petas ou pétas n. m.
1. 〈Allier, Saône-et-Loire (sud), Ain, Rhône, Loire, Isère, Drôme, Languedoc oriental
et occidental, Lozère, Ardèche, Haute-Loire, Cantal, Puy-de-Dôme, Creuse〉 fam. "pièce d’étoffe choisie, ou préparée aux dimensions requises, pour être cousue sur
du linge troué ou usagé qui doit être renforcé". Synon. région. piat*. – Poser petas sur petas. Regarde dans mes petas, tu en trouveras sûrement un pour raccommoder
ses pantalons bleus (MazaMariac 1992). Il est beau, ton jean, avec tous ces pétas ! (MoreuxRToulouse 2000).
1. On la voyait parfois à la maison. Ma mère l’appelait la Rapetassière. Elle réparait
les vêtements, mettait des pièces au fond des culottes ou aux genoux des pantalons.
– Laissez, madame Maupérier, je vais y mettre un petas, que* ! C’est pas tout neuf, mais ça tiendra bien une saison encore. (R. de Maximy, Le Puits aux corbeaux, 1996 [1994], 32.) 2. Joseph sacrifie un vieux sac avec des forces à tondre les moutons et découpe des « petas » pour repriser les trous que les souris ont grignotés tout l’hiver. (A. Aucouturier,
La Mère-Nuit, 1998, 111.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
3. À la maison en effet, on conserve tout, les peilles* (petits chiffons avec un sens assez péjoratif) aussi bien que les petas (morceaux de tissu) pour rapetasser. (A.-G. Manry, dans Vie et Langage, septembre 1956, 402.)
4. Souvent ces vêtements ont perdu toute identité, toute leur image première ; les « pétas », les rapiéçages se touchent ou presque, sans grand souci d’assortiment de teintes.
(J. Couffinhal, Le Petit Berger du Larzac, 1989, 55.)
— Par analogie.
5. Il [le pétassous = cordonnier] coupe du tranchet, coud à l’alène […] et fixe semelles et « pétas » à l’aide de clous et de pointes qu’il tient dans sa bouche. (M. Thourel, Vivre à Marengo, 1985, 94.)
● Au pl. 〈Creuse〉 péj. "grossières réparations faites par un cantonnier au revêtement de la route en en comblant
les trous".
■ prononciation. [petas] en Languedoc (BoisgontierMidiPyr 1992 ; v. ici la graphie pétas, ex. 4-5, 14 et CampsLanguedOr 1991).
■ morphologie. Le mot est f. 〈Rhône (Haut-Beaujolais), Loire (Roanne), Gard (Alès).〉 « Ma mère a mis une petasse à ma culotte » (VurpasMichelBeauj 1992).
2. Par ext.
2.1. 〈Indre, Cher, Allier, Saône-et-Loire (sud), Ain, Rhône, Loire, Isère, Drôme, Languedoc
oriental, Lozère, Ardèche, Haute-Loire, Puy-de-Dôme, Creuse〉 "morceau d’étoffe, chute de tissu (usagé), pouvant avoir des usages variés". Synon. région. estrasse*, gueille*, loque*, patte*, peille*. – Tu ne veux* pas garder ce petas, il ne peut pas servir à grand chose (MichelRoanne 1998).
6. Il eût fait gente – beau – qu’un gamin jetât le moindre morceau de bois, de cuir, de tuile ou de fer ;
la gamine, le moindre petas […] ! (L. Gachon, L’Auvergne et le Velay, 1994 [1948], 83.)
7. – Un petas de laine, demande le Joseph, le visage rouge de chaud, les gouttes de sueur roulant
du front dans la barbe noire.
Du petas, de la main aussi, le Joseph frotte les reins de la Finance. Et de frotter. (L. Gachon, La Première année, 1996 [1973], 118.) 8. Un petas noué autour du bec, si i faut, et elle [une vieille femme] pourra pas appeler. (Récit
F.-X. Clément, reconstitué par R. Aurembou, Il était une fois… le Bourbonnais, Laffitte, 1983, 49.)
9. Il force le garçon à vêtir sa pélerine trop courte, « ça cache tout », tente d’en atténuer une tache avec un petas mouillé. (G. Rey, La Montagne aux sabots, 1994, 163.)
10. […] elle lui apprend à coudre un bouton de nacre sur un petas de tissu, à faire un ourlet, lui monte des mailles pour un peu de tricot au point
mousse […]. (A. Aucouturier, Le Milhar aux guignes, 1995, 161.)
— Emploi non-comptable 〈Puy-de-Dôme, Aveyron〉 "chiffon, linge usé ; toile, tissu (de mauvaise qualité)". Du vieux petas.
11. […] la balle fit plouf, et resta immobile et camuse. Et l’enfant désolée :
« Mais elle rebondit pas du tout ! – Comment peut-elle rebondir ? C’est une balle en petas ! » (J. Anglade, Les Bons Dieux, 1984, 290.) 12. Cette préparation [à base de tomme] était placée dans des petits sacs de « peta » et ces derniers pendus à une poutre de la salle commune pour la savourer après plus
d’un mois. (E. Méallet, D’une fougère… à l’autre, 1992, 88.)
13. Elle partait à pied, de bon matin, chaussée de galoches, avec au bras, son sac en
« peta » [glosé : tissu] dans lequel elle transportait son nécessaire à couture. (E. Méallet, D’une fougère… à l’autre, 1992, 161.)
14. – J’ai promis deux banderoles au président cantonal et je suis très embêté : personne
n’est venu peindre ce matin… Nous aurons l’air de quoi sans un morceau de pétas [en note : tissu] à mettre sous le nez du préfet ? (D. Crozes, La Fille de la Ramière, 1998, 67.)
15. J’avais appris qu’il était parti dès l’automne « faire la chine » en Vendée, avec son oncle Octave, le marchand de « petas » [en note : négociant en toiles, tissus] […]. (É. Méallet, Les Quatre chemins, 1998,78.)
16. Il en est, de ses compagnons de jeu, qui tapent dans une balle en petas pour des parties acharnées, sans gardien de but […]. (M. Bénézit, La Voix des chaumières, 1999, 50.)
— péj. 〈Puy-de-Dôme.〉
● Par métaph.
17. Mais nous ne sommes que des révoltés de petas (parlant d’un homme sans muscle ni énergie, ma mère disait : c’est un homme de petas, c’est-à-dire un homme de chiffon), nous n’avons ni cartouches ni bannière, nos revendications
sont à mourir de rire. (J. Anglade, Le Tour du doigt, 1977, 228.)
● Au fig. petas mouillé loc. nom. m. "personne qui est d’un caractère faible". Stand. chiffe (molle).
18. Et elle de le singer : « Faut bien que je répare ! Petas mouillé que tu es ! » Cette énergie, cette injure de « petas mouillé », au fond, ça le flatta ; la gaillarde avait l’air de tenir vraiment à lui. Elle l’avait
dans la peau, comme disent les Parisiens. (J. Anglade, Un front de marbre, 1970, 146.)
— Dans des locutions.
● 〈Gard (Nîmes), Hérault〉 langue de pétas, 〈Puy-de-Dôme〉 langue de petas loc. nom. f. "personne médisante". Synon. région.langue de peille*.
19. Pour lui [le paysan] l’avocat est celui qui parle trop bien. […] Langue d’avocat :
langue de petas – de chiffon – et langue de fatras ! Musique du diable. Chanson pour endormir le
monde. (L. Gachon, L’Auvergne et le Velay, 1994 [1948], 76.)
● 〈Puy-de-Dôme (Brassac)〉 se mettre en petas loc. verb. "s’habiller de vêtements usagés et peu fragiles". Synon. région. se mettre en peillarot*/en peille*.
2.2 〈Allier (sud-est)〉 vx "large carré de tissu dont on emmaillotait le bébé par-dessus les couches".
20. Génie habille les petits, enroule la toile du péta autour de la couche, puis un lainage et enfin un corset […]. (G. Rey, La Montagne aux sabots, 1994, 57.)
— 〈Poncins〉 "garniture de tissu dont on enveloppe les fesses du bébé qui n’est pas encore propre". Tu viens de laver ? – Oh ! Juste deux-trois petas du mimi [glosé : les couches] (GononPoncins 1984).
3.1. 〈Allier〉 "objet ou surface de petit volume et/ou de peu d’importance" ; en part., péj. "très petite surface (d’un terrain, à exploiter ou à cultiver)".
21. Allez Tétaine, finissez dayère [= rapidement] de tailler ceux [= ces] trois petas et venez nous trouver à la cabane de Pied d’ Vigne. (R. Langlois, Les Raisins de la passion, 1996, 26.)
22. Il avait fait part à la Nette de sa tristesse de voir la Côte se couvrir de broussailles
et de constater qu’ils faisaient partie des derniers à s’obstiner à peiner encore
pour maintenir leur vigne en état. […]
– […] T’as raison, ça vaut pus l’ coup de continuer à faire ça. Surtout que c’est pas la peine de la garder pour Joseph. Des petas comme ça, ça l’intéressera sûrement pas. (R. Langlois, Les Raisins de la passion, 1996, 206.) 3.2. 〈Puy-de-Dôme (est)〉 "morceau".
23. Même que, tombée la nuit, à trois faucheurs que l’on est, on en aura coupé un grand petas. (L. Gachon, L’Auvergne et le Velay, 1994 [1948], 146.)
3.3. 〈Loire (Poncins), Ardèche (Mariac)〉 "gros morceau (de pain, de viande, etc.) ; bonne épaisseur, grande quantité (de neige)". Il n’a que huit ans, mais il mange des petas de pain et de viande mieux que son père (GononPoncins 1984). Eh bien ! Il en est tombé, un peta de neige, cette nuit ! (GononPoncins 1984). Le lendemain, il est tombé un peta de neige, on risquait pas de sortir (MazaMariac1992).
■ graphie. Graphie variable (peta, ex. 12 et 13 ; péta, ex. 20), due à l’absence de tradition lexicographique.
◆◆ commentaire. Aauv. petas "morceau (de cuir, etc.) pour réparer, ressemeler" est attesté dès le 13e s. (1270-1271, CConsMontferrand ; 14e s., FEW) ; 1. est relevé dans l’aire francoprovençale, à Lyon (dep. ca 1746, DuPineauV : son habit est plein de peta, "pièces"), puis à Clermont-Ferrand, seulement à la fin du 19e siècle (MègeClermF 1861 : "chiffon, haillon") ; Hav cite encore fr. petas "pièce, morceau, chiffon" pour le Languedoc, le Forez et l’Angoumois. Le registre étroit du chiffon, associé
à l’activité ménagère et féminine, explique en partie ces lacunes ; il réfère par
ailleurs à un mode d’économie domestique de pénurie qui n’est plus d’actualité dans
les régions où survit le terme. Le maintien de quelques emplois techniques dans l’industrie
papetière, notamment à Ambert (cf. peille*), ne s’est fait qu’au prix d’une confusion de sens entre peille "chiffon bon à jeter" et petas "morceau d’étoffe qui peut encore servir et que l’on met de côté". Le croisement sémantique n’a pas revitalisé le terme qui est absent des dictionnaires
de français général (Ø DG ; GLLF ; Rob ; TLF). 1. s’est maintenu dans une grande partie de l’aire occitane et à l’ouest de l’aire francoprovençale,
englobant des départements périphériques comme l’Indre, le Cher et l’Allier ; à l’est,
la Loire et, avec une moindre densité, le Rhône, l’Ain et l’Isère ; l’aire d’emploi
la plus dense étant le Languedoc, les Cévennes et la Drôme (de 95 à 100 % selon les
enquêtes DRF). La Provence et la Savoie, comme toute la région Aquitaine, ne fournissent
pas d’attestation. Le sémantisme se caractérise par un chevauchement partiel des sens
des différents types de petas (dans les lexiques, sinon dans la pratique, les glossairistes étant peu précis sur
le sujet). Le sens 1. est dominant et recouvre l’aire d’extension maximale, alors que 2.1. ("morceau de tissu indifférencié") n’est pas relevé en Languedoc occidental. 2.2., dont le sémantisme témoigne de l’influence de l’aire francoprovençale, est cantonné
aux limites ouest de cette aire ; l’attestation isolée de la Montagne Bourbonnaise,
aire très conservatrice, constitue la butte ultime d’extension d’un emploi aujourd’hui
vieilli, sauf dans quelques localités où il peut se maintenir avec une connotation
affective. Sous 3. fr. petas prend la valeur d’une unité de mesure très (ou trop) petite ou, à l’opposé, par antiphrase,
d’un volume remarquable. La diversité des sens est attestée dep. l’aocc., et le français
reprend les principaux sens du dialecte (v. ALF 281 ; ALCe 799*, 801 ; ALLy 598 ;
ALLy V ; ALMC 1217 ; ALLOc 1101) ; cela reste vrai, même dans les aires frontalières
(Rhône, Loire, Allier, Puy-de-Dôme), où des développements sémantiques originaux pourraient
laisser attendre une certaine autonomie du particularisme. On en relève toutefois
quelques traces, v. par ex. en Auvergne où l’équivalent occitan de fr. langue de petas est lenga de pèlha (Parlem, 1996, 5) ; la locution française n’est donc pas ici un calque du patois. Malgré une
vitalité ponctuelle, les calques signent des emplois connotés, affectifs, dont le
champ sémantique étroit contribue à limiter l’usage.
◇◇ bibliographie. FEW 8, pittacium ; CConsMontferrand [1259-1272] ; VeÿStEtienne ; StrakaPoèmesStÉt 1964 ; DuPineauV
[ca 1746] ; MègeClermF 1861 ; Hav 4, 263 ; PuitspeluLyon 1894 ; Mâcon 1903 et 1926 ;
VachetLyon 1907 ; VerrOnillAnjou 1908 ; E. Tisserand, Saint Léopardin d’Augy, Mémoire pour le D.E.S., Clermont Ferrand, 1961 ; RézeauPérochon 1978 [1921] ; JoblotNîmes
1924 ; MussetAunSaint 1932 ["quartier"] ; PrajouxRoanne 1934 ; BaronRiveGier 1939, "morceau d’étoffe, petite pièce" ; BigayThiers 1941 ; SéguyToulouse 1950 « très commun » ; Piquand, Le Parler Bourbonnais, 1953 ; GagnonBourbonn 1972 ; A. Pourrat, Traditions d’Auvergne, 1976, 89 ; BonnaudAuv 1976 ; BridotSioule 1977 ; RLiR 42, 180 ; BoninLangy 1981 ;
MédélicePrivas 1981 « péj. et courant » ; Olivier, Bïzà Neirà 29, 1981, 12 ; AurembouBourbonn 1983, 163 ; SabourinAubusson 1983 et 1998 ; BoninBourbonn
1984 ; GononPoncins 1984 « très courant » ; MeunierForez 1984 ; JaffeuxMoissat 1987, 32 ; QuestThiers 1987 ; DesrichardSouvigny
1989 ; CampsLanguedOr 1991 « partout » ; BoisgontierMidiPyr 1992 ; MazaMariac 1992 ; VurpasMichelBeauj 1992 « bien connu au-dessus de 60 ans, en déclin rapide au-dessous » ; DubuissBonBerryB 1993 ; FréchetMartVelay 1993 « usuel » ; VurpasLyonnais 1993 « attesté au-dessus de vingt ans » ; PotteAuvThiers 1993 ; FauconHérault 1994 ; FréchetAnnonay 1995 « globalement connu » ; CottetLyon 1996 « plus courant que pia » ; Coudert, Parlem 1996, 5 ; MazodierAlès 1996 ; FréchetDrôme 1997 « globalement attesté » ; MichelRoanne 1998 (1 « usuel au-dessus de 60 ans », 2 « bien connu au-dessus de 60 ans » ; f. « connu au-dessus de 60 ans ») ; enq. partielle Auvergne 1998 ; QuesnelPuy 1999 ; MoreuxRToulouse 2000.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (1. et 2.) Drôme, Ardèche, Haute-Loire (Velay), Aude, Hérault, Lozère ; Puy-de-Dôme, 100 % ;
Gard, Cantal, 90 % ; Allier, 80 % ; Haute-Loire (hors Velay), 65 % ; Loire, 60 % ;
Cher, 40 % ; Rhône, 30 % ; Isère, 20 % ; Indre, 15 % ; Loir-et-Cher sud, Ain, 0 % ;
(1.) Languedoc Occidental 95 %.
|