reprocher v. tr. indir.
〈Surtout Côtes-d’Armor, Morbihan, Allier, Saône-et-Loire, Lorraine, Savoie, Loire, Rhône, Isère,
Hautes-Alpes, Provence, Gard, Hérault, Aude, Pyrénées-Orientales, Haute-Garonne, Lozère,
Ardèche, Haute-Loire (Velay), Puy-de-Dôme, Creuse, Dordogne, Gironde〉 reprocher à qqn [= toujours pron. pers.] fam. ou vieillissant [Le sujet désigne un aliment] "donner des aigreurs d’estomac ; faire renvoyer par la bouche des gaz venant de l’estomac". Les oignons lui « reprochent » (P. Brun, Raimu mon père, 1980, 41). Les poivrons me reprochent (VurpasMichelBeauj 1992).
1. Le soir, il n’a pas voulu manger et il me dit : « J’ai un peu mal à l’estomac. Les escargots de midi, j’en ai trop mangé, et maintenant
ils me reprochent. » (M. Pagnol, Manon des sources, 1995 [1963], 1025-1026.)
2. Moi je les aime pas [les sardines à l’huile]. Cette huile me reproche sur l’estomac. (G. de Lanauve, Les Mémoires d’Anaïs Monribot, 1969, 114.)
3. […] je ne suis pas raisonnable : j’aime le vélo. Quand même. Il me fatigue ? Exact,
mais les femmes aussi, j’aime pourtant les femmes. L’aïoli me « reproche », et j’aime l’aïoli. (R. Fallet et Blachon, Le Vélo, 1992 [1972], 26.)
4. Personne non plus n’avouera, sous nos latitudes, qu’il digère mal l’ail. On préfèrera
vous dire :
– J’en aime le goût, mais il me « reproche ». (Y. Audouard, préf. à M.-A. Gruénais-Vanverts, La Cuisine de Provence-Lubéron, 1982, xi.) V. encore s.v. sauce, ex. 1.
— En constr. impers.
5. « J’aimerais manger les spécialités culinaires de Perpignan, mais je suis un régime
et ça me reproche. » (La comédienne P. Pradier, FR 3, 8août 1984, citée dans Doillon, décembre 1984, 6.)
6. L’ail est essentiellement méditerranéen. Si quelqu’un vous dit qu’il ne l’aime pas,
qu’il le « craint », que ça lui « reproche », c’est qu’il a cessé d’être du Sud et qu’il est déjà sur le modèle nordique. (M. Rouanet,
Petit traité de cuisine romanesque, 1997 [1990], 157.)
7. – […] Le gigot, je n’ai jamais pu avaler qu’une bouchée, et déjà ça me reproche. (D. Van Cauwelaert, La Vie interdite, 1999 [1997], 96.)
V. encore s.v. use, ex. 3.
◆◆ commentaire. Absent des dictionnaires de référence contemporains, ce sémantisme, reposant sur une
métaphore de fr. reprocher "rappeler à qqn qqc. de désagréable" (dep. ca 1145, Wace, TLF), est attesté dep. le milieu du 18e siècle en Languedoc, dans la région d’Alais (« Ces raves me donnent des rapports, & non, me reprochent » Sauvages 1756 s.v. rëproucha) et a connu une forte tradition de stigmatisation dans les cacologies provinciales.
Sa distribution européenne, très large – France, Belgique (PohlBelg 1950) et Suisse romande (où il est signalé par Pierreh
1926) –, présente un évidement caractéristique correspondant à la région parisienne, la Normandie,
le Nord, le Berry (où le sens décrit était connu au 19e siècle, v. Jaubert 1864) et la Champagne. Le silence de toute la lexicographie générale
porte à croire, d’autre part, qu’on a affaire à un un fait de niveau essentiellement
populaire n’ayant jamais pénétré la langue cultivée. Rapprochés les uns des autres,
ces éléments désignent cet usage comme un vulgarisme d’époque classique ou préclassique
– ce que confirme sa présence dans certaines variétés françaises d’Amérique (Dionne
1909, GPFC 1930 ; DitchyLouisiane 1932) – qui s’est rapidement retiré de Paris, puis
des zones les plus sensibles à l’influence du centre directeur.
◇◇ bibliographie. Sauvages 1756 ; DesgrouaisToulouse 1766 ; LagueunièreAgde [ca 1770] Le melon m’a reproché ; VillaGasc 1802 ; MolardLyon 1803-1810 ; MichelLorr 1807 ; LeGonidecBret 1819 ;
BéronieTulle 1823, 352 ; ReynierMars 1829-1878 ; PomierHLoire 1835 ; GabrielliProv
1836 ; SievracToulouse 1836 ; JaubertCentre 1864 ; AnonymeToulouse 1875 ; ReynierMars
1878 ; PuitspeluLyon 1894 ; FertiaultVerdChal 1896 ; GuilleLouhans 1894-1902 ; Mâcon
1903-1926 ; VachetLyon 1907 ; Fr. Mauriac Génitrix, 1923 (Frantext) ; LarocheMontceau 1924 ; CollinetPontarlier 1925 ; ZéliqzonMetz 1930 ; BrunMars
1931 ; MussetAunSaint 1938 ; ParizotJarez [1930-40] ; RostaingPagnol 1942, 127 ; SéguyToulouse
1950 ; PierdonPérigord 1971 ; EspallBernisToulouse 1979 ; ManteIseron 1980 ; RouffiangeMagny
1983 « fr. rural » ; SabourinAubusson 1983 et 1998 ; ArmanetVienne 1984 ; GononPoncins 1984 « courant, cru français [standard] » ; BouvierMars 1986 ; MartinPilat 1989 ; DucMure 1990 ; LanherLitLorr 1990 ; BlanchetProv
1991 ; CampsLanguedOr 1991 ; CampsRoussillon 1991 ; RoquesNancy 1991 ; MazaMariac
1992 ; VurpasMichelBeauj 1992 « Beaujolais viticole : bien connu au-dessus de 40 ans ; Haut Beaujolais : attesté au-dessus
de 20 ans » ; BlancVilleneuveM 1993 « encore connu à 30 ans » ; FréchetMartVelay 1993 « connu à partir de 60 ans » ; VurpasLyonnais 1993 « connu » ; MichelNancy 1994 « peu attesté » ; CovèsSète 1995 ; FréchetAnnonay 1995 « globalement attesté » ; SalmonLyon 1995 ; GermiChampsaur 1996 ; MazodierAlès 1996 ; CottetLyon 1996 s.v. graisse et s.v. renvois ; ValMontceau 1997 ; MichelRoanne 1998 « connu au-dessus de 60 ans » ; BouisMars 1999 ; LesigneBassignyVôge 1999 ; MoreuxRToulouse 2000 ; SuireBordeaux
2000 ; FEW 10, 278a, repropiare.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Hérault, 100 % ; Alpes-Maritimes, Aude, 90 % ; Pyrénées-Orientales,
80 % ; Gard, 55 % ; Alpes-de-Haute-Provence, Morbihan, Var, 50 % ; Bouches-du-Rhône,
Lozère, 40 % ; Côtes-d’Armor, Vaucluse, 30 % ; Hautes-Alpes, 25 % ; Finistère, 20 %.
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