peillerot (et var.) n. m.
1. 〈Indre (sud), Cher (sud), Allier, Loire (Saint-Étienne), Languedoc, Pyrénées-Orientales,
Aveyron, Auvergne, Limousin〉 vieilli "marchand ambulant, collectant les étoffes usagées, les peaux de lapin, et divers objets
de récupération, pour en faire commerce". Stand. chiffonnier. Synon. région. marchand d’ loques* ; pattier*. – Elle sort pièce après pièce et fait deux tas, l’un, tout ce qui ira au « pillerot », l’autre qu’elle conservera (BridotSioule 1977, 114).
■ graphie et prononciation. Pluralisme des graphies (ill, lly, lh), pour rendre la palatale [j] ; au nord de l’aire (Indre, Cher, Allier, Puy-de-Dôme),
variation fréquente [i, ɛ] de la voyelle en syllabe initiale. Dans l’aire méridionale,
le suff. ‑arot, au phonétisme non adapté, est pratiquement la règle face à ‑(è)rot à la frange nord de l’aire d’emploi. L’indécision graphique est liée à l’absence
de tradition lexicographique du mot et dénonce l’emprunt aux dialectes.
1. Puis il creva de rire, en se tapant sur les genoux : Tu te rappelles ? Les rubans
et les morts ? Jésus qui viendra juger les rubans ! Ma foi, tu prenais Dieu pour un
« peillereau ! » (J. Anglade, Un front de marbre, 1970, 152.)
2. Ah ! mon cher ami ! Toi, tu ne vieillis point ! Regarde ce que ta femme est devenue !
Ses mains, sa figure, ses jambes, toute sa personne dont le peilleraud ne donnerait pas trois sous […] ! (J. Anglade, Le Tilleul du soir, 1975, 46.)
3. Pitelet le Fin eut la chance d’être nommé dans celle [l’école] qui venait de s’ouvrir
au Moutier, le quartier bas, peuplé de misérables artisans, de jardiniers, de peillaros. (J. Anglade, Les Ventres jaunes, 1981 [1979], 98.)
4. Le peilharot exilé, devenu P.D.G. de la récupération, est fier de sa réussite. (M. Prival, Les Migrants de travail d’Auvergne et du Limousin au xxesiècle, 1979, 158.)
5. Les autres jours, on avait du foie de veau, de la saucisse, quelquefois du lapin (on
en vendait la peau au « peillarot ») […]. (M. Bailly, Le Piosou, 1980, 82.)
6. – […] Qu’est-ce que tu as fait de mes affaires ? Tu les as peut-être vendues au pilleraud [en note : chiffonnier] ? (R. Fallet, La Soupe aux choux, 1980, 150.)
7. – Tu fais ce que tu veux, Jules : boulanger, rempailleur de chaises ou peilharot [en note : chiffonnier]. Ça te regarde, mais je t’en prie : ne touche pas aux œuvres vives
de ton moulin. (M. Peyramaure, L’Orange de Noël, 1996 [1982], 104.)
8. C’est ainsi qu’enfants et ménagères récupéraient tout ce qui avait quelque valeur
et pouvait être vendu au « peilharot » (chiffonnier) qui faisait sa tournée hebdomadaire, à jour fixe, dans le quartier.
Assis dans sa jardinière [= petite charrette], attelée d’un cheval[,] il annonçait
son passage à son de trompe. (M. Thourel, Vivre à Marengo, 1985, 67.)
9. Non, c’est pas les parents. La chienne n’aboierait pas comme ça. Un pillarot peut-être ? (R. Eymard, Nous sommes tous des Nez noirs, 1988, 157.)
10. – Un car marqué « ramassage scolaire ». C’est tout ce qu’ils ont trouvé comme mot : « ramassage ». Comme pour des feuilles mortes, des vieux journaux […]. Des peilleraux d’enfants, des éboueurs de bambins, des enrôleurs d’ados. (A. Aucouturier, Le Dénicheur d’enfance, 1996, 162.)
11. Dans les années trente [à Brive], les rues du matin, à la belle saison, étaient un
théâtre permanent. Plus animées et plus bruyantes qu’aujourd’hui. C’était encore le
temps des marchands et des artisans ambulants qui, à défaut d’enseigne, avaient leurs
cris particuliers, avec des intonations curieuses : le « viiitrier »… Le [sic, avec majuscule] « peilharot », peaux de lapin… le « rééétameur » […]. (M. Peyramaure, Un monde à sauver, 1996, 155.)
12. La Louise, dès le sacrifice du lapin, enfilait une tige d’osier recourbée dans la
peau encore fraîche, afin de la maintenir en forme. Elle veillait à ne pas laisser
miter la peau, car si le poil tombait[,] le peillereau refusait de payer la dépouille… (S. Lavisse-Serre, Les Locatiers de Beauvoir, 1998, 196.)
□ Avec ou dans un commentaire métalinguistique incident. Le chiffonnier, notre « Pelharot » (P. Gougaud, L’Œil de la source, 1978, 20).
13. Seul ce qui ne vaut absolument plus rien est vendu au peillaraud (marchand de peilles* ou chiffonnier, qui est devenu piaraud et même de plus en plus devient pierrot). (A.-G. Manry, dans Vie et Langage 54, 1956, 402.)
14. […] un « peillarot », autrement dit un peillereau du Midi, chiffonnier ambulant, négociant en loques et peaux de lapin […]. (Ph. Dagen,
dans Le Monde, 25 août 1988, 13.)
15. Les chiffonniers, appelés les peillerauds, passaient régulièrement dans les rues, tout comme les étameurs, les raccommodeurs
de faïence et de porcelaine, les vanniers, les réparateurs de parapluies. (Cl. Fourneyron,
Les Rêves bleus, 1993, 148-149.)
16. Il se fait chiffonnier, oui, « peliaro », roulier si vous aimez mieux. Il vend des parapluies et tout ce qui lui tombe sous
la main. (R. Limouzin, Les Moissons de l’hiver, 1995, 41.)
V. encore s.v. pattier, ex. 8 ; piat, ex. 3.
□ En emploi métalinguistique.
17. Très régulièrement, le « pillerot » poussait le portail et pénétrait dans la cour, il laissait sur le trottoir une charrette
à bras déjà bien pleine de baluchons de toutes tailles qui, souvent, par de grands
trous, laissaient voir un intérieur assez navrant et fort crasseux. Pillerot était le vrai nom qui recouvrait son négoce ; traduit en parisien, il faudrait sans
doute dire chiffonnier. (P. Soisson, Les Souvenances d’un vieux tortin, 1987, 201.)
□ En emploi autonymique "(cri par lequel s’annonce le chiffonnier ambulant)". Synon. région. gueille*-ferraille !, à la peille* !
18. À Toulouse, encore aujourd’hui, le cri pélaròt ! (parfois légèrement francisé en péyàró) est le seul moyen que connaisse le chiffonnier ambulant pour se manifester. (ALG,
1958, t. 3, 653*.)
19. Henri Dufour […] commence à chiner avec son vélo le 1er juillet 1923 et seconde ainsi son père en essayant de ne pas prospecter les mêmes
villages. Au cri de « Peilharot » ou au son d’une trompette, il ramasse les peaux, les cuirs, les fers, les chiffons,
la laine, etc… (M. Prival, Les Migrants de travail d’Auvergne et du Limousin au xxe siècle, 1979, 147.)
— En part. "(le personnage du chiffonnier utilisé pour faire peur aux jeunes enfants)". Stand. croquemitaine. Synon. pattier*.
20. J’avais peur que, pendant mon absence, le « peilharot » (le chiffonnier) ou les « craques » [sic] (les bohémiens) me prennent mon petit frère. Je dois avouer que, pour me faire obéir
et me retenir à la maison, ma mère, mes tantes et les autres ne cessaient de m’avertir :
« Si tu n’es pas sage, si tu vas au ruisseau, on donnera Amé au peilharot. » (N. Calmels, L’Oustal de mon enfance, 1985, 25-26.)
21. On disait aux gosses pour les faire tenir tranquilles, si tu n’es pas sage, je te
donne au pelharot. (H. Soum, Chronique des bords de Garonne. La Basane, 1985, 157.)
22. – C’est [le phylloxéra] un monstre comme les Prussiens, ou Barbe-Bleue, ou le peilharot. (G. J. Arnaud, Les Oranges de la mer, 1988, 36.)
2. 〈Allier, Bouches-du-Rhône, Gard, Hérault, Aude, Haute-Garonne, Tarn, Puy-de-Dôme, Haute-Vienne,
Corrèze, Dordogne (nord)〉 péj. "personne mal habillée, d’aspect misérable ; par ext. personne dont le comportement est estimé non conforme aux usages reçus". Synon. région. camp-volant (sens 2.2.), caraque (sens 3).
23. Depuis deux ou trois ans, il était toujours fourré avec une sorte de marchand de peaux
de lapin, un qui était pas d’ici, un espèce de pillaro. Celui-là, il fallait l’entendre parler du sabre et du goupillon. (R. Eymard, Nous sommes tous des Nez noirs, 1988, 171.)
24. – Un ami ? Tu as des amis, toi ?
– Oui monsieur et plus qu’un ami, un compagnon ! […] un compagnon et pas un « peillarot ». Tu veux que je te dise ? (Panazô, L’Honneur de la Janille, 1991, 97.) — Dans des comparaisons.
25. Grand-père rit de bon cœur, mais grand-mère n’apprécia pas qu’un étranger ait pu me
confondre avec une servante de ferme : « Quelle idée aussi, ma petite chère amie, t’es toujours habillée comme un peillereau quand tu traînes dans la cour ! » (S. Lavisse, Retour au pays de Tronçais, 1990, 128.)
26. – […] Et tes pieds ? T’as vu tes pieds ? On dirait un peillarot ! Mais qui m’a fichu un fils pareil ! (M. Courbou, Les Chapacans, 1994, 188.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
27. […] un « peillarot », autrement dit un peillerau du Midi, chiffonnier ambulant, négociant en loques et peaux de lapin, un voleur et
un mécréant en somme. À Puycelsi [Tarn], il ne saurait être question de conserver
place de l’Eglise un objet si scandaleusement odieux. (Le Monde, 25 août 1988, 13.)
— se mettre / être en peillarot loc. verb. "se mettre à l’aise dans de vieux vêtements (qui ne craignent ni la saleté, ni les
déchirures) ; porter des vêtements très usagés". Synon. région. se mettre en peille*/en petas*.
28. L’un des plaisirs intimes de M. Hur [un instituteur] était, les jours sans classe,
de s’accoutrer de loques – de « se mettre en peillarot » selon l’expression locale – afin de bricoler en toute quiétude […]. (J.-P. Chabrol,
La Gueuse, 1965, 232-233.)
29. […] il était en peillarôt, comme on dit à Clerguemort, c’est-à-dire qu’il portait des loques, pantalon, veste
et gilet, telles qu’on n’avait pas osé les donner au Bésougnous, le mendiant du village.
(J.-P. Chabrol, Les Rebelles, 1965, 32.)
30. Il regardait le chiffre au compteur, notait sur le carnet de bord, décrétait : « Nous ferons la vidange jeudi en quinze. » On s’y préparait comme pour les vendanges ou les moissons. Il y faudrait la matinée
entière, on se mettrait en « peilharot » chouette alors ! (J.-P. Chabrol, Le Bonheur du manchot, 1995 [1993], 136.)
3. 〈Allier, Haute-Garonne, Auvergne, Dordogne〉 vieilli porter à peillerot loc. verb. "porter à califourchon". Porter au peillerot (BrunetFrBourbonn 1964). Tu es fatigué ? Viens, je vais te porter à pelharaud (PotteAuvThiers 1993).
31. Je la revoyais, dans un kaléïdoscope éperdu, me conduisant par la main, me portant sur son dos à « pillaro », disait-elle, comme les marchands de fripes ou de peaux de lapin, me menant dans
les champs à la quête des herbes […]. (G. Georgy, La Folle avoine, 1991, 225.)
◆◆ commentaire. Emprunt aux dialectes occitans, attesté dep. 1609 dans le français d’Auvergne (Besse,
ChambonMarquis), v. encore Chabreuges peliarot (1781/1786, R. Darpoux, Almanach de Brioude, 1986, 39), peillerot apparaît tardivement dans la lexicographie de référence (19e s.), et, aujourd’hui encore, n’est pas complètement adapté à la langue d’emprunt ;
en témoignent les graphies multiples, souvent reflets de prononciations locales [pɛjʀo, pɛjɑʀo, pijʀo] et de l’absence de repères dans l’usage. De même, pour ce qui est du champ sémantique
couvert, référant à un « chiffonnier rural » (Lar 1874 ; PLI 1906 ; Quillet 1965 ; Lar 20e s.), et surtout à un mode de vie aujourd’hui disparu. Le terme est sauvé par le pittoresque
de la silhouette évoquée (d’où le registre des vêtements négligés, de la personne
inquiétante), du dos courbé sous la charge (d’où le thème du jeu d’enfant). TLF marque
le terme « région. (Auvergne, Limousin) ». L’aire d’emploi actuelle couvre le Languedoc où l’usage est le plus dense (Languedoc
oriental, 90 % ; Languedoc occidental, 85 %), le Roussillon, le Massif Central jusqu’à
l’Allier et le sud de l’Indre et du Cher. L’aire d’emploi de peillerot s’inscrit dans l’aire couverte par peille* mais en retrait ; elle est, par ailleurs, pratiquement le calque de l’aire dialectale
(Indre [pœjʁo], Allier [pijʁo, pejʁo], Languedoc occ. [peljaʁɔk, peljaʁɔt], Auvergne [piljaʀo, peljaʀo]) ; le régionalisme se signale donc par une absence de vitalité propre. 1. est un emploi familier référant au passé sauf dans quelques emplois techniques (à
Ambert notamment, en relation avec l’industrie papetière). 2. utilise le personnage emblématique sur le mode ironique ou plaisant dans les comparaisons
ou comme référence. 3. n’est qu’une survivance. Le terme se maintient aujourd’hui dans les discours familiers,
ou en littérature, pour évoquer un personnage bien typé.
◇◇ bibliographie. FEW 8, 496a, pilleum ; ChambonMarquis ; VillaGasc 1802 ; PomierHLoire 1835 ; JaubertBerry 1838 ; MègeClermF
1861 ; JaubertCentre 1864 ; PuitspeluLyon 1884 ; ChoussyBourbonn 1914 pillerot ; PrajouxRoanne 1934 « ancien » ; G. Dumont, Essai de folklore de la région de Bourbon-l’Archambault, Moulins, 1935 ; BrunetFranchesse 1937, s.v. peille ; SéguyToulouse 1950 « très commun » ; ManryClermF 1956 ; BrunetFrBourbonn 1993 [1964], s.v. peille ; PierdonPérigord 1971 ; BonnaudAuv 1976 ; GLLF 1976 ; NouvelAveyr 1978 « courant » ; RLiR 42 (1978), 180 pillareau (Puy-de-Dôme) ; M. Prival, Les Migrants de travail d’Auvergne et du Limousin au xxe siècle, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1979 ; SabourinAubusson 1983
et 1998 ; TLF 12, 1986 ; JaffeuxMoissat 1987, 32 peyarau ; DesrichardSouvigny 1989, 525 ; CampsRoussillon 1991 ; LangloisSète 1991 ; BoisgontierMidiPyr
1992 ; CouCévennes 1992 peillarot, ‑ote, s.v. peille ; DubuissonBonBerryB 1993 ; PotteAuvThiers 1993 pelharaud ; PruilhèreAuv 1993 ; FauconHérault 1994 peillarot ; E. Coudert, Parlem 1996, 13 ; MoreuxRToulouse 2000 ; ALF B1501, ALCe 1046, ALMC 1218, ALLOc 1103.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Hérault, Lozère, 100 % ; Aude 90 % ; Languedoc occidental
85 % ; Allier, Puy-de-Dôme, 80 % ; Cantal, Gard, Pyrénées-Orientales, 65 % ; Cher
40 % ; Haute-Loire, 30 % ; Indre, 15 % ; Loir-et-Cher sud, 0 %.
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