godaille n. f.
I. 〈Côtes de Bretagne, de Vendée et de Charente-Maritime.〉
1. pêche "part en nature que reçoit chaque marin pêcheur au retour de la pêche, ou compensation
financière équivalant à cette part". Synon. région. cotriade*.
1. – […] Ma mère attendait mon père de la même façon quand il était au large. Il n’y
a rien qui use autant. Elle est morte l’année même où il a ramené sa dernière godaille pour ne plus faire que de jouer aux cartes chez Tante Léonie et se crever les poches
avec les poings sur le quai. (P.-J. Hélias, L’Herbe d’or, 1982, 46.)
2. Jos a 13 ans. Il remonte la venelle des Alcyons poussant sans peine une brouette contenant
une maigre godaille. (J.-Cl. Boulard, L’Épopée de la sardine, 2000 [1991], 23.)
3. Il espionnait pour son compte, rapportait les ragots, écoutait aux portes et gare
aux grandes gueules qui se vantaient d’avoir détourné de la godaille pour la vendre directement aux hôtels-restaurants. (H. Jaouen, Flora des Embruns, 1991, 31.)
4. Le bateau appartenait alors aux hommes qui l’habitaient. Depuis qu’il leur a échappé,
le poisson frais offert sans arrière-pensée, pour le seul plaisir de donner, s’est
converti en vil argent. Et la tradition s’est peu à peu vidée de sa substance ; le
marin de son âme. / Il arrive maintenant que des discussions âpres s’engagent sur
le montant de la « godaille » (le nom a été conservé) considérée, revendiquée désormais comme un supplément de
salaire, sous forme financière. Un dû. C’est aussi le prix de l’indépendance perdue…
(PichavantDouarnenez 1996, 108.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
5. […] Jacky, le pêcheur de l’île d’Yeu, utilisait […] un terme propre à son île : la
« godaille » qui désigne la part de poissons revenant à chaque marin sur un bateau de pêche. (Y. Queffélec,
Le Charme noir, 1985 [1983], 131.)
6. […] les navigants de l’armement de pêche industrielle Pétrel, filiale d’Intermarché,
sont en grève depuis le 24 octobre à Lorient. […] / Conditions de travail, de rémunération,
jours de congé, mise en place d’un comité d’entreprise : les revendications ne diffèrent
guère d’un conflit social classique. Mais elles révèlent une différence d’approche
culturelle. L’affaire de la « godaille » – cette habituelle part de revenus en nature – l’illustre. Les marins la revendiquent
au nom de la tradition : Intermarché, qui juge la pratique archaïque, ne veut pas
en entendre parler. (Le Monde, 22 novembre 1997, 19.)
V. encore s.v. marée, ex. 16.
2. Par méton.
2.1. pêche "poisson(s) pris dans cette part en nature". Tu veux une godaille ? (PichavantDouarnenez 1986).
2.2. usuel "plat de poisson(s) et de pommes de terre, accompagnés du bouillon dans lequel ils
ont cuit". Synon. région. chaudrée*, cotriade*.
7. Ce [la pêche] n’était pas tant pour améliorer son ordinaire, car il préférait le goût
du lard à celui de la godaille, mais plutôt pour donner du relief à son existence et obéir à un obscur instinct de
lutte. (P.-J. Hélias, L’Herbe d’or, 1982, 39-40.)
8. – J’ai ramené des soles pour la godaille.
– Encore des soles ? Il n’y avait pas de grondins gris ? (J. Failler, Marée blanche, 1996 [1994], 89.) 9. « Ça vit de rien, ces vieilles dames », avait dit l’adjudant-chef Palud, « quelques légumes, quelques œufs, une godaille de poisson, du café et du pain beurré [v. pain-beurre]… » (J. Failler, Mort d’une rombière, 1997, 49.)
■ encyclopédie. Recette de « Godaille lorientaise » dans L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Bretagne, 1994, 351.
II. 〈Basse Bretagne〉 prendre/ramasser une bonne godaille loc. verb. fam. "s’enivrer". J’ai ramassé une godaille quand j’attendais pas. Un par-ci par-là, et puis voilà ! (PichavantDouarnenez 1996).
III. 〈Centre-Ouest〉 rural, vieilli "vin rouge ajouté à un reste de bouillon (gras), que l’on boit à même l’assiette". Synon. région.chabrol*. – Le rite quotidien et sacré de la godaie [sic] (Y. Viollier, Retour à Malvoisine, 1979, 144).
— Dans la loc. verb. faire godaille. Synon. région. chabroler*/chabroter*, faire chabrot*.
10. Aujourd’hui, combien de Charentais parmi les jeunes qui n’ont jamais fait « chabrol »* ou « godaille » en versant le vin rouge dans le bouillon. (L. Ganachaud, Lée Bitons chérentais, 1949, 91.)
11. […] Monsieur Théophile a sollicité cérémonieusement la permission de faire godaille […]. Tous, nous avons versé le clairet sur le petit fond de bouillon chaud, levé
l’assiette à nos lèvres, et bu à même comme des générations de gens parfaitement éduqués
l’avaient fait avant nous à cette même table. (M. Gurgand, Nous n’irons plus au bois, 1979, 154.)
□ Dans un contexte métalinguistique.
12. Kléber verse une rasade de rouge dans son assiette, secoue pour assurer le mélange
avec le bouillon et boit à même, sans cuillère. Ici, on appelle ça faire godaille. (I. Favreau, Les Mouettes en rient encore, 1987, 91.)
■ variantes. 〈Surtout Pyrénées-Atlantiques〉 goudale. « Le vin de la goudale dans la soupe brûlante et le grand feu de sarments dans la cheminée emplirent Bernard
d’une torpeur bienfaisante » (R. Escarpit, Les Voyages d’Hazembat. Marin de Gascogne (1789-1801), 53) ; « La garbure* est superbe […]. Un rouge du Béarn […] incite à la goulade » (A. Aviotte, Artichaut, 1996, 288-289) ; V. encore s.v. garbure, ex. 3.
◆◆ commentaire. Sens absents des dictionnaires généraux contemporains.
I. Caractéristique du français de certaines côtes de l’Atlantique, 1, documenté depuis 1982 seulement (v. ci-dessus, ex. 1), ne peut guère remonter au-delà
du 20e ou du 19e siècle, fr. godaille "débauche de table ; ivrognerie", duquel il provient par restriction, n’étant attesté, d’abord en fr. populaire, que
dep. 1795 (DDL 32). Ce sens a donné lieu à deux métonymies régionales successives
(2).
II. Archaïsme issu du français général (v. le précédent), enregistré de Boiste 1800 à
Lar 1948 (FEW, loc. cit, citant Flaubert et Zola) ; il se double sans doute ici d’un jeu de mots (cf. RézeauOuest
1984 prendre une loubine "s’enivrer", sur la côte vendéenne, où loubine signifie au sens propre "bar ou loup de mer").
III. Principalement attesté dans le français du quart sud-ouest de la France (mais aussi
dans un parler de Haute-Saône, en 1939)a, dep. 1877 sous la forme goudale (« Un correspondant nous apprend que goudale s’est conservé dans le Bordelais, où il signifie un mélange de vin et de bouillon :
faire goudale, boire du bouillon mélangé de vin » LittréSuppl) ; dep. av. 1896 (v. RézeauOuest 1984).
a J. Humbert, Glossaire du patois de Brotte-lez-Luxeuil, Paris, Droz, 43, qui glose far góday par… "faire chabrol".
◇◇ bibliographie. (I) PichavantDouarnenez 1978-1996 ; RézeauOuest 1990 ; FEW 15/1, 12b, ale. – (II) PichavantDouarnenez 1978-1996. – (III) MussetAunSaint 1932 ; DauzatStGeorgesD 1934 ; RézeauOuest 1984 et 1990 ; KellerRussoBéarn
1985 goudale ; SallesLBéarn 1986 goudale ; SuireBordeaux 1988 et 2000 ; BoisgontierAquit 1991 goudale ; FEW, loc. cit.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (III) Charente, Charente-Maritime, Deux-Sèvres, 100 % ; Vienne, 80 % ; Vendée, 50 %.
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