arrête adj. épicène
〈Nièvre, Saône-et-Loire, Côte-d’Or, Yonne (peu us.), Vosges (extrême sud)a, Haute-Saône, Doubs, Jura (Haut Jura), Ain, Rhône, Loire, Isère (nord)〉 pop. (partout restreint au code oral ; stigmatisé).
a D’après MartinVosges, qui enregistre le vocabulaire des « Vosges [= le massif] du sud (Saint-Etienne-lès-Remiremont) » (p. 9), confirmé par BlochLex 1915 pour le début du 20e siècle (dans une autre acception).
■ remarques. Les seules sources pratiquement disponibles pour l’étude du sens de ce mot, à savoir
les glossaires de régionalismes, se contentent presque toujours d’une glose en standard
("arrêté") et – à l’exception de DoillonComtois et SalmonLyon – ne s’attachent ni à distinguer,
ni à décrire les sens ; les enq. DRF n’indiquent pas le sens enquêté. On a donc renoncé
à esquisser sur de telles données la géographie des sémantismes fondamentaux, dans
la mesure où ceux-ci ne ressortent (ci-dessous) que de l’analyse des exemples lexicographiques
et où ces exemples eux-mêmes ne peuvent être tenus pour systématiquement illustratifs
d’acceptions qui ne sont pas par ailleurs explicitées dans les glossaires ; les acceptions
particulières, qui bénéficient, en revanche, d’une glose dans les sources lexicographiques,
sont ci-dessous géographiquement spécifiées.
1. [Le sème dominant est la cessation d’un fonctionnement ou d’une activité]
— [En parlant d’un inanimé concret].
● [D’un appareil ou d’une machine (surtout d’une horloge, d’une pendule, d’une montre)]
"qui a cessé momentanément de fonctionner". Stand. arrêté, en panne. – Ma montre est « arrête » (ArmanetVienne 1984). L’horloge est arrête (DromardDoubs 1991). Gaston, la pendule est arrête (MartinVosges 1993). Ma télé est arrête depuis pas mal de temps (ex. oral, 1994, SalmonLyon 1995).
● Par méton. du subst. 〈Jura (Haut Jura)〉 [D’un moulin] "qui a cessé ses activités". Le moulin est arrête (DuraffHJura 1986).
— [En parlant d’un animé non-humain].
● 〈Saône-et-Loire〉 rural [D’une poule] "qui ne pond plus". Les poules sont arrêtes (TavBourg 1991).
■ étymologie. Cette dernière acception est un dialectalisme sémantique (cf. le même type dans les
patois de Saône-et-Loire, ALB 1212).
2. [Le sème dominant est la cessation d’un déplacement]
2.1. [En parlant d’un véhicule] "qui a cessé d’avancer, qui stationne, qui est à l’arrêt". Stand. arrêté, stationné, en stationnement.
1. J’ai vu la voiture arrête du côté de chez vous. (G. G., Ronchamp [Haute-Saône], 28 juin 1987.)
— Par méton. du subst.
2. Le monde [= les gens] en auto est tout le temps arrête ou en train de s’arrêter [en raison de la multiplication des feux rouges et des stops].
(M. Mazoyer, Les Aventures du Toine Goubard, 1982, 46.)
2.2. [En parlant d’une personne] "qui a cessé d’avancer ; qui demeure immobile". Stand. immobile. – Quand je reste arrête, ça m’ankylose (TuaillonVourey 1983, 63). Rester arrête. Je sais pas pourquoi il est arrête devant la mairie (GononPoncins 1984, 143). Je bâille dès que je suis arrête (G. G., Ronchamp, Haute-Saône, 8 octobre 1988).
3. Si un orage avait précédé la fête, ou si le vent du midi[,] assez fréquent à cette
époque, avait été un peu redoutable, il [le père de la narratrice] allait d’un champ
à un autre, les arpentait pour évaluer les dégâts. […] Pendant qu’il était « arrête », perdu dans ses pensées, nous étions heureux de pouvoir nous assir [sic] à la sauvette et de frictionner nos arpions [= orteils] un peu échauffés dans nos
chaussures. (M.-J. Faure-Bouteille, Le Pépé au grenier, 1985, 56.)
● 〈Mâconnais〉 "qui est au repos". Être arrête (1966, DialBourg 4, 28).
— 〈Nièvre, Saône-et-Loire, Yonne, Franche-Comté〉 "qui bénéficie d’une autorisation d’absence à caractère exceptionnel du fait d’une
maladie". Stand. en congé de maladie, en arrêt maladie. – J’ai la crève, je suis arrête huit jours (ex. oral, 1991, ColinParlComt 1992)a. Il est arrête ? (Caissière d’une grande surface, env. 45 ans, s’inquiétant d’une personne souffrant
d’un lumbago, Belfort, 15 janvier 2000.)
a Seule attestation disponible pour cette région, et sans localisation précise.
■ remarques. Les attestations écrites du mot sont très rares dans le fichier du DRF et elles sont
absentes des sources lexicographiques consultées, mise à part la littérature guignolesque
(v. SalmonLyon). Pour évaluer le niveau stylistique de l’ex. 3 ci-dessus (où arrête figure d’ailleurs entre guillemets), cf. l’emploi de s’assir et de arpions.
◆◆ commentaire. Adjectif verbal de fr. arrêter (pour la formation, v. ici s.v. enfle). Ce régionalisme lexical est caractérisé par de fortes restrictions sur les axes
non seulement diatopique (Centre-Est et Jura suisse), mais aussi diamésique (il relève
exclusivement du code oral, cf. ci-dessus Rem.), diastratique (pop.) et/ou stylistique
(fam. ou plais.)a – bien qu’il ne soit jamais marqué sur ces plans par les glossairistes régionaux
(cf. toutefois la notation éclairante de BlochLex 1915) – ainsi que par une faible
profondeur diachronique (il est attesté dep. GrasForez 1863 seulement)b. Sur le plan syntaxique, ses emplois sont restreints à la fonction attribut (attribut
du sujet, le plus souvent, ou attribut du compl. d’obj. direct, cf. ex. 1 ; cf. dans
ce sens PuitspeluLyon 1894 s.v. arrête et DSR, Rem.)c.
Dans la série des adjectifs déverbaux d’aire régionale, arrête et son correspondant francoprovençal occupent une position particulière : contrairement
à use*, ce type ne se rattache pas à un ancien participe passé de verbe fort, tête de série ;
au contraire de enfle*, gâte*, gonfle* ou use*, il est dépourvu de correspondants hors de la Galloromania et même en occitan ; les
attestations sont très tardives aussi bien en francoprovençal qu’en français (GrasForez
1863 fournit la première date pour le type) ; enfin, le ‑e de la forme française et le ‑o des formes francoprovençales ne peuvent être que secondaires, par analogie avec les
adjectifs de la même sous-classe comportant une voyelle de soutien au masculin après
un groupe consonantique (enfle*, gonfle*). Ce faisceau d’indices invite à supposer qu’on a affaire à un exemplaire ne jouissant
pas d’une tradition aussi longue que d’autres mots relevant de la même formation.
D’autre part, tout comme use*, le mot n’a pas été l’objet de remarques dans les anciens recueils de cacologies (18e-19e s.) de la zone où il est aujourd’hui bien représenté, alors que enfle*, gonfle* ou même gâte* sont, à la même époque, largement repérés et stigmatisés ; cela donne à penser que
arrête n’appartenait déjà plus alors, du moins à l’écrit, à l’usage du public (cultivé)
visé par ce genre d’ouvrages ; il paraît, en effet, plus difficile d’imaginer, étant
donnée l’étendue respectable de l’aire couverte, qu’on a affaire à une création d’apparition
toute récente, et dans le cas parallèle de use*, cette dernière hypothèse est à exclure du fait de l’existence avérée du mot au 17e siècle. Il est donc probable que arrête a vécu l’essentiel de son histoire, peut-être dès son apparition, dans le code oral
seulement et à un niveau diastratique peu élevé.
Enfin, au plan des parlers dialectaux (v. FEW ; ALB 1212 et 1429* ; ALFC 285*), le
même type a été relevé, à la fin du 19e s. et au 20e s., dans l’est d’oïl (Saône-et-Loire, extrême sud du domaine lorrain, Franche-Comté
et Territoire-de-Belfort, Jura suisse) et en francoprovençal (Val d’Aoste, Savoie,
Ain, Loire, Isère). On notera à cet égard (i) qu’en dépit de la présence de sav. aréto et aost. arrëto dans le « substrat dialectal », frm. arrête est apparemment inconnu en Savoie (malgré les indications de FEW, à corriger, v. ci-dessous
bibl. ; Ø GuichardSavoie et GagnySavoie) et dans le Val d’Aoste (Ø MartinAoste 1984),
ce qui signale, au sud de l’aire, une diffusion franco-lyonnaise moderne, et exclut
un décalque français de l’aire dialectale francoprovençale ancienned ; (ii) qu’inversement, d’après les données de FEW et d’ALB 1429*, le type dialectal n’a
pas été relevé dans les patois de la Nièvre, de la Côte-d’Or et de l’Yonne, alors
qu’il est connu dans le français dans ces départements, ce qui met en valeur le rôle
directeur de Dijon au plan du français (cf. aussi moment d’arrête "tranquillité, apaisement" CunissetDijon 1889).
Au total, on a donc probablement affaire à une création analogique de fin de série
qui paraît être de formation relativement récente et avoir (toujours ?) été confinée
au code oral. L’aire globale du mot (v. carte) donne l’impression de juxtaposer une
aire lyonnaise au sens étroit du terme – sans expansion vers la Savoie, Genève, le Velay, l’Auvergne ou le sud par la vallée
du Rhône –, une aire bourguignonne et une aire comtoise – y compris le Jura suisse (v. DSR) dialectalement comtois –, à laquelle peuvent se rattacher les Vosges méridionales. Cette configuration va
dans le sens d’un emprunt fait par le français aux variétés dialectales, ce qui s’accorderait
bien avec le caractère de vulgarisme oral que possède le mot. Une telle origine ne
devrait pas empêcher de reconnaître le rôle des centres directeurs urbains (Lyon,
Dijon, Besançon) et dans l’accession du mot à la norme régionale et dans sa diffusion
en français (ce qui explique les discordances notées ci-dessus entre aire dialectale
et aire française) : un (éventuel) dialectalisme diachronique ne saurait impliquer
une polygenèse généralisée « substrat dialectal » de X > français local de X.
a Le mot est en conséquence privé de toute représentation dans la lexicographie générale.
b En Suisse romande dep. 1921 dans le sens d’"arriéré mentalement" (canton de Berne, Pierreh daté d’après le fascicule), sens aujourd’hui tombé en désuétude
(v. DSR).
c arrête et d’autres adjectifs verbaux sont parfois caractérisés comme régionalismes grammaticaux
c’est-à-dire morphologiques (pour la discussion, v. ici s.v. enfle, n. a du Commentaire). Mais, paradoxalement, les tenants de cette position ne signalent
jamais la réelle particularité grammaticale (= syntaxique) de ces adjectifs.
d « Chaque patois francoprovençal a une dizaine ou une vingtaine d’adjectifs déverbaux,
qu'on appelle ordinairement “participes tronqués”. Ces adjectifs verbaux accentués sur le radical ont émergé dans le français local,
où ils demeurent très vivaces » (TuaillonVourey 1983, 63 ; cf. encore TuaillonRégGramm 232-3 où arrête est de même lié au substrat francoprovençal). Les faits tendent à montrer, au minimum,
que l’émergence décrite n'a rien d'automatique. V. aussi EscoffStéph 1976, 366, où
le procès d’héritage du patois au français est vu à l’échelon purement local.
◇◇ bibliographie. FEW 25, 309a, 316b, *arrestare [Chambon] (où il faut supprimer Annecy, Thônes, Rumilly aréte, qui sont seulement substantifs dans ConstDésSav, à transférer en 309b ; « forme verbale translatée […] en adjectif » : peu exact du point de vue historique) ; G. Chabot, « Carte des zones d’influence des grandes villes », in : Mémoires et Documents, Centre de recherche et de documentation cartographiques et géographiques 8, 1961,
141-143 (carte hors du texte ; v. aussi N. Weinhold, Sprachgeographische Distribution und chronologische Schichtung, Hambourg, 1985, 184 sqq. et carte hors du texte) ; GPSR 2, 10-1 ; DSR 1997 (Jura suisse) ; GrasForez 1863,
175 (« les paysans [le] disent invariablement, en croyant parler français ») ; ContejeanMontbéliard 1876 s.v. airrate ; BeauquierDoubs 1881 ; PuitspeluLyon 1894 (« les sept attributs en question [dont arrête] ont cela de particulier qu’ils sont des adjectifs et non des participes,
c’est-à-dire qu’ils expriment un état, une qualité, et non une action ») ; GuilleLouhans 1894-1902 ; Mâcon 1903 (la fontaine est arrête) ; VachetLyon 1907 (« particularité plutôt amusante » ; « participe passé sans l’accent aigu de la fin » ; « ce langage est rigoureusement prohibé par l’Académie ») ; BlochLex 1915 s.v. arrêter (« français populaire du Thillot » [aˈrɛt], « très usuel ») ; LarocheMontceau 1924 ; Mâcon 1926 (la fontaine est arrête ; j’peux pas rester arrête) ; DoillonComtois [1926-1936] « cette forme de l’adjectif était extrêmement fréquente à l’époque en Haute-Saône comme
dans le Doubs » ; Front Ouvrier 14 mai 1938 (Montceau-les-Mines ; notamment les mineurs sont arrêtes "ont suspendu le travail, chôment") ; BaronRiveGier 1939, 32 ; DornaLyotGaga 1953 (et 1981 ; « beaucoup de participes passés du premier groupe, surtout ceux fréquemment employés
comme adjectifs[,] perdent l’é fermé final ») ; EscoffStéph 1976, 366 (« procédé de dérivation postverbale […] très répandu dans les patois foréziens » : peu exact au point de vue historique ; « le français local a hérité de ces “déverbaux” et en a peut-être ajouté quelques-uns ») ; KiwanisMontceau 1976 ; Malval DialBourg 4, 1977, 28 (Mâconnais) ; RLiR 42 (1978),
157 (Isère, Lyon, Savoie, Saône-et-Loire) ; BichetRougemont 1979 ; GrandjeanFougerolles
1979 arrête « français régional courant » s.v. érèt ; TuaillonRégGramm 233-234 (« Malgré l’équivalence parfaite entre / ma pendule est arrêtée / [et] ma pendule est arrête / le locuteur régional est fidèle à sa formule » ; « Le participe est réservé à une action ; l’adjectif déverbal, à un état, au résultat
de l’action [c’est déjà l’enseignement de PuitspeluLyon 1894]. Plus de gens qu’on
ne le pense sont, dans la région lyonnaise, fidèles à cette distinction, dont ils
n’ont évidemment pas conscience ») ; TuaillonVourey 1983 (« Ces adjectifs verbaux accentués sur le radical ont émergé dans le français local,
où ils demeurent très vivaces ; certains se corrigent parfois : d’autres n’utilisent
que l’adjectif verbal accentué sur le radical ») ; ArmanetVienne 1984 ; VeauxCullesR 1984 (en patois et en français) ; GononPoncins
1984 (« usuel, plus de trente ans ») ; DuraffHJura 1986 (« mot invariable » [sic] ; « très usuel » ; « forme figée du mot arrêté » [sic]) ; MartinPellMeyrieu 1987 (« adjectif verbal (appelé aussi participe tronqué), courant dans les parlers francoprovençaux
[…] et passé en français régional ») ; MartinPilat 1989 (« usuel ») ; DromardDoubs 1991 et 1997 ; TavBourg 1991 (« vivant surtout en Saône-et-Loire ») ; ColinParlComt 1992 (« forme comtoise, avec amuïssement du /e/ du part. passé (arrêté) » [sic]) ; VurpasMichelBeauj 1992 (« bien connu au-dessus de 40 ans, attesté au-dessous » ; « participe passé tronqué courant dans les parlers francoprovençaux, et passé en français
régional ») ; BlancVilleneuveM 1993 (« encore usuel au-dessus de 20 ans dans certaines familles, connu au-dessous ») ; MartinVosges 1993 ; VurpasLyonnais 1993 (« connu ») ; LaloyIsère 1995 ma pendule était arrête ; SalmonLyon 1995 (les sens ou emplois 1 et 3 et l’emploi 4 [devenir arrête "s’arrêter"] sont illustrés d’ex. de 1926 ou 1927 tirés de la littérature guignolesque) ; FréchetMartAin
1998 « globalement connu » ; ChambonÉtudes 1999, 174.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Bourgogne (arrête : très connu en Saône-et-Loire, bien connu dans la Nièvre, connu de 30 % des témoins
en Côte-d’Or et de 15 % seulement dans l’Yonne ; être arrête "être en congé de maladie" : connu partout sauf Côte-d’Or [0 %]) et Fréchet comm. pers. ; enq. Reiss 1993 (Vesoul) ;
tém. R. Thomas (Ronchamp, Besançon).
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