quine n. f.
〈Surtout Provence, Gard, Hérault, Aude, Pyrénées-Orientales, Aveyron, Lozère, Ardèche, Dordogne,
Gers, Pyrénées-Atlantiques (Béarn), Gironde〉 usuel
1. loto.
1.1. Emploi exclamatif "(mot que l’on prononce quand on a rempli une rangée de cinq numéros)".
1. […] jusqu’à minuit, en haut, en bas, ils jouaient au loto. Dans l’escalier, on entendait
crier : Quine ! (R.-A. Rey, Augustine Rouvière, Cévenole, 1977, 72.)
2. Je me souviens de mémorables parties de petits chevaux auxquelles mon père se mêlait
et d’autres de loto où il n’y avait rien à gagner que la gloire d’être la première
à dire : « Quine » ! (M. Rouanet, Nous les filles, 1990, 205.)
3. Les gens d’ici disent un « tricycle » pour trois numéros, et pour quatre, ils ne disent rien.
Ils attendent le cinquième. Si sortait le trois ou le quarante-six, Jean aimait dire « Quine ! ». Au fait, se demandait-il, doit-on, dire un quine ou une quine ? La désinence en e le faisait pencher plutôt vers le féminin […]. (R. Castans, dans A. Roustan (dir.), Nouvelles des Cévennes, 1996 [1994], 60.) 4. J’échappe aux parties monotones de petits chevaux ou de jeu de l’oie, aux quine triomphants d’une des jumelles qui a rempli son carton de loto. (Th. Bresson, L’Enfant des bords du Rhône, 1990, 66.)
V. encore s.v. papé, ex. 20.
1.2. Par dérivation délocutive "série de cinq numéros gagnants placés sur la même rangée horizontale du loto".
5. […] le loto, où chaque quine valait au joueur une fougasse* […]. (Ch. Forot et M. Carlat, Le Feu sous la cendre, 1979, t. 1, 397.)
6. Regarde-moi tout c’ que j’ai gagné à c’ match au loto. Quatre quines ! C’est la première fois d’ ma vie. (L. Semonin, La Madeleine Proust, 1990, 249.)
7. […] tandis que défilent les chiffres et que se succèdent les quines, si vous ne gagnez pas, vous avez du moins le bonheur d’assister à un genre de théâtre,
à un sketch, mi-répétitif mi-improvisé, où l’on apprécie autant la voix de stentor
du tireur (sans micro) que son don d’invention. (A. Conte, Au village de mon enfance, 1994, 46.)
— Par opposition à carton plein. On jouait à quine (une seule rangée de numéros) ou à carton plein (J.-Cl. Carrière, Le Vin bourru, 2000, 70).
8. Quant aux lotos, ils débutent […] souvent le jour de la sainte Barbe (4 décembre)
pour s’achever le jour de la Chandeleur (2 février). Ils réunissent – fait exceptionnel
– hommes, femmes et enfants au café ou au cercle. Les joueurs garnissent les numéros
des cartons qu’ils ont achetés au fur et à mesure qu’on les tire du sac : les premiers
qui ont rempli une colonne de cinq numéros (partie à « quine ») ou la totalité du carton (partie à « carton plein ») gagnent un lot […]. (Provence, 1989, 244-245.)
V. encore s.v. rifle, ex. 2.
1.3. Par méton. "jeu de loto". Synon. région. rifle*. – J’aime aller à la quine (NouvelAveyr 1978).
9. […] les quines se jouent surtout dans le Bergeracois et le Belvésois (au profit de diverses associations,
notamment les équipes de rugby locales). Le plus souvent, sur les affiches publicitaires
annonçant ces manifestations, le nom « quine » est mis abusivement au féminin : « Jeudi soir, grande quine ». (PierdonPérigord 1971, 158.)
— En appos.
10. Cocheren [Moselle] Loto quine / Le club d’épargne Le Foyer de Belle-Roche organise ce dimanche un loto quine […]. (Le Républicain lorrain, 24 septembre 1999, 9.)
11. Saint-Martin-de-Lansuscle / FNACA [= Fédération nationale des anciens combattants
en Algérie] loto-quine. Le président et le comité de Saint-Étienne-Vallée-Française vous remercient pour
avoir répondu présent au loto du dimanche 4 mars […]. (La Lozère nouvelle, 10 mars 2000, 47.)
2. Par anal. jeu de boules.
2.1. Emploi exclamatif "(mot que l’on prononce quand on a gagné la partie)".
12. – Quine, Henri ! Neuf et trois douze.
– Si j’avais mes boules de Bandol ! Je te le ferais voir quine. (Ch. Blavette, Ma Provence en cuisine, 1984 [1961], 72.) 2.2. "point qui, en fin de partie, assure la victoire".
13. […] déviée aussi par ce gravier miraculeux, la boule va bousculer le « petit » qui roule de quelques centimètres […]. Incontestable, cette fois, le point est aux
Marseillais ! Tiens voilà le treizième ! clame un soigneur, toujours pour flanquer
la panique. L’autre soigneur marseillais claironne, en regardant la foule : « Tè*, voilà la quine ! » (R. Provane, Contes et légendes en Provence, 1998, 147.)
— faire quine loc. verb. "marquer ce point". Douze et un treize, on a fait quine (Carpentras, 1996, dans MartelBoules 1998). On a fait quine, on a gagné (Aix-en-Provence 1997, ibid.) ; faire voir quine à qqn loc. verb. "l’emporter sur lui". V. ici ex. 12.
◆◆ commentaire. 1. Attesté dans cet emploi dep. 1788 (« Ma bonne amie, nous avons fait un lotto ; Madame du Bois a […] joué avec nous : elle
a eu un quine & deux quaternes, avec plusieurs ternes, de façon qu’en très-peu de
tems, le lotto a été fini » [Huvier de Fontenelles], Les Soirées amusantes, ou Entretien sur les jeux à gages et autres, Duchesne, 119, comm. de P. Enckell) et entré dans Ac 1798, ce sens de quine est particulièrement fréquent dans les régions où le loto fait partie des jeux de
société traditionnels (notamment dans les communautés villageoises, v. SuireBordeaux
1988), comme c’est le cas dans le sud de la France. Il est loin de s’y cantonner,
comme le montrent les ex. 6 et 10-11 (auxquels on ajoutera Saint-Pierre-et-Miquelon,
faire quine "gagner au jeu de loto" BrassChauvSPM 1990)a, mais il y constitue un régionalisme de fréquence. Seuls des dictionnaires généraux
contemporains, Rob 1985 et NPR 1993-2000 mentionnent cet emploi de quine avec la marque « régional », sans autre indication. Le mot, masculin en français normatif (et en occitan à la
fin du 19e siècle ; cf. Mistral avec trois exemples d’auteurs), est passé au féminin, d’après
sa finale en ‑ine, dans le français du Midi, d’abord au niveau populaire (et, de là, dans les parlers
occitans emprunteurs) ; l’usage du masculin est cependant encore attesté régionalement
dans la langue soutenue (au témoignage d’André Soutou, Bulletin de la Société archéologique des hauts cantons de l’Hérault 23, 2000, 238, qui cite le Journal de Millau et atteste aussi le féminin quino dans les parlers du Larzac). Il est probable, à l’instar d’autres noms de jeux (comme
chat, chat perché, sans atout, tout atout, jacquadi, pigeon-vole, pile ou face, qui-perd-gagne,
quite ou double)b qu’on ait là aussi affaire à un délocutif, quine étant une substantivation de l’énoncé « Quine ! », lui-même emprunté au lat. quini. 2. est attesté dep. 1961 (v. ex. 12 ; VidalBoules 1990 « aux boules, le point qui fait quine, c’est le point de la victoire ».
a Le wallon de Bastogne aussi, comme celui de Liège, de Charleroi et de bien d’autres
endroits de la Wallonie, connaît quine n. f. (loto et exclamation quand on a rempli une rangée de cinq numéros). Mais ce
mot, connu des aînés, est sorti de l’usage (comm. de M. Francard ; v. FrancardBastogne
s.v. 2.kine et Pohl 1950).
b Voir J.-Cl. Anscombre « Un essai de caractérisation de certaines locutions verbales », Recherches linguistiques, Université de Paris VIII-Vincennes, n° 10, hiver 1982, 19.
◇◇ bibliographie. JBLGironde 1823, 119 « quine. Combinaison de cinq numéros pris ensemble à la loterie ; dites un ou le quine, et non la quine » ; PierdonPérigord 1971 ; DuclouxBordeaux 1980 ; SuireBordeaux 1988 « poussée de fièvre aiguë de ce jeu en décembre et janvier dans la campagne bordelaise » ; CampsRoussillon 1991 ; MazodierAlès 1996 ; MartelBoules 1998 « partout » ; MoreuxRToulouse 2000 « régionalisme inconscient » ; FEW 2, 1479a, quini.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Pyrénées-Orientales, 90 %.
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