pattier, ‑ière n.
〈Bourgogne, Franche-Comté, Haute-Savoie, Savoie, Isère, Puy-de-Dôme (Ambert)〉 vieillissant "personne qui récupère les vieux chiffons, les objets hors d'usage, la ferraille". Stand. chiffonnier, ferrailleur. Synon. région. marchand d' loques* ; peillerot*. – Un ballot de vieilles biaudes* pour le pattier (M. Mazoyer, Les Aventures du Toine Goubard, 1982, 115). On va faire passer le pattier pour débarrasser le grenier (GuichSavoy 1986, 82). Les pattiers, ils faisaient pas bien leurs affaires à la Mure, on jetait pas grand
chose (DucMure 1990).
1. Ensuite, à l'imitation du pattier filou qui passe le jeudi matin devant nos fenêtres courbé sous une lourde charge
de chiffons […], elle me hisse sur son dos presque bossu et m'emporte en criant :
« Marchand d' pattes* ! » (H. Besseige, Au Pays noir, 1952, 10.)
2. Actuellement on a vendu au « pattier » le vieux fourneau ou bien on l'a sorti dehors pour cuire […] les repas d'été. (GarneretLantenne
1959, 187.)
3. Quand le sac de pattes* est plein, on en vend le contenu au pattier (dont on menace d'ailleurs les enfants désobéissants). (Lectrice d'origine savoyarde,
Vie et Langage, 1966, 56.)
4. La « pattière » approche… La Sidonie achète chiffons, peaux de lapins, etc., mais n'appelle point
ses clients : dès qu'elle aborde un quartier, cela s'entend ! […] Elle pousse une
sorte de voiture pour bébé, fragile, haute sur pattes, grinçante… (V.-A. Boisson,
Ceux du Bois-de-Gueurce, 1976, 9.)
5. Et le pattier Chabrol vint faire sa tournée avec sa charrette et son petit cheval. (L.-A. Gauthier,
Les Fidarchaux de Cabrefontaine, 1978, 132.)
6. Autour de la roulotte des « pattiers » [en note : chiffonnier] qui tirait en remorque une charrette à bras, étaient tendues des cordes
sur lesquelles séchaient les peaux de lapin retournées et bourrées de paille. Sous
la patache pendait un filet rempli de sacs de « pattes »*. (R. Bichet, Un Village comtois au début du siècle, 1979, 143-144.)
7. Il vendait ses peaux à un « patier » avec qui il était en cheville […]. (San-Antonio, Circulez ! Y a rien à voir, 1987, 21.)
V. encore s.v. blaude, ex. 23.
□ En emploi métalinguistique.
8. Les deux paroisses de Saint-Just et Baffie comptaient, en 1790, plus de deux mille
habitants ! Beaucoup étaient « peilharots* » ou pattiers, comme on disait alors, allant à travers la province et jusqu'en Bourgogne, chercher
les vieux chiffons (les « peilhes »* ou pattes*) destinées à alimenter les moulins à papier du Livradois. (M. Boy, Petit guide de l'arrondissement d'Ambert, 1984, 52.)
9. Le père Baty était le « patier » comme on disait. Il récupérait peaux d'agneaux, de chèvres et de lapins et à l'occasion,
toutes les vieilleries qui ne servaient plus mais qui pouvaient rendre service à d'autres.
(R. Canac, Vivre ici en Oisans, 1991, 95-96).
— Dans des comparaisons péj. Habillé comme un patier. On dirait une vraie patière (GuichSavoy 1986). Jurer comme un patier (GagnySavoie 1993, 108).
10. Oh ! La Simone quand elle avait l' cafard, les gosses y lui mettaient Coluche. J' sais
pas qui elle va écouter maintenant la pauvre ! La Rolande, elle dit : « Il était trop vulgaire », dis, pi elle, elle jure comme un pattier. (L. Semonin, La Madeleine Proust, 1990, 211.)
— En part. "(le personnage du chiffonnier utilisé pour faire peur aux enfants turbulents)". Stand. croquemitaine. Synon. région. (le) peut* homme, peillerot*. – Si tu n'es pas sage, je vais te vendre au patier (MartinPellMeyrieu 1987, 124). V. encore ici ex. 3.
— Var. pati n. m. 〈Haute-Savoie, Savoie, Ain, Rhône, Loire, Isère.〉
11. Afin de rapporter les trésors [de la décharge d'une banlieue lyonnaise] dans ma caverne,
j'attache un bout de ficelle à une cagette, y enfouis pêle-mêle livres, assiettes,
jouets et chiffons, et la traîne derrière moi sur le chemin caillouteux. Les autres
m'imitent, et nous formons bientôt un véritable cortège de pâtis, provoquant sur nos pas un formidable nuage de poussière. (A. Begag, Le Gone du Chaâba, 1986, 39-40.)
■ graphie. Parfois patier.
■ remarques. Le mot est peu courant au féminin (v. ici ex. 4).
◆◆ commentaire. Dérivé sur patte* avec le suffixe ‑ier, fr. pattier "chiffonnier, marchand de chiffons" est particulièrement bien documenté en Suisse romande (dep. 1519, Registres du Conseil
de Genève, Pierreh) ; Vaud 1550 v. patte* ; Et emmenoyent hors cedict comté les vieulx drapeaux après les avoir acheptez des personnes
qui les amassent et vendent, que l'on appelle vulgairement pattiers (Neuchâtel 1568, Mandements du Conseil d'Etat, Pierreh). Les premières attestations dans les ouvrages spécialisés du français sont
plus tardives (dep. 1723 dans SavBr) ; comme pour patte*, c'est le commerce des chiffons qui va permettre l'entrée du terme dans ces ouvrages
(Lalande 1761 pour patière f.). Les dictionnaires du français général ignorent le terme ; seul pattière (f. "femme qui trie les chiffons à papier") y fait une brève apparition dans la première moitié du 19e s. (FEW). Les dictionnaires régionaux ne le mentionnent guère que depuis le 18e s. (dep. 1786 dans le Doubs, 1810 à Lyon (avec suff. ‑ier réduit à ‑i), 1902 en Savoie (‑i), 1906 dans le Jura). Les premières datations sont nettement en faveur de l'antériorité
de la forme pattier sur la forme pati (malgré FEW Lyon pati > fr. pattier, et Baldinger TraLiLi 1966, 75 ; mais en accord avec SchneiderRézDoubs) ; plusieurs
indices renforcent cette thèse, comme la conscience linguistique d'un lexicographe
du début du siècle (PrajouxRoanne 1934 : « pati "chiffonnier" à succédé au mot pilleraud* », ou encore la répartition sémantique ponctuelle des deux termes qui fait du pataire un chiffonnier et du pati un brocanteur (MartinPilat 1989). Étant donné les attestations datant du 16e s., bien localisées et fournies en Suisse romande., fr. région. pattier a probablement été emprunté par le dialecte qui l'a adapté phonétiquement. De là,
il a fait une double carrière : comme mot dialectal (ALF 1501, ALB 1578, ALFC 1060,
ALJA 1246, ALLy 1159), et comme particularisme du français (avec de probables réemprunts).
Le développement des deux emplois est géographiquement très lié, ainsi, au sud de
l'aire, le terme dialectal (patyé, paté, pati) et fr. région. pattier, pati sont également en retrait par rapport à l'aire patte (Ø Haute-Loire, Ardèche, Drôme, pour le type pattier), au profit d'un autre dérivé de patte (type pattaire) ; au nord, ils remontent l'un et l'autre jusqu'au Morvan et au Doubs. Les emplois
modernes courants restent circonscrits au domaine de la brocante ou de la récupération
industrielle (bassin minier de Montceau-les Mines), mais l'aire élargie est celle
des emplois à connotation affective référant à l'enfance, comme on le retrouve sous
la plume d'A. Begag (ex. 11).
◇◇ bibliographie. FEW 16, 611a, *paita ; SavBr 1723 s.v. chiffonnier, pattier, drillier ou peillier, Lyon pati ; J.-J. de Lalande, L'Art de faire le papier, Paris, 1761, art. 9 « Les pattières, chiffonnières ou drapelières qui parcourent les villages ramassent
une quantité de chiffons » ; Dictionnaire du Citoyen, ou abrégé historique, théorique et pratique du commerce, Paris, 1761 pattier ; Dict. des Arts et Métiers 1766-67 pattier, s.v. chiffonnier ; SchneiderRézDoubs 1786 pattier ; MolardLyon 1810 pattier ; Cl. Vanden Abeele, Le Vocabulaire de la papeterie d'après le Manuel du fabricant de papiers par L.-S. Lenormand
(1833), mémoire de licence, Katholieke Universiteit Leuven, 1990-1991, 11 ; BeauquierDoubs
1881 jurer comme un patier ; PuitspeluLyon 1894 patti synon. pattier ou pataire ; ConstDésSav 1902 crier comme un pati ; Mâcon 1903-1926 patti, ‑ire (et pattier, ‑ière dans la définition) ; CarrezHJura 1906, 279 pattier ; VachetLyon 1907 pati, synon. pataire ; BoillotGrCombe 1910 ; CollinetPontarlier 1925 ; PrajouxRoanne 1934 pati, s.v. pilleraud ; MiègeLyon 1937 pattier, « patti à la campagne » ; DuraffVaux 1941 pati ; GarneretLantenne 1959 pattier ; Baldinger TraLiLi 1966/1 = MélGardette 1966, 75 ; DuprazSaxel 1975 pattier, ‑ère ; JamotChaponost 1975 patti, pati ; DelortStClaude [ca 1977] pattier s.v. patte ; GrandMignovillard 1977 pattier ; RLiR 42 (1978), 179 pati (Savoie, Lyonnais, Isère) ; BichetRougemont 1979 ; TuaillonVourey 1983 patier « le mot sert encore aujourd'hui pour désigner les récupérateurs de toutes espèces de
vieilleries » ; ArmanetVienne 1984 patti, pattier ; DuraffHJura 1986 pattier « très usuel » ; GuichSavoy 1986 pattier ; MartinPellMeyrieu 1987 patier ; MartinPilat 1989 pati "brocanteur" « bien connu à partir de 40 ans, en déclin au-dessous » ; DucMure 1990 pattier ; DromardDoubs 1991 et 1997 pattier ; TavBourg 1991 pattier « vivant en Saône-et-Loire » ; ColinParlComt 1992 ; VurpasMichelBeauj 1992 pati « usuel au-dessus de 20 ans, en déclin au-dessous » ; DuchetSFrComt 1993 pattier, patier (cite Beuque, Les Cahiers du capitaine Druot, Lettre de Russie, 1812, Il ressemblait à un vrai pattier) ; GagnySavoie 1993 patier ; VurpasLyonnais 1993 pati « attesté » ; RobezMorez 1995 patier ; SalmonLyon 1995 pati, var. patti, patier ; FréchetDrôme 1997 ; ValMontceau 1997 « les chiffonniers ont à peu près disparu ; les modernes récupérateurs industriels ont,
dans le Bassin Minier, récupéré… l'appellation ! » ; FréchetMartAin 1998 pati « globalement bien connu » ; MichelRoanne 1998 pati, pate m. ; patière f. « la forme pati est la plus usitée ; usuel » ; ChambonÉtudes 1999, 231 ; Lar 2000 « Suisse. Jurer comme un pattier ».
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (pattier) Saône-et-Loire, Haute-Saône (sud), Doubs, 100 % ; Haute-Saône (nord), Jura, 65 % ;
Nièvre, 50 % ; Côte-d'Or, Yonne, 30 % ; Territoire-de-Belfort, Drôme, Ardèche, Haute-Loire,
0 % ; (pati) Haute-Savoie, Savoie, 100 % ; Isère, 80 % ; Ain, Rhône, Loire, 65 %.
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