piler v. tr.
1. 〈Normandie〉 rural Emploi abs. "écraser les pommes pour faire du cidre ; par ext. faire du cidre". C’était la saison du cidre. On « pilait » (J. Le Povremoyne, Ma Grand’Mère paysanne, 1991 [1954], 108).
1. On allait piler bientôt. Les « cœur de loup » trop mûres menaçaient de pourrir et le doux-amer [= variété de pommier] était à point.
(P. Lebois, Les Trois Amoureuses de Villeclaire, 1968, 131.)
2. [La « goutte »] non seulement payait le fermage, mais donnait, avant 1940, une bonne chance de devenir
propriétaire, à un tenancier qui « pilait » bien. (P. et Fr. Coulmin, La Société paysanne en bocage normand, 1979, 19.)
3. Avec l’automne viennent les pommes à ramasser dans les grands paniers d’osier pour
les mettre en tas jusqu’au moment de faire le cidre, ou « piler ». (Pays et gens de France, n° 25, la Manche, 11 mars 1982, 18.)
2. 〈Surtout Basse-Normandie, Orne (est), Loire-Atlantique, Saône-et-Loire (sud-ouest), Gironde〉 usuel "aplatir, fouler, tasser, broyer par une compression". Stand. écraser, piétiner. Synon. région. esquicher*, quicher*.
4. Les hommes, qui avaient vidé et transporté les baquets*, pilé le raisin dans les basses [= récipients pour transporter la vendange], s’occupaient
de charger la vendange dans la charrette, pour la conduire au pressoir. (É. Boutin,
M. Guitteny, Le Pain bénit, 1999, 260.)
— Emploi tr. indir. piler dans qqc. "marcher dans". Piler dans une flaque, dans la rigole (GonthiéBordeaux 1979) ; piler sur qqc. "marcher sur". Ne me pile pas sur les pieds (LepelleyBasseNorm 1989). On pilait dans des sables comme des sables mouvants (Témoin femme, Saint-Victor-de-Réno, Orne, 22 avril 1996).
5. […] porte-bonheur […] de dans le temps, comme le trèfle à quatre feuilles, la corde
de pendu ou la crotte de chien quand on pile dedans du pied gauche. (H. Bouyer, L’Eclair, 12 juillet 1975, dans BrasseurNantes 1993.)
6. « Il y a des jours, dit-elle, cet escalier est une poubelle. Une fois, j’ai eu juste
le temps de reculer, je pilais sur un rat. » (Habitante, env. 30 ans, d’un HLM d’Évreux, dans Messages du Secours catholique, n° 438, juin 1991, 18.)
— Au part. passé/adj.
7. – […] Vous avez du culot ! Venir comme cela vous installer sur ma pelouse, dans mon
jardin…Vous ne manquez pas d’audace. Sur mon gazon, pour abîmer mon herbe […].
– Bien, que je lui fais, ton herbe, on ne va pas la manger… Même qu’elle serait un peu pilée, elle repoussera. (R. Dubos, Histoires normandes, 1978, 44.) ■ dérivés. 〈Normandie〉 pilage n. m. "action de broyer les pommes pour faire le cidre". « – La vie est triste dans le bocage, c’est pourquoi tout y est fête. Surtout les corvées.
Le cochon qu’on tue, le pilage des pommes, le battage du sarrasin » (J.-L. Ezine, La Chantepleure, 1983, 107).
◆◆ commentaire. Fr. piler "broyer, écraser, réduire en poudre ou en petits morceaux" est attesté dep. ca 1170 (« orge piled pur faire grüel » Livre des rois, TL) et ce sens figure toujours, sans marque, dans le français de référence. 1. est un emploi dont l’ancienneté et la localisation sont indirectement attestées par
le dérivé pilage (dep. 1310, Gdf, texte non localisé, mais les autres textes cités pour ce mot par
le même ouvrage, dep. 1312, concernent la Normandie) ; il est attesté dep. 1463-1466
en Anjou « troys hommes qui vacquèrent par ung jour à cuillir, piller, porter aux pressouez et
raporter à la maison l’esgraz des voliers de la rue aux Juifz » Comptes de G. Tual, dans Revue de l’Anjou 1883, 129, et dep. 1553 en Normandie « Nous en revinsmes par chez petit Jean Luce, que nous trouvasmes en son pressoyer,
et grand Jehan Luce, qui y pilloit » Journal du sire de Gouberville, Caen, 1893, t. 2, 52 ; v. LittréSuppl « en Normandie » ; MoisyNormand 1887 ; ALN 245. 2. est enregistré au sens de "fouler aux pieds, piétiner" dans TLF et Rob 1985, sans marque et sans exemple récent ; seul TLF indique l’emploi
tr. indir. "marcher sur" avec la marque « région. (Canada) ». Ces emplois semblent en fait particulièrement conservés dans l’Ouest ainsi que dans
les français d’Amérique du Nord : Québec (VigerB 1810 piler sur qqna ; Dunn 1880, Dionne 1909, GPFC 1930, DQA 1992), Acadie (piler du foin et piler sur les pieds de qqn PoirierAcadG ; piler du foin MassignonAcad 1962, § 716), Saint-Pierre-et-Miquelon (DéribleSPM 1986 ; BrassChauvSPM
1990) et Louisiane (DitchyLousiane 1932) ; v. encore ChaudRéun 1974. Une petite aire
bourguignonne témoigne elle aussi de la survivance de ce sens, qui est attesté dans
le français de Normandie dep. 1611 (« Sur ta mere il fallut fouler Et sur le ventre luy piler » Vaux-de-vire d’Olivier Basselin et de Jean Le Houx, éd. P.L. Jacob, Paris, Delahays, 1858, 151) ; 1622 (« – Laissez cela, monsieur, laissez cette Donzelle. / – Il pile sur ma robbe, et bien
vous mocquez-vous ? / – Frappez dessus son dos, assommez-le de coups » (R. Angot de l’Eperonnière, Les Exercices de ce temps, éd. F. Lachèvre, 37, comm. de P. Enckell).
a Indication tirée du FichierTLFQ.
◇◇ bibliographie. JaubertCentre 1864 ; MoisyNormand 1887 ; FertiaultVerdChal 1896 ; MazeHavre 1903 ;
BarbeLouviers 1907 ; VerrOnillAnjou 1907 ; CormeauMauges 1912 ; StMleuxStMalo 1923 ;
RLiR 42 (1978), 180 Calvados et 194 Normandie ; GonthiéBordeaux 1979 ; TuaillonRézRégion
1983 emploi tr. indir. (Manche) ; LepelleyBasseNorm 1989 ; BrassChauvSPM 1990 ; TavBourg
1991 ; BrasseurNantes 1993 ; LepelleyNormandie 1993 ; SchortzSenneville 1998 ; SuireBordeaux
2000 ; FEW 8, 489b, pilare.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (1) Basse-Normandie, 80 %. (2) Basse-Normandie, 90 % ; Loire-Atlantique, 40 % ; Sarthe, 30 % ; Ille-et-Vilaine,
10 % ; Maine-et-Loire, 0 %.
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