use adj. épicène
pop. (stigmatisé ; restreint au code oral).
1. 〈Allier, Saône-et-Loire (Bresse et Charolais), Jura (Haut Jura), Haute-Savoie, Ain,
Rhône, Loire, Isère (nord), Drôme, Ardèche (Annonay), Puy-de-Dôme (peu usité), Dordogne〉a [En parlant de linge, de vêtements, de chaussures] "qui est détérioré par l’usage, le frottement". Stand. usé. – Mes souliers sont uses (MartinPellMeyrieu 1987). Cette chemise est use (FréchetAnnonay 1995).
a D’après la localisation de l’ex. 1. Par ailleurs, si l’ALCe a bien enregistré (en
dehors de la zone occitane ou occitanisante) essentiellement du français, comme il
est loisible de le penser à lire son auteur (Dubuisson RLiR 23, 354-355), et non pas
des parlers dialectaux, la carte 1259 permettrait de préciser que use est surtout usité dans le nord-est de l’Allier, et d’étendre l’aire esquissée ci-dessus
au sud du Cher (ainsi qu’à quelques points du Loiret, de l’Indre et de la Nièvre).
1. […] j’ai fait rapporter le tout [draps, serviettes, chemises] chez moi par Basile,
parce que j’aime pas à voir inutilement gaspiller les affaires. Elles sont un peu
uses, bien sûr, mais elles peuvent encore me servir. J’en taillerai toujours des torchons
et des mouchoirs. (G. de Lanauve, Anaïs Monribot, 1995 [1951], 59-60.)
— Loc. adj. tout use "(pour exprimer le degré d’intensité supérieur de l’adjectif)". Va t’acheter une veste : la tienne est tout use (1983, TuaillonRégGramm 233-4). Vêtement tout use (DuraffHJura 1986, 203) ; pantalon tout use (VurpasLyonnais 1993).
■ variantes. 〈Auvergne〉 vuse (BonnaudAuv 1977) est une forme patoisante (cf. auv. vuze BonnaudGDFA 1999 ; ALAL 899*) avec prosthèse de v- devant labiale connue des parlers occitans (Ronjat 2, 447) et autrefois du français
de la région (1672, G. Gougenheim, Revue d’Auvergne 47, 1933, 42) ; vuse est employé par un témoin de l’Allier de plus de soixante ans (cf. vuse dans GagnonBourbonn, et noté dans ALCe 1259 : Allier pt 52, Indre pt 57).
■ syntaxe et morphol.
1. Au vu des exemples, notamment ceux de la tradition lexicographique contemporaine (très
généralement forgés, il est vrai, ou, en tout cas, jamais référencés), use paraît se spécialiser typiquement dans des constructions prédicatives où il est attribut
du sujet ; cf. dans ce sens la remarque de PuitspeluLyon 1894 s.v. arrête.
2. On note dans l’exemple de 1928 cité dans SalmonLyon l’absence d’accord au pluriel
(que G. Salmon a eu l’amabilité de vérifier pour nous sur le texte, Almanach des amis de Guignol, 1928, 156), qui ferait présumer l’existence d’une tendance à l’invariabilité complète.
2. Par anal. [En parlant d’une personne] 〈Saône-et-Loire, Drôme, Puy-de-Dôme (Moissat)〉 "fatigué, à bout de forces ; diminué, affaibli par l’âge ou la fatigue". Pauvre Louis, il a trop tiré sur la corde, il est use (FréchetDrôme 1997, 168)a.
a Comme les glossaires de régionalismes, loin de s’appliquer à décrire les sens du mot,
se contentent généralement d’une équivalence de signifiant (use) à signifiant (usé), on comprendra que la localisation n’a qu’une valeur indicative.
— Avec méton. du subst.
2. Il leur a donc fallu [aux conscrits] faire la noce dans un endroit le samedi, en évitant
de se donner à fond pour s’économiser le tempérament, et pis recommencer le dimanche
ailleurs, mais sans que le cœur y soit, pasque toute la troupe était use. (M. Mazoyer, Les Aventures du Toine Goubard, 1982, 29.)
— [En parlant d’une partie du corps]
3. […] des grattons*. On en trouve régulièrement chez les charcutiers, du moins à la Croix-Rousse. Ça nourrit
et c’est pas cher. Quant à moi j’ai l’estomac trop use : ça me reproche*. (CottetLyon 1996).
◆◆ commentaire. Adjectif verbal de fr. user (pour la formation, v. ici s.v. enfle), régionalisme – et aujourd’hui vulgarisme – lexical d’assez large extension. La
finale du mot français et de ses correspondants en francoprovençal et en occitan (où
le genre est exprimé par une marque segmentale : frpr. ⌈ uso ⌉, occ. ⌈ use ⌉, vs ⌈ usa ⌉) ne peut s’expliquer directement à partir de lat. usu, participe passé de uti, mais seulement par analogie avec les adjectifs de la même sous-classe comportant
une voyelle de soutien au masculin (cf. enfle*, gonfle*, trempe*). L’existence d’aocc. us (TarnG. 1496, FEW), résultat régulier de usu, montre que, malgré le classement adopté par FEW (sous usare), on a bien affaire au remodelage du type hérité du participe fort (cf. encore it.
uso "abituato, avezzo, solito" dep. av. 1306, DELI). Celle de frm. (région.) us (Mâcon 1680 « Un tapit de drapt vert us », cité dans Mâcon 1926) indique, de plus, que la réfection est relativement récente
en français. C’est à la même période, en effet, que use fait son apparition dans l’est de la Basse Auvergne (Saint-Bonnet-le-Bourg 1688 « cinq couvertes uzes », Chroniques historiques du Livradois-Forez 21, 1999, 98 ; Églisolles 1691, ibid. 22, 2000, 42, 43) et en Lyonnais (Anse 1689 « une couverte de burau vieille et uze », Gonon MélGossen 1976, 287) et dès 1645 en Savoie dans le préfixé mi-use (FEW) ; le mot a été connu aussi en Suisse romande (« il vieillit » Pierreh 1926)a. Il est pratiquement exclu de l’écrit contemporainb (cf. le même statut pour arrête*, enfle*, gâte*) en raison de son caractère diastratiquement marquéc et de la stigmatisation dont il fait l’objetd : c’est aujourd’hui un ‘régionalisme-faute’ aux yeux des locuteurs tant soit peu cultivés. L’absence du mot dans les anciennes
cacologies (18e–19e siècles) de la zone où il est aujourd’hui bien représenté, alors que enfle* ou gâte* y font bonne figure, donne à penser qu’il n’appartenait déjà plus à cette époque,
du moins à l’écrit, à la langue usuelle du public visé par ce genre d’ouvrages ; il
est donc probable que use vit depuis longtemps une existence limitée au seul code oral.
Le même type est également documenté, parfois de façon sporadique, dans les parlers
dialectaux (oïliques, occitans et francoprovençaux) dans une bande médiane de la Galloromania
s’étirant de la Saintonge au Jura et à la Savoie, en passant par le Centre et la Basse
Auvergne (FEW)e. L’absence du mot dans le français du Val d’Aoste (Ø MartinAoste 1984) montre qu’il
ne s’agit pas d’un décalque français d’une aire francoprovençale de type ancien, mais
bien d’une aire franco-lyonnaise. La configuration de l’aire française (v. carte)
s’explique par le rayonnement de la norme lyonnaise du français (on notera que le
mot n’est plus relevé à Lyon même dans Miège 1937) : elle correspond assez bien à
la zone d’influence étroite de Lyon articulée secondairement sur celle de Clermont
où l’influence de Lyon a été forte du 15e au 18e siècle sur le plan économique (Trénard MélArbos 1, 177-87), mais aussi linguistique
(cf. A. Dauzat, La Géographie linguistique, 1944, 209).
a Relevé dans les cacologies à Neuchâtel (1867), dans le canton de Vaud (1861), à Genève
(HumbGen 1852 "usé ; fig. décrépit", « employé fréquemment », « expression triviale » ; P. Monnier, Mon Village, Genève, 1909) et dans le canton de Vaud (IttCons 1970, 223 ; Ittçà 1975, 239), d’après Pierreh et le fichier du Centre de dialectologie de l’Université
de Neuchâtel (données aimablement communiquées par A. Thibault).
b Les ex. 2 et 3 sont tirés d’ouvrages du second rayon pratiquant des variétés littéraires
parodiques par accumulation systématique de traits déviants, régionaux et/ou vulgaires.
c Cf. GuiraudPop 1965 qui considère le mot comme populaire sans indiquer qu’il est aussi
soumis à une forte restriction géographique. Les glossaires de régionalismes ne marquent
jamais le mot sur ce plan (mais l’absence de marques diastratiques ou diaphasiques
y est générale).
d Le mot n’apparaît pas dans la lexicographie générale.
e Les données de FEW sont à compléter par celles d’ALB 1580, ALFC 1053* p 83, DuraffGloss
9583, ALJA 1243 et 1258, ALLy 654 (l’adjectif verbal a été parfois suggéré ; ALLy
5, 426), ALMC 1368, ALAL 899*.
◇◇ bibliographie. FEW 14, 71b, usare (notamment Mâcon [1903-1926], louh.) ; G. Chabot, « Carte des zones d’influence des grandes villes », dans Mémoires et Documents, Centre de recherche et de documentation cartographiques et géographiques 8, 1961,
141-3 (carte hors du texte ; v. aussi N. Weinhold, Sprachgeographische Distribution und chronologische Schichtung, Hambourg, 1985, 184 sqq. et carte hors du texte) ; GuiraudPop 1965, 57 (= GuiraudPop 1978, 4e éd., 61 ; « le radical verbal peut aussi faire fonction d’adjectif et se substituer au participe
passé » : erroné sur le plan historique) ; ALCe 1259 ; ConnyBourbR 1852 (appliqué à la rondelle
d’une voiture) ; MègeClermF 1861 ; GrasForez 1863, 175 « les paysans [le] disent invariablement, en croyant parler français » ; JaubertCentre 1864 ; PuitspeluLyon 1894 s.v. et s.v. arrête « les sept attributs en question [dont use] ont cela de particulier qu’ils sont des adjectifs et non des participes, c’est-à-dire
qu’ils expriment un état, une qualité, et non une action » ; FertiaultVerdChal 1896 ; GuilleLouhans 1894-1902 ; ConstDésSav 1902 (Annecy, Thones) ;
Mâcon 1903-1926 ; DuchonVarennes 1904 ; VachetLyon 1907 ; MussetAunSaint 1948 ; DuprazSaxel
1975 s.v. üze ; EscoffStéph 1976, 366 « procédé de dérivation postverbale […] très répandu dans les patois foréziens » : peu exact au point de vue historique ; « le français local a hérité de ces “déverbaux” et en a peut-être ajouté quelques-uns » ; BonnaudAuv 1977 ; DelortStClaude [ca 1977] s.v. vette ; BecquevortArconsat 1981, 165 (en patois usá) ; GagnonBourbonn 1981 ; TuaillonVourey 1983 « usuel » ; TuaillonRégGramm 233-234 « Le participe est réservé à une action ; l’adjectif déverbal, à un état, au résultat
de l’actiona. Plus de gens qu’on ne le pense sont, dans la région lyonnaise, fidèles à cette distinction,
dont ils n’ont évidemment pas conscience » ; GononPoncins 1984 « très courant » ; DuraffHJura 1986 ; JaffeuxMoissat 1987 ; MartinPellMeyrieu 1987 ; MartinPilat 1989
« bien connu à partir de 20 ans, connu au-dessous » ; TavBourg 1991 « forme très vivante en Bresse et en Charolais » ; BlancVilleneuveM 1993 « encore connu à 30 ans » ; GagnySavoie 1993 « Albanais, Faucigny, Mont-Blanc », « adj.-p.p. » [!], « du latin usare » ; VurpasLyonnais 1993 « connu » ; FréchetAnnonay 1995, 37 et s.v. « usuel », « région. grammatical » : contestable ; Ø MazaMariac ; SalmonLyon 1995, ex. de 1928, var. ûse ; FréchetDrôme 1997 « régionalisme grammatical » : contestable ; ValMontceau 1997 « fréquent » ; MichelRoanne 1998 « bien connu » ; ChambonÉtudes 1999, 204.
a C’est déjà l’enseignement de PuitspeluLyon 1894.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Centre (use est inconnu des témoins, un seul d’entre eux utilisant vuse) ; enq. Fréchet (Drôme ; connu de 60 % des témoins) ; tém. Lagueunière (Vichy) ;
tém. M.-F. C. (Montluçon).
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