horsain ou horzain n. m.
〈Normandie〉 "personne étrangère à la région, au village ; personne qu’on ne connaît pas". Synon. région. accouru*, hors-venu*.
1. Le horzain claqua discrètement la portière de sa D.S. Juste alors, il se demanda ce qu’il venait
faire dans cette campagne perdue, noyée sous un épais brouillard. (A. Druelle, Saga, 1972, 301.)
2. Enfin, puisque ce chapitre rappelle – ou révèle – des souffrances, des drames de la vie des Terre-Neuvas, je ne voudrais pas oublier
celle des « horzains ». Horzain – dago –, en notre langue de marin de la grande pêche, signifie étranger, c’est-à-dire au
sens où nous l’entendons, d’un lieu différent ou d’un milieu différent.
Dans notre cercle fermé, si dur déjà envers lui-même, le horzain était jadis la brebis galeuse par excellence, le bouc émissaire idéal de l’équipage qui, unanime, sans atteindre « personne » prenait un plaisir vraiment gratuit à le harceler de toutes les manières possibles, multipliant sur lui les plus pénibles « cartons ». Le mousse, dont la famille était souvent connue des uns ou des autres, trouvait parfois quelque défenseur, parvenait à émouvoir certains, mais le horzain jamais. Le horzain, comprenez bien, n’était pas « d’cheu nous », et donc n’était de nulle part – ou, pire encore, de régions relativement proches, mais détestées. De ce fait : nulle part à sa place – et même, est-ce qu’il ne volait pas celle d’un autre ? Aussi s’il se trouvait quoi que ce soit à redire à son travail – et croyez-moi, on en trouvait – malheur à lui, il se faisait dresser, et vite. Haro sur le horzain ! Haro sur le dago ! (J. Recher, Le Grand Métier, 1977, 198-199.) 3. Etaient présents trois ou quatre horsains, des Parisiens résidents secondaires, mais ils se sont fait éliminer [à un concours
de dominos] en deux coups de cuiller à pot […]… (R. Dubos, Histoires normandes, 1978, 98.)
4. On ne lui connaissait nulle attache, à quatre lieues à la ronde, ni frère, ni sœurs,
dans les environs. Pour tout dire, il était le « horsain » venu on ne savait ni comment, ni pourquoi du diocèse d’Avranches. (L. Costel, Le Dernier Harnais, 1987, 22.)
5. Ne suis-je pas un « horsain » – celui qui vient d’ailleurs et, de ce fait, forcément, dérange ? (B. Alexandre,
Le Horsain, 1988, 99.)
6. Curieux, l’instituteur essaie d’en savoir davantage. Il en sera pour ses frais. Les
Levasseur, en bons Normands, ne tiennent pas à parler de leurs affaires devant des
étrangers, des horsains. (M.-Fr. Hans, Du côté de la vie, 1990, 34.)
7. Rouen profite du brouillard pour cacher ses atours. La ville se voile devant le horsain qui tente de la découvrir. (Le Monde, 27 janvier 1992, 10.)
8. La maîtresse île des Chausey, la seule habitée de l’archipel, est si petite malgré
son nom de « grande île » que tout le monde s’y connaît. Les Bétin, père et fille, bien qu’étant des horsins [en note : étrangers au pays] étaient devenus familiers aux pêcheurs. (G. Dormann, La Petite Main, 1994, 54.)
9. On a, de longue date, enfoncé dans les esprits que la Normandie était le domaine de
la pluie et du vent. La pluie entretient la verdure des pâturages, le vent la verdeur
des habitants. Voilà bien une affirmation de horsain (étranger) propre à faire sourire, par défaut, les plus humbles des nôtres. La pluie,
le vent. Allons, messieurs ! mais nous revendiquons les pluriels, rien de moins. Et
sous d’autres noms plus chrétiens. (H. Gancel, Le Bâton de dignité, 1995, 149.)
— Emploi adj.
10. La résidence secondaire instaure un dialogue de signes entre les paysans et les citadins,
les uns imitant les autres, et réciproquement. Dans un premier temps, les paysans
se méfient toujours de ce qui est étranger, « horsain », et plus particulièrement de ce qui vient de la ville. Mais après les attentes, les
silences, les regards furtifs, les sourires, parfois les médisances, viennent les
premiers pas, les premiers gestes, les paroles amicales, et les échanges de services.
(A. Frémont, Paysans de Normandie, 1981, 48.)
■ graphie et prononciation. Si horsain est la graphie retenue par les dictionnaires généraux contemporains, horzain (ici ex. 1-2) correspond à la prononciation régionale du mot [ɔʁzɛ̃]a. On rencontre, moins souvent, horsin (ici ex. 8 ; Rob 1985, ex. de Zumthor ; Lar 2000) et, anecdotiquement, hors seinb.
a La prononciation est parfois, en milieu rural, [hɔʁzɛ̃] ou même [ʁɔʁzɛ̃], cf. la graphie r’horsain s.v. vilain, ex. 4. Pour ce dernier fait, v. René Lepelley, Le Parler normand du Val de Saire (Manche), Caen, Musée de Normandie, 1974, 60-62.
b « […] Joseph Menga, qui a réussi, lui, Marseillais bon teint, type même du “hors sein” comme on dit ici [au Havre], à s’emparer en juin 1981 du siège du notable havrais
qu’est Antoine Rufenacht » (S. et J. Lacouture, En passant par la France, 1982, 356), avec cette note : « Notre ami Jacques Nobécourt, Normand de souche et de culture, conteste cette orthographe
rationnelle [sic], et plaidant pour la graphie horsain, allègue Flaubert et Larousse. Bigre ! » V. déjà EudelBlois 1905 horsein.
◆◆ commentaire. Aujourd’hui caractéristique du français de Normandie (et de son pourtour, ALIFOms)
ou y référant, où il est attesté dep. 1578a (« les horsains et les estrangers » N. Le Fevre de La Boderie [né près de Falaise, Calvados], v. Gdf), horsain (de fr. hors "dehors", avec suffixe ‑ain, d’après forain) a été autrefois en usage dans une aire plus large (Amiens, 1661, Gdf = DebrieMoyPic ;
BourquelotProvins 1868 horsin "habitant hors de l’enceinte de la ville" ; Yvelines, LelongLuroué 1911 [20 occurrences]). Le terme est pris en compte par
les dictionnaires généraux contemporains qui indiquent son caractère diatopique :
GLLF « En Normandie… » ; Rob 1985 « Hist. ou régional (Normandie) » ; TLF « région. (Normandie) » ; NPR 1993-2000 « région. ». Le succès du livre de B. Alexandre qui porte ce titre (v. ici ex. 5) a répandu la
connaissance du mot.
a L’indication de Dauzat DELF 1938-1968 qui date le mot du 13e siècle n’a pu être vérifiée ni par le TLF ni par nous.
◇◇ bibliographie. LeMazeHavre 1903 ; RLiR 42 (1978), 179 orzain ; BouLeScCaux 1981 ; LepelleyBasseNorm 1989 horzain ; BrasseurNorm 1990 id. ; LepelleyNormandie 1993 id. ; SchortzSenneville 1998 ; FEW 3, 701b-702a, foras.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Basse-Normandie, 65 %.
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