peille n. f.
1. 〈Indre (sud), Cher (sud), Allier, Loire, Drôme, Languedoc oriental et occidental, Cévennes,
Auvergne, Limousin, Aquitaine〉 fam. "morceau de tissu usagé". Stand. chiffon, guenille. Synon. région. estrasse*, gueille*, loque*, patte*, petas*. – Ma fille donne son linge à laver dans une laverie ; le linge qu’on lui rend, c’est
pas croyable : des peilles ! (GononPoncins 1984).
1. Mais si malgré tout il se blesse, rentré chez lui il se fera soigneusement empeiller (envelopper de peilles ou panser) la main. (A.-G. Manry, dans Vie et Langage, septembre 1956, 402.)
2. – Mais tu étais là avant-hier ; est-ce que tu l’as acheté, ce lavoir ?
– Tais-toi donc […] ! Ça fait une semaine que je suis plus venue, sauf pour rincer une peille qui vaut pas même la peine d’en parler. (J. Anglade, Une pomme oubliée, 1969, 95.) 3. – […] Donne-moi de l’eau et une peille propre pour le laver et viens m’aider ! (R. Blanc, Clément, Noisette et autres Gascons, 1984, 141)
4. Là-haut, attaché aux épaules, pendait un homme nu, une peille entre les cuisses pour cacher sa misère. (R. Blanc, Les Amours de l’oncle César, 1986, 71.)
5. Bijou [l’âne, lors d’une opération de parachutage clandestin] était si paisible que
le bruit de l’avion pas plus que les feux scintillant dans la nuit ne pouvaient troubler
sa sérénité. La charrette, les roues habillées de peilles, le Bijou les pattes engoncées dans de vieilles chausses se transformaient en attelage
fantôme. (S. Lavisse-Serre, Les Locatiers de Beauvoir, 1998, 142.)
— Emploi non-comptable.
6. Elle en conçut l’idée étrange, se prenant pour le Créateur, de vouloir donner vie
à sa poupée de peille. (J. Anglade, Y’a pas d’ bon Dieu, 1995 [1993], 18.)
● langue de peille loc. nom. f. "personne bavarde et médisante, calomnieuse". Synon. région. langue de petas*. – C’est une vraie langue de pelhe, elle fait fâcher tout le monde (PotteAuvThiers 1993).
7. Le bouc se laissa traîner, mais ne manifesta pas le moindre intérêt pour elle [la
chèvre]. « Allons, l’encourageait l’homme, allons, fais ton travail, montre-lui, à cette langue de peille, montre-lui si tu es une couille de bois ! » (J. Anglade, Une pomme oubliée, 1969, 125.)
8. Cramoisi d’indignation, Chavarot s’écriait avec cet accent de l’innocence outragée
qui ne trompe point […] : « Pas vrai, M’sieu… C’est une langue de peille ! » (J. Anglade, Le Tour du doigt, 1977, 122.)
9. Elle aurait pu se taire. Ne pas évoquer ce bénitier, ou éclater de rire. Sa langue de peille fonctionna toute seule. (J. Anglade, Y’a pas de Bon Dieu, 1995 [1993], 12.)
— En part. "chiffon servant à la fabrication du papier".
10. Emile, le benjamin des Pitelet, avait obtenu de la promotion à la papeterie des Charbonniers,
on l’y employait, non plus à trier les peilles mais à l’emballage des produits finis, à l’écriture des adresses, au transport des
ballots jusqu’à la gare et à leur expédition. (J. Anglade, Les Ventres jaunes, 1991 [1979], 94.)
11. Grâce à ce petit artisanat féminin, un peu d’argent frais entrait dans des familles
qui autrement n’auraient jamais vu une pièce blanche […]. Les Viveroloises faisaient
de la dentelle. Celles de Grandrif triaient les peilles dans les moulins à papier. (J. Anglade, Un lit d’aubépine, 1997 [1995], 55.)
— Par ext. "objet de récupération". Marchand de peilles.
12. Partir fonder un commerce de peilles dans les contrées où il y avait des usines. Ah ! là, ça gagne : tous les déchets
des fabriques, les vieux fers, les vieux cuivres, les cordes, les emballages… (L. Gachon,
L’Auvergne et le Velay, 1994 [1948], 214.)
V. encore s.v. peillerot, ex. 13.
● 〈Auvergne, Limousin〉 faire (ou verbe du même paradigme) la peille loc. verb. "faire commerce d’objets de récupération".
13. Henri Dufour descend d’une famille de Bertignat (en Livradois), fixée en Limagne,
et qui a exercé dans la « peilhe » pendant trois générations. Il nous a expliqué le b-a-ba sur le métier. (M. Prival,
Les Migrants de travail d’Auvergne et du Limousin au xxe siècle, 1979, 141.)
● à la peille ! loc. interj. "(cri par lequel s’annonce le chiffonnier ambulant)". Synon. région. gueille*-ferraille !, peillarot !*.
14. […] un homme vêtu de guenilles multicolores cria « À la peille ! Y-a-t-il des peaux de lapins ? Des cartons ? Des vieux chiffons ? De la ferraille ?
À la peille !… » La serveuse lui fit signe que non et le « peillaraud » [v. peillerot] risqua un pas de plus. (P. Louty, Le Secret de Catherine, 1999, 579.)
— Par métaph. 〈Auvergne〉 au pl. "gros flocons de neige" (BonnaudAuv 1976). Synon. région. patte* (sens 4).
2. 〈Allier, Loire, Gard, Hérault, Haute-Loire, Cantal (Massiac), Puy-de-Dôme (Pionsat),
Creuse, Aquitaine〉 fam. Souvent au pluriel "vieux linge, vêtements en guenilles, hardes". Il faudrait brûler la moitié de ces pilles !a Y a plus de place dans le placard (FréchetMartinVelay 1993).
a Variante de peille en limite d’aire, à l’est (FréchetMartinVelay 1993, 113)
15. […] le vieux chiffonnier / […] Dans ses peilles entortillé […]. (Ch. Trenet, « La mort du chiffonnier », 1961, Le Jardin extraordinaire, 1993, 479.)
16. J’ai retrouvé ces peilles dans ma vieille armoire. Je pensais les porter à la Croix Rouge, ou quelque chose
comme ça. (MeunierForez 1984, 167.)
17. À la ville, papa se costumait en instituteur : costume trois-pièces et chapeau, mais
il se sentait déguisé. Dès qu’il arrivait au mas, il revêtait ses peilhes, là, il était à l’aise, il n’avait pas peur de se salir. (J.-P. Chabrol, Le Bonheur du manchot, 1995 [1993], 136.)
18. Les derniers beaux jours virent la Marie aider sa fille à mettre de l’ordre chez pépé
François : monter au grenier les vieilles peilles, brûler les paillasses des lits pour les remplacer par des sommiers. (S. Lavisse,
Un siècle de vie à l’ombre de Tronçais, 1995, 179.)
19. Et puis il y a ma grande sœur Hélène […]. / Le problème, c’est que elle, elle fait
chic, et moi, avec mes peyes [sic], je fais petit malheureux. (Cl. Couderc, Le Petit, 1998 [1996], 29.)
20. Peu de temps avant sa mort, la Fernande, une pauvre laveuse, avait rassemblé quelques peilles dans une petite valise noire, pour l’usage que vous savez maintenant [pour en être
revêtue après son décès]. (B. Gérard-Simonet, Contes du Pays creusois. Les veillées de chanvre, 1996, 69.)
— 〈Puy-de-Dôme (Brassac)〉 se mettre en peille loc. verb. "s’habiller de vêtements usagés et peu fragiles". Synon. région. se mettre en petas*, se mettre en peillarot*.
3. 〈Landes〉 "robes, vêtements".
21. Les Landais se demanderont sans doute longtemps comment le papier imprimé (qui n’est
plus de chiffon) a pu disparaître des magasins envahis par la gueille*, où les « troc et troc » tiennent le juste milieu entre marchands de peille et ramasseurs de gueille. (Ch. Daney, Dictionnaire de la Lande française, 1992, 83.)
4. 〈Languedoc oriental et occidental〉 fam. "pièce de toile épaisse servant à laver les sols, à éponger". Stand. serpillière. – Synon. région. bâche*, cince*, emballage*, loque*, panosse*, patte*, pièce*, toile*, torchon* de plancher, wassingue*.
22. […] je suis allée chercher de l’eau pour la vaisselle et pour passer la peilhe sur le sol. (G. J. Arnaud, Les Oranges de la mer, 1990, 128.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
23. Clémence, la lavandière, avait été payée et l’Espagnole aussi, qui vidait les seaux
à la rivière, passait la « pelhe », la serpillière, lavait la vaisselle et surtout assurait le ravitaillement en eau.
(G. J. Arnaud, Les Moulins à nuages, 1988, 246.)
24. La peille, c’est ce que dans le Nord, ils appellent washingue [sic, v. wassingue à la nomenclature], serpillière ou je ne sais quoi. (Y. Rouquette, La Mallette, 1994, 12.)
◆◆ commentaire. Attesté dep. 1609 dans le français d’Auvergne (Besse peilles "vieux linge", ChambonMarquis, 384) ; v. encore Charente 1631, doc. Arch. Charente (TLF) ; Chabanais
1656, toute la peille qu’il pourra amasser pandant ladite année (BoulangerConfolentais), La Rochelle 1771 peilles [sur une affiche à l’occasion d’arrivée de navires] (MussetAunSaint). Ce terme de
l’Ouest méridional et du Massif-Central (Languedoc, Rouergue, Auvergne, Limousin)
a une bonne vitalité dans le registre familier (Languedoc de 80 à 95 % de connu ou
employé ; Limousin, de 70 à 85 %). En aocc. il est attesté dans ses deux acceptions
principales : "guenille, haillon" (dep. ca 1140, Marcabru : peilla, Rn) et "vêtement" (dep. ca 1270, Peire Cardinal : peilhas, Rn), qui se sont prolongées dans les dialectes modernes. 1. est connu sur une aire qui recouvre pratiquement l’aire d’emploi des dialectes, c’est
un emprunt du français (par l’intermédiaire le plus souvent de ses variétés régionales)
aux dialectes correspondants ; toutefois, le terme étant attesté très tôt en français
(ca 1176 "vêtement en guenille ; haillon, loque, chiffon" Étienne de Fougères, Le Livre des manières, éd. Lodge, v. 866)a, et utilisé dans le domaine du colportage et du ramassage de chiffons pour alimenter
les manufactures de papier, des échanges continus ont eu lieu dès l’introduction de
cette industrie en France (13e/14e s., Dictionnaire portatif des Arts et Métiers, 1767, 331), les mots locaux étant confrontés aux termes d’autres régions. Ainsi à
Ambert (Puy-de-Dôme), première ville papetière de France au 18e siècle (SavBr 1741, 687a), étaient utilisés concurremment les termes fr. patte*, peille et petas* "chiffon utilisé pour la fabrication du papier" (« Les […] ramasseurs de petas, de peille, de patte, s’étaient faits les alliés des papetiers » H. Pourrat, Dans l’herbe des trois vallées, 1943/1954, 103, repris dans J.-L. Boithias, Ethnologia, 1978, 158). Ces emplois techniques (v. SavBr 1741-1742b ; Hav) ont contribué à consolider le terme ; c’est aussi le sens technique qui assure
l’entrée et le maintien de cet ancien emprunt dans les dictionnaires du français,
notamment des 19e et 20e siècles (« techn. » : Trév 1752-1771 ; AcC 1842 ; Besch ; Littré ; GLLF 1976 ; Rob 1962-1985 ; TLF ;
NPR 1993-2000), qui ne l’ont pas identifié comme régional (à l’exception de TLF dans
la partie hist.) alors que, dès 1761, Lalande le signalait « en quelques endroits du Limousin et du Poitou ». 1. illustre parfaitement le cas d’un emprunt du français à l’occitan (cf. Doujat "haillon, petit morceau de linge") par les emplois techniques (v. Cl. Vanden Abeele, thèse Leuven, 1990-1991, 148).
2. et 3. prolongent dans de petites aires l’ancien sens "vêtement, robe".
a La persistance d’une tradition d’emploi de peille en afr. est peu étayée, les mêmes exemples étant repris depuis Gdf par les lexicographes ;
la minceur documentaire dans TL est révélatrice à cet égard. Selon Lodge, éd. citée,
55, il s’agit d’un régionalisme.
b « Le papier se fait avec de vieux linges de chanvre ou de lin, qu’on appelle vulgairement
Chiffons, et que les Manufacturiers nomment Drapeaux, Peilles, Chiffes, Drilles ou
Pates » (SavBr 1741, s.v. papier, p. 683a.)
◇◇ bibliographie. FEW 8, 496a, pilleum ; ChambonMarquis ; BoulangerConfolentais [1656 ; 1670] ; SavBr 1741-1742, s.v. papier ; A. Nicolaï, Histoire des moulins à papier du sud-ouest de la France (1300-1800) [1748, Angoulême 164, ca 1777, Bordeaux 36, 37] ; J.-J. de Lalande, L’Art de faire le papier, Paris, 1761, art. 9 ; Dictionnaire portatif des Arts et Métiers 1766-1767 ; DesgrToulouse 1768 ; VillaGasc 1802 ; Cl. Vanden Abeele, Le Vocabulaire de la papeterie d’après le ‘Manuel du fabricant de papiers’ par L.-S. Lenormand (1833), Katholieke Universiteit Leuven, 1990-1991, [1833] « région. » ; JaubertBerry 1838 langue de peille ; ConnyBourbR 1852, s.v. écoube ; MègeClermF 1861 ; JaubertCentre 1864 ; Littré 1869 ; P. Dupuis, Vieux mots montluçonnais, Montluçon, 1900, dans la métalangue de l’auteur, s.v. penailloux ; G. Dumont, Essai de Folklore de la région de Bourbon-l’Archambault. Vocabulaire en usage vers
1880, Moulins, 1935, s.v. peuilles ; J. Tissier, Dictionnaire berrichon, J. Laffitte, 1987 [1884] ; Hav ; ChoussyBourbonn 1914 pilles ; JoblotNîmes 1924 pèye ; MussetAunSaint 1929 ; BrunetFranchesse 1937 ; BigayThiers 1941 ; SéguyToulouse
1950 ; DornaLyotGaga 1953 ; ManryClermF 1956 ; E. Tisserand, Du Patois au français régional en un point du domaine bourbonnais : Saint-Léopardin
d’Augy, DES Faculté des Lettres de Clermont-Ferrand, 1961 ; PierdonPérigord 1971 ; Etudes Limousines, n° 50-51, 1973, 72 ; GebhardtOkzLehngut 1974, 388 ; BonnaudAuv 1976 ; BridotSioule
1977 ; M. Prival, Les Migrants de travail d’Auvergne et du Limousin au xxe siècle, Public. de l’Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1979 ; BecquevortArconsat
1981 ; Olivier Bïzà Neirà 29, 1981, 12 ; SabourinAubusson 1983 et 1998 ; GononPoncins 1984 ; LagardeCérilly
1984 ; MeunierForez 1984 ; JaffeuxMoissat 1987, 32 ; QuestThiers 1987 ; MartinPilat
1989 « connu à partir de 60 ans, en déclin au-dessous » ; BoisgontierAquit 1991 ; CampsLanguedOr 1991 ; LangloisSète 1991 ; BoisgontierMidiPyr
1992 « un des régionalismes les plus solides du français populaire méridional » ; CouCévennes 1992 ; BlancVilleneuveM 1993 ; DubuissBonBerryB 1993 ; FréchetMartVelay
1993 « globalement peu attesté, et conservant une connotation dialectale » ; PotteAuvThiers 1993 ; FréchetAnnonay 1995 « globalement attesté » ; E. Coudert, Parlem 48, 1996, 13 ; FréchetDrôme 1997 « globalement attesté » ; LuronCentreBerry 1997 ; enq. partielle Auvergne 1998 ; MichelRoanne 1998 « peu attesté » ; PlaineEpGaga 1998 ; MoreuxRToulouse 2000 « disparu du langage des jeunes » ; ALF 281.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : "chiffon" Aude, Hérault, Lozère, 100 % ; Dordogne, 90 % ; Corrèze, Creuse, Gard, Languedoc
occidental 80 % ; Haute-Vienne, 70 % ; Allier, 65 % ; Cher, 60 % ; Indre, 50 % ; Aquitaine,
20 % ; Loir-et-Cher sud, 0 %. "vêtement, haillon" Aquitaine 15 %. "serpillière" Aude, Gard, Hérault, Lozère, 0 %.
|