rendre v. intr..
Dans être rendu usuel
1. 〈Surtout Allier, Haute Bretagne, Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire, Centre-Ouest, Puy-de-Dôme〉 [Le sujet désigne une personne ou un inanimé concret]
— "être arrivé (à un certain point de l’espace ou du temps)". J’en suis rendu à la page 34 de mon livre (BlancWaltHBret 1999).
1. L’eau courait au pied des maisons […] et se répandait partout sous les coups repris
du tonnerre […]. Tous épiaient la montée du niveau chez le voisin. « Elle est rendue dans mon chais [sic] » ! criait l’un. (Ph. de Boissy, La Grande Marée, 1961, 84.)
2. – A Paris, c’est loin, hasarde Génie.
– Oh, avec le chemin de fer. Trois heures d’arrêt à Moulins, ça laisse le temps de déjeuner et de voir, et je serai rendu à 4 h. 18 d’après-midi à Paris. (G. Rey, La Montagne aux sabots, 1994, 79.) V. encore s.v. doué, ex. 4.
— "être, se trouver (dans tel ou tel endroit)". Où donc qu’ils sont rendus les ciseaux ? (BlancWaltHBret 1999).
3. Quant aux deux autres filles, la première, mariée avec un ouvrier spécialisé de chez
Renault est rendue à Paris. Une vraie dame quand elle revient celle là. (A. Soury, Les Métayers de 46, 1998, 322.)
2. 〈Haute Bretagne, Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire, Centre-Ouest, Indre-et-Loire, Allier,
Doubs, Loire, Hautes-Alpes, Provence, Gard, Hérault, Ardèche, Limousin〉 "être parvenu (à l’endroit souhaité, à destination) ; être rentré chez soi". Partez tout de suite, vous n’êtes pas rendus (Cl. Michelet, Des grives au loup, 1979, 31). À la fin de la matinée, nous étions rendus à destination (S. Prou, Le Dit de Marguerite, 1986, 140).
4. […] à midi mes parents rentraient des champs et venaient pour déjeuner, ainsi que
nos trois pensionnaires. Parmi ces derniers, Marcel Caillaud était toujours le premier rendu. (L. Ganachaud, Lée Bitons chérentais, 1949, 32.)
5. Cette petite, elle ne pouvait quand même pas la laisser seule… Seule cette nuit… Elle
prendrait peur de voir mourir son père… Ou de le trouver mort… Et avant qu’elle soit rendue aux Grands-Champs pour demander de l’aide… En pleine nuit… (Cl. Joly, Bonnes gens, 1976, 35.)
6. En général, dans les noces, il y a deux barriques : une de rouge et une de blanc.
On y était souvent rendus et, la soirée terminée, elles devaient être vides. Si elles ne l’étaient pas tout
à fait, eh bien, on remettait ça, jusqu’à ce qu’on en vienne à bout. (A.-H. Hérault,
Le Valet de cœur, 1979, 24.)
7. – Le soleil tourne, fit remarquer ma mère. Nous sommes loin d’être rendus ! (M. Mauron, Les Cigales de mon enfance, 1987, 47.)
8. Quelques paroles étaient échangées pour souligner l’accueil chaleureux dont on avait
fait l’objet ou exprimer des remarques élogieuses sur les hôtes d’un soir [de veillée].
On avait hâte d’être rendus, le froid devenait plus vif vers le petit matin, que le chant des coqs annonçait.
(G. Marthon-Marchi, La Terre à ses sabots, 1994, 50.)
9. Il marcha plusieurs jours avant d’arriver dans le domaine du diable. Il croyait qu’il
était rendu, il se mit à genoux pour gratter la terre, mais ce n’était que des cailloux ; il se
remit en route, et bientôt arriva dans le grand domaine du diable. Cette fois, il
se remit à genoux et cette fois il trouva des cailloux en or […]. (A. Poulain, Contes et Légendes de la Haute Bretagne, 1995, 169.)
V. encore s.v. souci, ex. 1 et 2.
— Par ellipse ou avec une variante de être.
10. Se sentant presque rendus, les hommes avaient prolongé quelque peu leur soirée au café-restaurant où nous avions
pris le repas. (A. Durand-Tullou, Le Pays des asphodèles, 1991 [1989], 265.)
11. […] tout le monde emportait de quoi se mettre à l’aise une fois rendu : pantoufles, tablier et en été chapeau de paille. (M. Rouanet, Nous les filles, 1990, 124.)
◆◆ commentaire. Attesté dep. le début du 17e siècle (Malherbe, FEW), cet emploi s’est conservé jusqu’à nos jours dans différentes
aires, comme le montrent les exemples ci-dessus, avec une plus ou moins grande vitalité.
Malgré l’absence de marque diatopique dans les dictionnaires généraux – non dégagé dans Rob 1985, être rendu est enregistré sans marque par GLLF (sans exemple), TLF (citant Verlaine 1864 et
Vercel 1934), NPR 1993-2000 (citant Céline) et Lar 2000 –, il est à juste titre considéré (par les locuteurs d’autres régions et par les recueils
différentiels) comme l’un des traits les plus typiques du français de l’Ouest, où
son usage, beaucoup plus spontané que dans les autres aires, constitue un régionalisme
de fréquence. Il est également usuel au Québec (DFPlus 1988 ; DQA 1992), où il est
documenté dep. 1837 (FichierTLFQ).
◇◇ bibliographie. ClouzotNiort 1907-1923 se rendre "retourner chez soi" ; MussetAunSaint 1938 ; MeunierForez 1984 ; RézeauOuest 1984 et 1990 ; GermiLucciGap
1985 « fréquent » ; SimonSimTour 1995 ; FréchetAnnonay 1995 « globalement bien connu » ; GermiChampsaur 1996 ; BlanWalHBret 1999 « très fréquent partout […]. Mot emblématique des gens de l’Ouest pour ceux qui n’en
sont pas originaires » ; FEW 10, 172b, reddere.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Indre-et-Loire, 100 % ; Corrèze, 90 % ; Dordogne, Haute-Vienne,
85 % ; Creuse, 70 %.
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