blaude (aussi biaude) n. f.
1. 〈Seine-Maritime, Orne, Indre-et-Loire, Loir-et-Cher, Indre (est), Cher, Allier, Nièvre,
Côte-d’Or, Lorraine, Franche-Comté, Ain, Rhône, Drôme, Provence, Gard, Aveyron, Ardèche,
Puy-de-Dôme, Creuse, Dordogne〉 habillement traditionnel "vêtement masculin de dessus, de travail ou d’apparat, en tissu plus ou moins fin,
généralement de couleur bleue, en usage chez les paysans, les marchands et les artisans
jusqu’au milieu du 20e siècle". Stand. blouse. – J’ai encore chez nous une vieille biaude que mon père mettait pour aller à la foire
aux bêtes (DromardDoubs 1991).
1. Tandis que le curé endossait son surplis, le garde se coiffait du magnifique bicorne
et enfilait rapidement le pantalon dont le rouge éclatant contrastait étrangement
avec le bleu de sa « blaude » qu’il conservait à défaut de redingote. (R. Begeot, Glanes saônoises, 1974, 173.)
2. Le dimanche du Comice arrivait et c’était la procession des paysans en biaude bleue vers le chef-lieu de canton qui s’était fait une beauté. […] Les animaux sélectionnés,
pour l’occasion, bien étrillés, attendaient le jury formé de messieurs graves portant,
certains la redingote et le haut de forme, d’autres la vieille biaude bleue des dimanches. Ceux qui avaient les blouses tâtaient les bêtes, les examinaient,
faisaient des remarques que les autres, solennels, notaient avec précision. (R. Bichet,
Un village comtois au début du siècle, 1979, 138.)
3. Sur la grand-place [de Tournon, Ardèche], se tenait le marché aux bestiaux, qui intéressait
surtout les « montagnés » en « blaude » noire, de la haute Ardèche ou de la Loire. (Th. Bresson, Le Vent feuillaret. Une enfance ardéchoise, 1980, 162.)
4. En semaine, la blouse de toile remplaçait l’habit [pour les montagnons*] ; mais il y avait encore la blouse habillée qu’on mettait pour voyager ou bien les
jours de foire et même certains jours de fête. Elle était bleu très foncé presque
noir, ou bleu ciel et quelquefois blanche, en tissu très apprêté, brillant et qui
se tenait bien raide. Il y avait la « biaude » ou « blaude » à col, ouverte entièrement sur le devant et la « grandvallière » ou « roulière », sans col, à peine ouverte sur le devant qu’on enfilait par la tête. (La Tradition franc-comtoise, t. 4, 1980, 13.)
5. Il ne se commet pas, comme certains le font, à se déguiser en paysan du passé lorsqu’ils
montent sur les planches, à revêtir la « blaude » de grosse toile bleue et à nouer un mouchoir autour du cou. Il ne cherche pas le
spectacle. (A. Frémont, Paysans de Normandie, 1981, 42.)
6. Cette « biaude » bleue […] est le vêtement de dessus idéal pour les travailleurs des champs. (Pays et gens de France, n° 8, la Nièvre, 12 novembre 1981, 10.)
7. Mon père tenait une brasserie dans le populaire quartier du faubourg des Trois-Maisons
à Nancy et j’ai toujours en mémoire le souvenir de la foule très disparate des différentes
catégories sociales qui fréquentaient son comptoir […], les marchands de bestiaux
portaient la biaude comme les vieux paysans […]. (Revue lorraine populaire, n°55, décembre 1983, 51.)
8. Le vêtement simple et bon marché mais costaud de la semaine, fait de droguet tissé
maison pour les hommes, faisait place le dimanche aux habits de drap noir ou d’alpaga.
Le plus souvent, on portait la « blaude » [en note : blouse ample froncée autour du cou] bleue et le chapeau à large bords [sic] entouré d’un ruban retombant par derrière. (L. Renoux, Du haut de Saucy. Une campagne comtoise de l’an mil à nos jours, 1987, 250.)
9. De part et d’autre de l’allée centrale [d’une voiture de chemin de fer] s’alignaient
des bancs robustes formés de lattes de bois clair, auxquels des multitudes de pantalons,
de robes, de pelisses et de « biaudes » [en note : vastes blouses de toile bleu vif que les paysans mettaient pour aller à la foire]
avaient donné une brillante patine allant du jaune clair à l’auburn foncé, à la manière
des chaussures que l’on trouve chez les grands bottiers anglais. (P. Soisson, Les Souvenances d’un vieux tortin, 1987, 50.)
10. […] les hommes allaient [derrière le cercueil] en sabots et en « blaude », ils tiraient sur leurs moustaches, qu’ils avaient longues et bien fournies […].
(J. Lazare, L’Ami Pouchu, 1988, 123.)
11. Il est vrai que le « Christou » en arrivant à la chambre des députés vêtu de la biaude portée par les paysans avait – comme on dirait aujourd’hui – réussi un bon coup médiatique
et s’était forgé une excellente image. (L’Almanach de l’Auvergnat, 1996, 44.)
12. On le connaissait bien chez nous ce vieux marchand de bestiaux, rusé et brave homme,
à la prestance agréable malgré son âge, invariablement coiffé de son grand chapeau.
C’est qu’il avait encore fière allure dans sa large blaude noire toute gonflée d’empois. (B. Gérard-Simonet, Contes du pays creusois, 1996, 54.)
13. L’artiste n’a pas mis l’accent sur la beauté ou la spécificité des montagnes mais
il a utilisé, pour inviter les sportifs en Auvergne, un petit auvergnat [sic sans majuscule] avec ses attributs folkloriques : sabots, biaude, chapeau, mouchoir de cou. (Catalogue de l’exposition Invitations en Auvergne, B.M.I.U., Clermont-Ferrand, 1997, n.p.)
□ Avec ou dans un commentaire métalinguistique incident. Il portait la « biaude », la blouse des marchands de cochons (R. Fallet, Le Braconnier de Dieu, 1982 [1973], 130).
14. Pour aller à la foire, le paysan, à partir du xixe siècle, enfilait la « biaude » – la fameuse blouse bleue qui protégeait ses habits. Dans le Cantal, elle était souvent
noire et se portait plus longue qu’en Basse-Auvergne. Elle est encore l’insigne professionnel
des marchands de bestiaux, avec le bâton d’alisier à lacet de cuir qu’on appelait
le porte-respect. (A. Pourrat, Traditions d’Auvergne, 1976, 47.)
15. Pantalon de toile de fil ou de chanvre, remplacé, plus tard, par le velours, veston
gris ou bleu et chapeau de feutre ou de paille – suivant le goût et la saison – pour
l’homme, qui revêt une blouse bleue (la « biaude ») pour se rendre à la fête. (Pays et gens de France, n° 12, la Dordogne, 10 décembre 1981, 36.)
16. […] la modeste blaude (blouse bleue de toile grossière) utilisée pour les tâches quotidiennes. (Pays et gens de France, n° 39, l’Ain, 17 juin 1982, 10.)
17. J’aperçois [à Goderville, Seine-Maritime, vers 1950] quelques blaudes bleues – grandes blouses au col brodé ou marqué d’un liseré. Ceux qui les portent
sont des marchands de bestiaux – car tout le monde est endimanché : on va au marché
comme on va à la messe, pour voir les autres et se faire voir. (B. Alexandre, Le Horsain, 1988, 207.)
18. Du fin fond des brumes matinales montent les velours côtelés, les larges chapeaux,
les biodes, amples blouses noires ou bleues qui étirent les silhouettes, arrondissent les ventres.
(J.-P. Leclerc, D’un hiver à l’autre, 1997, 21-22.)
□ Dans un énoncé définitoire ordinaire.
19. La biaude était la blouse de travail des paysans ; les plus anciennes, sans autre ouverture
qu’un trou ovale pour passer la tête, étaient en toile blanche, brodée au col et aux
poignets de motifs champêtres, si elles étaient pour le dimanche. (Pays et gens de France, n° 102, le Cher, novembre 1983, 9.)
□ En contexte métalinguistique.
20. Les termes de blouses, blaudes ou biaudes s’adressent tous à la même forme de vêtement. […] La blouse n’est pas l’apanage de
la Lorraine mais elle s’est conservée assez longtemps chez nous pour donner l’impression
d’être l’unique « costume » du paysan lorrain. En 1930 les villageois allaient aux foires en l’enfilant, par-dessus
veste ou redingote, pour mieux les protéger. Selon les régions, la longueur ou la
façon varient. Dans le Pays de Bitche c’est une biaude en coutil gris, s’arrêtant au niveau des genoux, qui est la tenue des jours de fêtes
pour les villageois. (G. Garneau, « Le costume lorrain », dans La Tradition en Lorraine, t. 3, 1981, 32 et 33.)
■ graphie. Quelques écrivains ou auteurs de glossaires écrivent blode pour se rapprocher de la prononciation méridionale [blɔd(ə)]. « […] pour tâter les bêtes […] ils endossaient la “blode”, blouse grise ou noire qui confirmait leur qualité d’acheteurs » (M. Scipion, Le Clos du roi, 1980 [1978], 205) ; Les maquignons, ils ont tous une grande blode (MazodierAlès 1996).
■ remarques. Le terme est aujourd’hui un mot-souvenir en raison de la disparition du référent (« vers les années 30 ou 35 » dans l’Allier, selon LagardeCérilly 1984), qui n’a de survie que dans certaines manifestations
folkloriquesa. Seule exception à la fin du 20e s., le milieu des maquignons et des éleveurs, où ce vêtement est encore parfois porté,
v. ci-dessus, ex. 14, et : « La biaude est la blouse portée par les paysans qui se rendaient à la foire, surtout en Morvan
(sur les anciennes cartes postales, ils portent toujours ce vêtement) ; aujourd’hui,
c’est le vêtement traditionnel des maquignons et des éleveurs […] » (TavBourg 1991) ; cf. ALLy 1122* « Aujourd’hui ceux qui la portent encore (les maquignons presque seuls) ne la prennent
que pour les foires ».
a Ainsi dans cet exemple : « Le public a été reçu, tout au long de la journée, par les bénévoles de l’organisation,
tous avaient revêtu la " blaude", blouse traditionnelle qui, avec le large chapeau de feutre et les galoches, habillait
le campagnard d’autrefois » (Le Pays, 28 septembre 1998, 13).
2. Par anal. 〈Doubs, Isère (La Mure), Creuse〉 vieilli "vêtement masculin ou féminin en tissu léger, qu’on enfile par dessus les autres vêtements
pour les protéger et qui, le plus souvent, se boutonne par devant". Stand. blouse. – Blaude d’écolier.
21. Là, sur la photo, j’étais en Terminale, on avait encore tous la blaude, on n’est pas bien élégants. (DucMure 1990, 29.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
22. Le gamin tend de loin, au bout de son bras dégagé par la manche trop courte de la
« biaude », le sarreau en satinette noire, une misérable règle de bois. (A. Aucouturier, La Mère-Nuit, 1998, 15.)
■ remarques. Le synonyme blouse qui tient lieu parfois de définition dans certains dictionnaires régionaux (VurpasMichelBeauj
1992 ; RobezMorez 1995 ; FréchetDrôme 1997), est sans doute à interpréter dans ce
sens.
3. Par ext., péj., vieilli.
3.1. 〈Saône-et-Loire (Montceau-les-Mines), Doubs (sud), Jura, Isère〉 au pl. "vêtements, habits en mauvais état ou hors d’usage". Stand. guenilles. Synon. région. estrasse*, gueille*.
23. La Lucie avait déjà préparé un ballot de vieilles biaudes pour le pattier* […]. (M. Mazoyer, Les Aventures du Toine Goubard, 1982, 115.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
24. Je fus bien accueillie par ces gens modestes […]. Personne ne me fit d’affront à cause
de ma peau noire et de mes « biaudes » (vêtements) loqueteuses. (A. Besson, Une fille de la forêt, 1996 [1987], 223.)
3.2. 〈Nièvre, Côte-d’Or, Jura (nord), Rhône (nord)〉 "vêtement trop long et trop large, généralement usagé". Dans sa blaude, on ne le voit même plus (VurpasMichelBeauj 1992).
■ formes. La répartition des formes blaude et biaude semble offrir un caractère autant diastratique que diatopique, biaude ou biode paraissant plus proche du patois (cf. infra cette marque dans Lar 1867).
◆◆ commentaire. Si blaude est un type dialectal répandu sur presque tout l’espace galloroman (v. ALF 1466 et
ALFSuppl 24, ALAL 873*, ALB 1534, ALCe 808, ALFC 1010, ALIFOms, ALJA 1255, ALLR 788,
ALLy 1122, ALMC 1384), le mot n’a pénétré en français commun qu’en tant que terme
régional et il y reste marqué diatopiquement, renvoyant aussi bien à son aire d’origine
(Bourgogne et Franche-Comté) qu’à quelques autres zones où il a essaimé. Ce caractère
diatopique est présent, sous diverses formulations, dans tous les dictionnaires généraux
qui accueillent le mot, depuis Rich 1732 (« blaude […] fort usité parmi les païsans des Provinces de Bourgogne & du Lionnois »), jusqu’à Littré 1863 blaude « dans plusieurs provinces » ; Lar 1867 « biaude […] patois » et « blaude v. blouse » ; GLLF blaude « vx et dialectal » ; TLF biaude et blaude « région. » ; Rob 1985 blaude « vx ou région. ». D’origine incertaine (probablement apparenté à afr. bliaut, v. TLF s.v. biaude), blaude est attesté en Bourgogne dep. 1574 (Mitistoire barragouyne = Saône-et-Loire) et 1582 (Tabourot des Accords, biaude = Côte-d’Or), en Franche-Comté dep. 1564 (Du Pinet, blaude, v. DG) et à Neuchâtel dep. 1646 (v. GPSR 2, 417).
Le sens 1 est abondamment enregistré dans la lexicographie régionale : en Normandie (BouLeScCaux
1981 ; LepelleyBasseNorm 1989 et LepelleyNormandie 1993 blaude), en Anjou (VerrOnillAnjou 1908 « la blouse ou blaude, vêtement national des ancêtres, est toujours en grand honneur dans nos campagnes »), dans le Centre (ConnyBourbR 1852 biaude ; BaguenaultOrl 1894 biaude ; DubuissBonBerryB 1993 biaude), en Bourgogne (CunissetDijon 1889 blaude ; GuilleLouhans 1894-1902 biaude, bliaude, blaude ; FertiaultVerdChal 1896 « bliaude, s.f., blaude, blouse » ; Mâcon 1903 biaude, blaude ; Mâcon 1926 bliaude, biaude, blaude ; BridotSioule 1977 biaude ; TavBourg 1991 biaude « usuel surtout en Côte-d’Or et sur les confins du Morvan » ; variante chalonnaise blaude), en Lorraine (LanherLitLorr 1990 blaude « partout » ; LesigneBassignyVôge 1999), en Franche-Comté (MonnierJura 1823 blaude, blôde ; MonnierDoubs 1857 blaude ; ToubinJura 1870 biaude ; BeauquierDoubs 1881 blaude s.v. blaumure ; DromardDoubs 1991 et 1997 biaude ; TrouttetHDoubs 1991 ; ColinParlComt 1992 blaude ou biaude ; DuchetSFrComt 1993 biaude), dans l’Ain (FréchetMartAin 1998 biaude, blaude, bliaude), dans le Lyonnais (DuPineauR biaude ou bliaude de toile "souquenille", relevé valant probablement pour Lyon, et DuPineauV blaude "surtout de toile" ; PuitspeluLyon 1894 blaude ; VachetLyon 1907 blaude « ce mot, commun dans nos campagnes, est rarement entendu en ville » ; VurpasMichelBeauj 1992 blaude, blade « en Beaujolais viticole, connu au-dessus de 20 ans, inconnu au-dessous. Haut-Beaujolais,
usuel »), dans les Hautes-Alpes (GermiLucciGap 1985 blaude « concurrencé par le mot français [standard] blouse, encore employé chez les patoisants et pour désigner la pièce du costume régional ») et en Suisse romande (GPSR 2, 417), en Provence (MartelProv 1988 blode ; PovArmCamarg 1994 id.), dans le Gard (MazodierAlès 1996 id.), l’Aveyron (NouvelAveyr 1978 id.), le Puy-de-Dôme (DoniolVoyBAuvergne 1847, 20 biaude "blouse des « Limaniens »" ; MègeClermF 1861 biaude ; ManryClermF 1956, 402 id. ; PruilhèreAuv 1993 id.), la Creuse (JouhandeauGuéret 1955, 179, blaude), le Périgord (PierdonPérigord 1971 id.).
Le sens 2. est rarement explicite dans la lexicographie régionale (DromardDoubs 1991 biaude), mais il y apparaît dans plusieurs exemples, explicitement (DucMure 1990 biaude, blaude et ColinParlComt 1992 blaude, biaude, qui cite Pergaud) ou implicitement (RobezMorez 1995 blaude ; FréchetDrôme 1997 blaude, à condition de faire le détour par l’article belouse).
3.1. pris en compte seulement par la lexicographie régionale (dep. MonnierJura 1857),
concerne une aire restreinte (Saône-et-Loire, confins du Doubs et du Jura, Haut Jura,
Isère ; Suisse romande), où il n’est relevé de nos jours que sporadiquement (GPSR,
loc. cit. ; GrandMignovillard 1977 ; LaloyIsère 1995 ; RobezMorez 1995 s.v. blâde ; ValMontceau 1997 biaude). 3.2. n’est attesté aujourd’hui que par quelques lexicographes régionaux, en Bourgogne
(TavBourg 1991) et en Beaujolais (VurpasMichelBeauj 1992). Cet emploi péjoratif s’articule
peut-être sur des sens du mot dont on a des traces au 19e s. à Lyon (Molard 1810 blaude "habit fort grand, qu’on doit appeler […] redingotte" ; blaude "robe de procureur" dans un ex. de 1868, v. SalmonLyon 1995 ; PuitspeluLyon 1894 blaude "long vêtement d’hiver", dans un développement renvoyant à l’époque de la Restauration) et, de là, à Clermont-Ferrand
(MègeClermF 1861 "redingote à longues basques").
◇◇ bibliographie. J.-P. Chambon, « Quelques régionalismes bourguignons dans la Mitistoire barragouyne de Fanfreluche et Gaudichon », BHR 51 (1989), 615-619, notamment 616 ; FEW 21, 517-518 ‘blouse’ ; BaldEtym 1, § 1845.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance (pour le sens 1) supérieur à 75 % en Bourgogne et en Franche-Comté.
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