande),
le plus souvent en emploi réfl. (BeauquierDoubs 1881 ; CollinetPontarlier 1925 ; GrandMignovillard
1977 ; DuraffHJura 1986 « usuel » ; ColinParlComt 1992 ; ValThônes 1993 ; DromardDoubs 1997), au Centre, dans le Bourbonnais
(v. ici ex. 14) et à l’Ouest, en Vendée notamment, d’où il a passé outre Atlantique
(PoirierAcadG)a, où les puristes l’ont d’ailleurs critiquéb. Cette dispersion est l’indice d’un archaïsme dont un jalon (en patois) est fourni
dans un noël comtois de 1707 (C. Dondaine, Noëls au [sic] patois de Besançon, Thise (Doubs), SNI Jacques et Demontrond, 1997, G xx 22/5-8).
a C’est d’ailleurs dans le FichierTLFQ que se trouve la plus ancienne attestation de
ce sens : « […] une famille placée à une lieue, à deux lieuex et plus de l’église, attelle sa
voiture et envoie 4 ou 5 personnes à la messe : le reste récite religieusement le
chapelet à la maison ; et le dimanche suivant c’est à ceux qui ont gardé d’aller aux offices » (Lettre du père Tellier, missionnaire français, 30 janvier 1844, dans Lorenzo Cadieux,
éd., Lettres des nouvelles missions du Canada 1843-1852, Montréal-Paris, Les Éditions Bellarmin-Maisonneuve et Larose, 1973, 157).
b « Garder : Il ne faut pas employer d’une façon absolue ce mot pour signifier : garder la maison
pendant que les autres vont à la grand’messe le dimanche » (R. Rinflet, Dictionnaire de nos fautes contre la langue française, Montréal, Beauchemin, 1896, 111) ; comm. du TLFQ.
◇◇ bibliographie. (1.) MédélicePrivas 1981 « très courant » ; MartinPilat 1989 « usuel à partir de 20 ans » ; DucMure 1990 ; CampsLanguedOr 1991 ; MazaMariac 1992 ; FréchetMartVelay 1993 « usuel » ; FréchetAnnonay 1995 « globalement usuel » ; GermiChampsaur 1996 ; FréchetDrôme 1997 « usuel » ; FEW 17, 514a-b *wardôn. – (2.) J. D. (pour Champagney et Ronchamp) ; J.-P. Chambon (Ronchamp) ; FEW, loc. cit.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (1) Lozère, 100 % ; Hérault, 90 % ; Gard, 80 % ; Aude, 60 % ; (aller garder) Haute-Vienne, Creuse, Dordogne, 90 % ; Corrèze, 65 %.
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