marée n. f.
〈Côtes de Manche, de Bretagne et de Vendée.〉
1. usuel "marée de fort coefficient (notamment marée d’équinoxe)". À la prochaine marée, on sera à Noël (R. Vercel, La Caravane de Pâques, 1988 [1948], 448).
□ En emploi métalinguistique.
1. On ne dit pas « la grande marée », en Bretagne, on dit « la marée » tout court. Elle est postulée grande, source de vents, de nuages et de pluie. Mais
c’est une fête, une fête de la moisson. Quand j’étais enseignant, j’étais abasourdi
par la hâte que manifestaient mes collègues de quitter le lycée sitôt les cours achevés.
[…] Les jours de « marée », pour peu que le bas de l’eau fût proche de la sonnerie finale, c’était bien pire.
Deux ou trois heures avant, une nervosité collective était perceptible. […] Les seaux,
les paniers, les bottes, les crocs, les haveneaux, les épuisettes attendaient dans
le coffre des voitures. (H. Hamon, Besoin de mer, 1999 [1997], 97.)
2. pêche.
2.1. "sortie de pêche en mer, pendant une ou plusieurs journées".
2. C’est là [au grenier] que je dors [pendant des vacances aux Sables-d’Olonne], en face
de deux marins bretons, Louis et Jean, pensionnaires qui ne paraissent qu’irrégulièrement
entre deux « marées », hommes simples et discrets, fort sympathiques et que j’aime bien. (M. Richard. Une enfance heureuse. Une enfance vendéenne, [après 1960], 75.)
3. Tous pourtant, à l’exception du mousse dont c’est la première marée sur l’Herbe d’Or, ils ont vu Pierre Goazcoz en proie à son mal et c’est là un spectacle qui n’est pas
rassurant. (P.-J. Hélias, L’Herbe d’or, 1982, 84.)
4. C’est ainsi que Filopenn s’installa au gré des nouvelles du port, entre le vent trop
fort ou la toile déchirée, le poisson capricieux et la dernière bordée de marins rentrés
de marée. (A. Jacq, Légendes de Bretagne, 1996, 166.)
5. Au retour d’une marée les marins lui portaient un crabe, une sole, quelques rougets. (J. Failler, Mort d’une rombière, 1997, 42.)
● Dans le syntagme marée de pêche.
6. Le moteur lancé aussitôt, les voiles établies, le canot met le cap au large pour une
marée de pêche. (J. Recher, Le Grand Métier, 1977, 21.)
— faire la / une marée loc. verb. "aller à la pêche en mer pendant une ou plusieurs journées".
7. Le lendemain, la grande marée du mois montait à son plus fort coefficient. P’tit Louis,
qui depuis la veille gardait un visage malade, sortit son vélo, en disant :
– J’ vas faire la marée avec Raymond. Raymond Beuclère, le mécano de Chateauneuf… Et la pêche chez les Marauds, des gens qui, à eux tous, n’ont pas un bateau ! La pêche à pied, celle des Parisiens qui s’appellent d’un bout de la grève* à l’autre, quand ils ont trouvé un bigorneau ! Et ça, quand on avait une bisquine à soi, comme la Victorine. (R. Vercel, La Caravane de Pâques, 1988 [1948], 434.) 8. En attendant un nouvel engagement pour Terre-Neuve, je réembarquai à la pêche fraîche,
mais cette fois comme second. Nous faisions des marées d’environ huit jours. (L. Martin, Forçats de l’Océan. La grande pêche de Terre-Neuve aux Kerguelen, 1986, 91.)
9. – […] qu’est-ce que ça peut faire que ce soit sur un bateau ou un autre qu’il ait fait sa dernière marée ? Ça remonte à plus de cinq ans ! (J. Failler, Marée blanche, 1996 [1994], 36.)
10. – […] La prochaine fois que les politicards viennent par ici nous abreuver de bonnes
paroles, on les embarque tous, députés, sénateurs, ministres, de gauche comme de droite,
on les fout sur un chalutier et on fait une marée en mer d’Irlande avec ces beaux messieurs. Et quand on les ramène à terre, on leur
dit : messieurs, vous devez cinq cents balles pour votre nourriture ! Là, peut-être
qu’ils commenceraient à comprendre nos problèmes.
– Surtout, dit un autre marin, qu’ils auraient dégueulé pendant quinze jours ! (J. Failler, Marée blanche, 1996 [1994], 46.) 11. – Parce qu’à bord, les connards et les fainéants, ça fait une marée, pas deux ! Le patron, il ne tolère pas ! (J. Failler, Marée blanche, 1996 [1994], 88 .)
— 〈Côte nord de l’Ille-et-Vilaine〉 marée de caravane loc. nom. f. "sortie de pêche en mer pour draguer des huîtres".
12. La pêche pascale avait en effet battu tous les records. Dès le soir du grand dimanche,
les femmes avaient mesuré la hauteur des tas [d’huîtres draguées], en allant les recouvrir
de vieux filets, de morceaux de chaluts, qu’elles fixaient au sol par des piquets,
afin d’empêcher les vols nocturnes. C’était leur rôle à chaque marée de Caravane. Et cette fois, la plupart de ces défenses s’étaient trouvées trop courtes. (R. Vercel,
La Caravane de Pâques, 1988 [1948], 370.)
2.2. "journée de pêche d’un chalutier".
13. Depuis quatre jours que nous sommes sur les bancs, la pêche donne bien. […] Dès la
première marée, les hommes ont attaqué fougueusement. Le lendemain a connu un léger ralentissement
de la cadence. (J. Recher, Le Grand Métier, 1977, 140.)
14. Il ne fallait pas que sa première marée fût compromise par des heures ou des jours à la cape ou à l’abri dans un port, terré
comme un renard peureux derrière une digue irlandaise ou écossaise. Ce fut pourtant
à quoi le temps le contraignit alors qu’ils remontaient le chalut sur Ouest Ecosse.
(H. Jaouen, Flora des Embruns, 1991, 68.)
2.3. "résultat (quotidien ou global) de la pêche d’un chalutier".
15. Les hommes expriment le meilleur d’eux-mêmes et de bonnes marées s’inscrivent sur le cahier de pêche. (J. Recher, Le Grand Métier, 1977, 124.)
16. Un marin-pêcheur [à Lorient], en mer depuis dimanche – on est mercredi matin – se
dit plutôt satisfait de la « marée » […]. En mer, on pêche surtout le jour, mais il faut assurer la nuit. À six, cela
laisse peu de temps pour dormir. Mais sur ces bateaux de petite taille, on ne part
guère que plus de trois ou quatre jours : aussi bien le poisson débarqué est-il toujours
très frais, et comme tel plus prisé que celui que ramènent, déjà congelé, les grosses
unités. Très cordial […], le marin nous offre une partie de sa « godaille »*, poisson en vrac auquel il a droit en plus de sa part légale. (S. et J. Lacouture,
En passant par la France, 1982, 307.)
◆◆ commentaire. Attesté au sens 2 dep. ca 1260 (« poisson de mer […] de deus marees » Estienne Boileau, v. TLF), par métonymie de fr. marée "mouvement alternatif journalier des eaux de la mer" (dep. 1306, v. TLF) dont le sens 1 est un emploi par restriction. Avant de désigner une campagne de pêche de quelques
jours, le terme a d’abord désigné la pêche côtière quotidienne réglée par les mouvements
de la marée, le bateau quittant habituellement le port à marée haute et y revenant
à la marée haute suivante ; aj. à FEW 6/1, 318b, mare. Caractéristiques d’une partie des côtes de l’ouest de la Francea, ces sens sont absents des dictionnaires généraux contemporains et des relevés régionaux,
sauf de BrassChauvSPM 1990 qui relève le sens 2, dans le français de Saint-Pierre-et-Miquelon.
a Seule une enquête complémentaire permettrait de savoir si cet usage s’étend aux autres
régions côtières (v. l’exemple donné dans LittréSuppl).
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96 : Ø.
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