bordille n. f.
1. [Inanimé concret]
1.1. 〈Isère (La Mure)〉 "petite saleté (sur un liquide, dans l’œil)". Synon. région. bourrier*, cheni*.
1.2. 〈Provence, Ardèche.〉 Synon. région. bourrier*.
— Au sing. "objet hors d’usage et/ou considéré comme bon à jeter".
1. Je revins de chez Rosemonde […], le fanal à bout de bras, que j’avais plus ou moins
nettoyé. Le Marcel, quand il m’a vu arriver, il s’est exclamé :
– Voï ! Qu’est-ce que c’est que cette bordille que tu nous ramènes ? – C’est pas une bordille, c’est un fanal. (P. Magnan, Les Secrets de Laviolette, 1993 [1991], 73.) ● à valeur générique.
2. – […] des caisses, des vieux cartons, de la bordille […]. (J. Rambaud, Adieu la raille, 1964, 60.)
— Le plus souvent au pl. "ordures ménagères". Synon. région. bourrier*, cheni*.
3. […] les chevaux qui le matin traînaient la voiture pour ramasser les bordilles… (P. Cauvin, Rue des Bons-Enfants, 1990, 16.)
4. Le train des poubelles, c’est une spécialité locale [à Marseille]. Tu as des villes
qui ont des décharges, des usines de traitement des déchets, des désintégrateurs de
bordilles. Nous on a le train des poubelles. (Ph. Carrese, Trois jours d’engatse, 1996 [1994], 156-157.)
5. – Les écolos. Je les entends d’ici, nappe phréatique, infiltrations, insalubrité,
vous n’avez pas fini. Fais-leur confiance, ils vont mettre le paquet […]. Vous n’avez
pas le choix, vous devez trouver un autre endroit pour vos bordilles. (Cl. Courchay, Quelqu’un, dans la vallée…, 1998 [1997], 199.)
□ En emploi métalinguistique. Quand on « descend les bordilles », au pluriel, c’est qu’on va jeter les poubelles (BouisMars 1999).
2. [Animé] Au fig. péj.
2.1. 〈Isère, Provence, Ardèche〉 "individu considéré comme méprisable". Stand. fam. fumier, ordure, salaud. Synon. région. estrasse*, fils* de + subst. – Toussaint, dans son genre, c’était une franche bordille (A. Bastiani, Le Pain des jules, 1960, 129).
6. – Je voudrais un kilo de saucisses, lui [au boucher] demanda Darnagas […].
– Je sers pas les bordilles comme toi, grogna Pastrami. (M. Courbou, Les Chapacans, 1994, 160.) 7. – C’est encore un coup de cette enflure ! fit Darnagas.
– Ah, la bordille de Pastrami ! ajouta Destoussi. (M. Courbou, Les Chapacans, 1994, 194.) 8. – Et toi, le frangin, tu la fermes, compris ? Tu dis rien ! Quand j’aurai besoin de
« le frère » dans la famille « petites bordilles », je te sifflerai… En attendant, rien. Je veux même pas t’entendre respirer ! (Ph. Carrese,
Filet garni, 1996, 89.)
9. – […] Qu’est-ce que vous faites, les flics ? Vous emmerdez le monde pour des conneries
et vous êtes pas capables de coincer ces bordilles. (R. Merle, Treize reste raide, 1997, 45.)
— Comme terme d’adresse.
10. – Salopard !
– Bordille ! (M. Albertini, Les Merdicoles, 1998, 145.) — Emploi interj. "(juron)".
11. – Tais-toi, j’ai dit. Bordille ! (Th. Monnier, Madame Roman, 1998 [1957], 188.)
12. […] voilà ce qui l’attendait tous les matins tant qu’un bon orage ne regarnirait pas
la citerne et ne ferait pas gicler la source. Bordille. Tant que ce ciel de merde ne se couvrirait pas de nuages ! (J. Carrière, L’Épervier de Maheux, 1972, 276.)
13. Cinq ou six coups de fusils claquèrent, peu significatifs. Quelques chasseurs se donnaient
ainsi de l’importance, ou peut-être tiraient-ils sur des « suppositions » de sanglier, comme disait le président Vachelieu. Celui-ci, d’ailleurs, n’en finissait
pas de grogner : « Mais à quoi ils jouent, bordille de Dieu ? Finiront par se mettre en passoire les uns les autres […]. » (P. Sogno, Le Serre aux truffes, 1997 [1993], 44.)
— Emploi adj. Stand. fam. salaud. – Elle ne serait pas si bordille que je lui ferais confiance (MédélicePrivas 1981).
14. – Mais le plus bordille c’est Pastrami. Dans l’OAS qu’il était ! (M. Courbou, Les Chapacans, 1994, 30.)
2.2. 〈Provence〉 "animal domestique considéré comme sans grande valeur".
15. […] cette bordille [une chèvre] donnait encore autant de lait que la jeune, malgré une mamelle flasque
et allongée qui lui faisait des crocs-en-jambe. (M. Stèque, La Tour de Siagne, 1981, 73.)
— En compos. chien-bordille n. m. 〈Provence, Ardèche〉 "chien bâtard". Ton Néron est bien joli pour un chien-bordille (MédélicePrivas 1981).
16. Un petit chien-bordille arrive en aboyant autant qu’il peut. Cette manie des chiens, mais au moins, là, on
s’évite le doberman. (R. Merle, Treize reste raide, 1997, 168-169.)
◆◆ commentaire. Emprunt, avec francisation, au pr. bourdilho "balayures, ordures" (AchardMars 1785 ; cf. lou bourdilhè "le bourbier" dans une chanson enfantine du 19e s., recueillie à Coux [Ardèche], RLR 14, 91), lui-même dér. sur *bourdo < occ. boudro (FEW), avec le suffixe ‑ilho (Ronjat, § 681) ; pour d’autres suffixations, cf. aocc. boudrage (1646, Pans), pr. boudrado "boue", pr. boudras "bourbier" (FEW)a. Attesté en français de Marseille dep. 1931 aux sens 1.2 et 2.1 (Brun) – mais chien bordille est documenté dep. 1926 (« Le vicaire de l’Escarène […] n’aimait rien tant que son chien. Ah ! c’est qu’il était
de race ; rien d’un affreux chien bordille et bâtard qu’il aurait ramassé sur la route » É. Ramond, Marius & Cie. Nouvelles histoires marseillaises, 234) –, le terme s’étend sur une aire essentiellement provençale, avec des prolongements
dans l’Ardèche et dans l’Isère. En emploi figuré, il a pénétré divers argots dep.
1926 (EsnaultArg 1965 ; CellardRey 1980-1991 ; Rob 1985), mais aucun dictionnaire
général du français ne prend en compte les sens analysés ici.
a Rob 1985 s.v. bordille indique « orig. incert. […] ; sans doute influencé par bordel » ; de cette hypothèse, absurde mais avancée avec prudence, on est passé, sans plus
de preuves, à l’affirmation péremptoire (« diminutif de bordel », ArmKasMars 1998).
◇◇ bibliographie. BrunMars 1931 ; RLiR 42 (1978), 160 ; MédélicePrivas 1981 au sens 2.1. « constant dans les situations de querelles » et chien-bordille « terme rural et pas très fréquent » ; ArmanetVienne 1984 ; BouvierMars 1986 ; DucMure 1990 s.v. borde ; BlanchetProv 1991 ; SuireBordeaux 1991 et 2000 "fille peu sérieuse" ; ArmanetBRhône 1993 ; LaloyIsère 1995 ; ArmKasMars 1998 ; BouisMars 1999 ; aj. à
FEW 15/1, 294a, *brod.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I.2) Bouches-du-Rhône, 100 % ; Alpes-Maritimes, 80 % ; Hautes-Alpes, 75 % ; Var, Vaucluse,
65 % ; Alpes-de-Haute-Provence, 50 %.
|