bourrier n. m.
1. 〈Mayenne, Maine-et-Loire〉 usuel Au sing. à valeur collective "ensemble des végétaux spontanés ; en part. mauvaise herbe".
1. Dans le potager, Berthe […] sarcle un carré de carottes naissantes.
– Elle m’en arrache autant que de bourrier ! crie Nathalie […] (H. Bazin, Qui j’ose aimer, 1988 [1956], 285.) 2. Au-delà des plis que forment les voilages, un jour blanc, repoussé par les fenêtres
doublées contre le bruit. Est-ce la moquette beige que je foule, continue d’une pièce
à l’autre, ou le bourrier, le fumier gras ? Chambres attenantes comme les champs d’une ferme, couloir obscur
chemin. (J.-L. Trassard, Des Cours d’eau peu considérables, 1981, 195-196.)
3. En labour de printemps il arrive que le bourrier à tourner soit haut et dense : capselles pissenlits poules-grasses laiterons et renouées
(un brabant doit cacher sa raie, que le vert ne remonte pas aux dents de herse). Mais
à la Toussaint le champ est ras, juste assombri sur une bande par la dernière chaîne
de fumier égaillée. (J.-L. Trassard, Des Cours d’eau peu considérables, 1981, 198.)
2. 〈Bretagne, Maine-et-Loire, Centre-Ouest, Lot-et-Garonne, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Atlantiques,
Landes, Gironde〉 usuel "choses de rebut dont on se débarrasse". Stand. balayures, déchets, détritus, ordures. Synon. région. bordille*.
— Au sing. à valeur collective.
4. – Ne dis pas de bêtises ! Ramasse plutôt le bourrier. Sur ses lèvres [de la grand-mère], ce vieux mot du fond des âges que ma pelle active
désigne ordures, détritus […]. (M. Chaillou, La Croyance des voleurs, 1990 [1989], 13-14.)
5. Le bourrier le plus abondant se trouve au pied des panneaux en interdisant le dépôt (sous peine
de procès-verbal). (Ch. Daney, Dictionnaire de la lande française, 1992, 50.)
— Au pl.
6. C’étaient les bourriers d’avant la pollution des cartons et plastiques indispensables, dit-on, à une consommation
de qualité. (Ch. Daney, Dictionnaire de la lande française, 1992, 50.)
□ En emploi métalinguistique.
7. À Poitiers, on appelle couramment « ramasseurs de bourriers » les employés municipaux chargés de la propreté des rues. (J. Pignon, « Les parlers régionaux dans la “Comédie Humaine” », Le Français Moderne 14 (1946), 194.)
— jeter (ou verbe du même paradigme) au(x) bourrier(s) loc. verb. "jeter aux ordures, jeter à la poubelle". Bon à jeter au bourrier (Chr. de Rivoyre, Boy, 1973, 262). Va porter ça au bourrier (I. Favreau, Les Mouettes en rient encore, 1987, 162).
8. […] j’ai trouvé une caisse où mon père rangeait des clous, une tenaille, un marteau
et des bouts de fil de fer, des bouts de fil électrique, des bouts de tout ce qu’on
voudra, il bricolait, papa. J’ai tout jeté aux bourriers […]. (Chr. de Rivoyre, Crépuscule taille unique, 1989, 60.)
9. […] des merveilles* si grasses que je les jetais au bourrier sans même y porter la dent […]. (Chr. de Rivoyre, Crépuscule taille unique, 1989, 111.)
10. […] la lettre existe, elle n’a été ni déchirée ni jetée au bourrier […]. (Chr. de Rivoyre, Racontez-moi les flamboyants, 1996 [1995], 139.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
11. Elle descendit à la cuisine, tenant sans dégoût ces lambeaux de lainage sanglants
avec l’idée de les mettre « au bourrier » comme on dit à Larjuzon. (Fr. Mauriac, L’Agneau, 1954, 177.)
— 〈Ille-et-Vilaine〉 avoir des bourriers dans ses flûtes loc. verb. fig. "avoir qqc. de répréhensible dans sa conduite".
12. C’est un type très fort, un gaillard qui a des « bourriers dans ses flûtes » assurément, mais un diable d’homme, plus fort que tous ceux qu’il connaît… (P. Lebois,
La Flache aux écureuils, 1971, 105.)
3. Par méton. vieilli
3.1. 〈Basse Bretagne〉 "récipient destiné aux ordures ménagères (stand. poubelle) ; dépôt d’ordures, décharge publique". Synon. région. pati1*.
□ Dans un commentaire métalinguistique incident.
13. Mais elle avait tôt appris à lire et, comme moi-même, elle dévorait tout imprimé,
ne craignant pas, pour sa part, de les tirer d’une poubelle ou, comme on disait à
Lorient, d’un « bourrier ». (A. Pollier, Femmes de Groix ou la Laisse de mer, 1983, 200.)
14. […] la rue Dieu, sans doute la plus étroite de Bordeaux, encombrée de poubelles, ce
qu’on appelle ici le bourrier. (B. Delvaille, Bordeaux, 1985, 103.)
— faire les bourriers loc. verb. "fouiller les poubelles ou les décharges publiques, à la recherche de ce qui peut être
récupérable". Stand. fam. faire les poubelles.
15. – Ma vie est pleine de tournants. Presque tout ce qui ne devrait pas arriver à un
homme m’est arrivé. J’ai étudié, j’ai trouvé du travail, je l’ai vite perdu. Incapable
de tout, j’ai fait les bourriers : je récupérais en cyclomoteur les emballages sur les décharges. (Témoignage d’un
clochard, recueilli à Paris par P. Leulliette, dans Le Monde Dimanche, 2 janvier 1983, II.)
3.2. 〈Vendée (spor.), Vienne, Charente-Maritime (spor.), Charente, Gironde〉 "employé ou service chargé du ramassage des ordures ménagères". Stand. éboueur, fam. poubelles. Synon. région. cheni*. – Sors la poubelle, le bourrier arrive (SuireBordeaux 2000).
16. Il faisait encore très clair et la place du Village offrait cet habituel visage des
soirs d’été. Des tas de détritus, des caisses de bois, de vieilles malles, de vieux
sommiers pleins de punaises que viendraient enlever dans la nuit les camions du « bourrier ». (A. Semtob, Un Village nommé David, 1974, 35.)
17. Le bourrier municipal [titre] / Le matin [à La Rochelle], on était réveillé par le « Bœuf du Bourrier » dont le pas majestueux actionnait une cloche invitant les ménagères à sortir leurs
poubelles au plus vite. / Imaginez un bœuf blanc, harnaché comme un cheval, tirant
un tombereau bleu, personne ne le conduisait. Par derrière, un seul préposé déversait
les boîtes à ordures dans son véhicule et tout se passait le mieux du monde. (Mme Sairigné-Cottez, « Images des rues rochelaises au bon vieux temps », dans Aguiaine 9 (1975), 200.)
4. 〈Loire-Atlantique, Sarthe, Indre-et-Loire〉 vieillissant "fétu, grain de poussière". Synon. région. bordille*, bourre*, cheni*.
18. Soi-disant qu’a [la viande sous cellophane] serait plus goûtue* que l’autre, vu qu’alle est pas à [qu’elle n’est pas exposée à] ramasser tous les
bourriers. (H. Bouyer, Le Populaire de l’Ouest, 17 janvier 1953, cité par BrasseurNantes 1993.)
19. […] si les fenêtres étaient ouvertes, on avait des bourriés [sic] plein les yeux […]. (G. Chevereau, Une enfance à la campagne, 1987, 27.)
20. Sans un mot, […] il saisit le verre tendu, le laisse remplir, disant simplement :
« C’é ben ! » quand il déborde, et avale d’un trait, le gosier tendu, non sans avoir retiré, du
bout de son doigt sale, quelque bourrier [en note : petit fragment, miette, insecte] nageant à la surface du liquide attiédi. (L. Lebourdais,
Les Choses qui se donnent…, 1995, 113.)
■ en composition.
1. 〈Bordelais〉 caisse à bourrier loc. nom. f. usuel "poubelle" (DuclouxBordeaux 1980).
2. 〈Loire-Atlantique〉 manne à bourriers loc. nom f. usuel "id.". « T’as vu mon lévier [= évier], ma manne à bourriers, l’eau chaude et tout ! » (H. Bouyer, L’Éclair, 6 juin 1981, cité par BrasseurNantes 1993). V. encore s.v. place, ex. 8.
3. 〈Surtout Morbihan, Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Vendée, Deux-Sèvres, Vienne, Charente〉 ramasse-bourrier n. m. usuel "petite pelle à bords relevés et à manche court pour ramasser sur le sol les détritus". Stand. pelle à ordures, pelle à poussière. Synon. région. pelle à bourre* / à chni*, ramasse-bourre (s.v. bourre), ramasse-poussière*. « Parfois, une vache faisait une embardée jusque sur le seuil, à frôler la porte. La
grand-mère sortait avec un balai et un ramasse-bourrier pour réparer les dégâts » (L. Chevalier, Les Relais de mer, 1983, 357-358) ; « L’escouade de verres qui venaient de tomber au champ de la démonstration n’avaient
pas fait mieux que leur collègue envoyé en éclaireur et qui n’était pas revenu de
son expédition. Le ramasse-bourrier ne suffisant pas à contenir la fantastique récolte de gemmes qui jonchait le sol,
grand-père réclama un récipient de grande taille. Il avait, en effet, saisi des mains
de la patronne ses instruments de nettoyage et s’était mis à l’ouvrage » (Y. Brochet, Le Braco, 1997, 202).
◆◆ commentaire. Dérivé sur bourre* bien acclimaté dans l’Ouest du domaine d’oïl où il est documenté depuis le 14e s. comme dénomination de différents déchets. D’abord attesté au sens de "mauvaises herbes" (1.), de façon continue, en Anjou (1369, JoubertMacé 53, v. DuPineauR ; 1596, Louvet,
ibid.), dans le Maine (1624, FEW 1, 639b, burra = RPh 12, 308) et dans l’Orne (1810, MCelt 5, 45), il s’est conservé en ce sens dans
les parlers dialectaux de l’est de la Haute Bretagne, du Maine et du nord de l’Anjou
(ALF 827 ; ALBRAM 160 ; FEW 1, 639b). Au sens de "déchets de vannage" il a été employé au pluriel par Ronsard et, à sa suite, par Maurice de La Porte et
Olivier de Serres (v. Huguet), d’où sa présence dans les dictionnaires du français
(Pom 1671 ; Fur 1701-Lar 1899 ; « dialectal » Lar 1928 ; « économie rurale » [!] TLF) et il a été relevé en ce sens dialectalement çà et là dans l’Ouest, du Maine
à la Gironde, à l’époque moderne (ALBRAM 108 ; ALO 85 ; ALIFO 195).
Mais c’est au sens plus général d’"ordures, immondices" (2.) qu’il a connu le meilleur développement depuis le 15e s. dans des documents ou chez des écrivains ou lexicographes plutôt liés au Val de
Loire : « L’on deffend a touz, de par le roy de Sicile, duc d’Anjou, que nul ou nulle ne gecte,
mecte ou face mectre aucuns bourriers, quelz qu’ilz soient, en aucune des rues de
ceste ville d’Angiers, plus toust que le tumbereau ou autre qui le devra ouster soit
present, sur paine de prison et d’amende arbitraire » (Angers 1464, A. Lecoy de la Marche, Le Roi René. Sa vie, son administration, ses travaux artistiques et littéraires, d’après
des documents inédits des archives de France et d’Italie, Paris, t. 2, 1875, 301-302, base MF) ; Le Loyer, Béroalde de Verville, tous deux
Huguet ; Anjou 1595, DuPineauR 81 ; 1602, Cl. Fauchet, Frantext ; 1604, Louvet, DuPineauR 81 ; La Seille aux bourriers, œuvre du Tourangeau Michel Guy publiée en 1604, citée Gdf 8, 302c, v. Lar 1872 s.v. Guy ;
« Nous appelons aussi en Anjou les balieures bourriers » Mén 1694 ; DuPineauR ; LeGonidecBret 1819 ; Genevoix, TLF ; SimonSimTour 1995. Il
est attesté en ce sens dans les parlers dialectaux depuis la Normandie jusqu’à la
Gironde et de la côte de l’Atlantique jusqu’au Centre (FEW 1, 639b ; ALO 766, 766*). Parallèlement, il s’est étendu de là au français du sud-ouest du
domaine d’oïl (DauzatStGeorgesD ; RézeauOuest 1990), du Canada (ALEC 284 « balayures » ; aujourd’hui à peu près désuet, selon A. Thibault) et de l’Acadie (CormierAcad 1999 ;
NaudMadeleine 1999), de l’Aquitaine et de la Gascogne (« attesté à Bordeaux au 16e siècle » BoisgontierAquit 1991 sans référence ; JBLGironde 1823 ; LambertBayonne 1928, 280
s.v. bouvier dans la métalangue "bourrier, celui qui enlève les ordures" ; 1954, Mauriac dans Wiedemann MélJeune 1990, 375 ; RLiR 42 (1978), 161 ; DuclouxBordeaux
1980 ; SallesLBéarn 1986 "dépôt d’ordures" ; SuireBordeaux 1988 ; BoisgontierAquit 1991) et de Bretagne (LeGonidecBret 1819 ;
1927, Guilloux, RézeauBibl 1986 s.v. veilloir ; BlanWalHBret 1999). Il a été sporadiquement signalé dans la lexicographie du français
comme régionalisme (« en quelques provinces » Trév 1771 ; « vieux ou régional » TLF ; « régional » Rob 1985), mais aussi sans marque (Cotgr 1611 ; Lar 1899-1928). La locution figurée
avoir du bourrier dans ses flûtes est attestée depuis le 16e siècle : il y a des bourriers en sa fluste (DuFail, Huguet ; Carloix, Littré ; Cotgr 1611), avoir des bourriers dans ses flûtes (env. 1747, DuPineauR ; LeGonidecBret 1819 ; env. 1850, BizeulBlain ; CoulabinRennes
1891) de façon continue en français de Bretagne et plus sporadiquement d’Anjou.
Le sens d’"éboueur" (3.2.) paraît représenter une évolution assez récente, qui a été relevée dans le sud-ouest
du domaine d’oïl et dans la région bordelaise (ClouzotNiort 1907-1923 ; 1939 Mauriac,
TLF et Wiedemann MélJeune 1990, 374 ; DuclouxBordeaux 1980 ; SuireBordeaux 1988 et
2000 ; RézeauOuest 1990 ; ALO 766* pt 97). Au sens de "fétu ou grain de poussière qui vole" (4.), bourrier est attesté chez Régnier (v. Huguet), puis chez Balzac (v. Pignon FrMod 14, 194-5)
et dans le français du Val de Loire (EudelBlois 1905 ; TuaillonRézRégion 1983 ; BrasseurNantes
1993 ; SimonSimTour 1995) et, dialectalement, en Haute Bretagne, dans le Maine, en
Anjou, en Touraine et dans le Centre (FEW 1, 639b), d’où il est passé au Canada (GPFC ; aujourd’hui désuet, selon A. Thibault) et en
Acadie (PoirierAcadG). Ce sens a été signalé par quelques dictionnaires du français
(« en quelques provinces » Trév 1771 ; « vieux » dep. Li 1863 ; « en Touraine » Lar 1867).
Le composé ramasse-bourrier est attesté à Nantes depuis la fin du 19e s. (ramasse-bourriers "pelle à main" EudelNantes 1884) ainsi qu’en Anjou (VerrOnillAnjou 1908 ; CormeauMauges 1912) ;
il est aujourd’hui répandu dans le français de cette région (TuaillonRézRégion 1983
[Maine-et-Loire, Vendée] ; RézeauOuest 1984 ; BlanWalHBret 1999 « surtout Morbihan, Loire-Atlantique […]. Mot emblématique, […] “typique” de l’Ouest ») et dans les parlers dialectaux à travers tout le sud-ouest du domaine d’oïl (ALO
769*). Il a un correspondant au Québec et en Acadie : porte-bourrier "pelle à poussière" (dep. 1935, FichierTLFQ ; « très rare aujourd’hui », selon A. Thibault ; NaudMadeleine 1999 « on dit aussi […] ramasse-bourrier »), dont le rapport avec porte-ordures (moins rare, et porte-poussière, usuel, selon A. Thibault) reste à déterminer (ALEC 285)a. Des locutions nominales variées ont été relevées comme dénominations de la poubelle :
seille aux bourriers (Touraine 1604 ; v. ci-dessus), quart au bourrier (CoulabinRennes 1891), caisse à bourrier (1913, Ulysse Despaux, Types bordelais, rééd. par M. Wiedemann, Garona, n° 8, 1992, 41 ; v. ci-dessus), manne aux bourriers (GaumerNantes 1911 = FEW 16, 510b, mande), dont seules les deux dernières semblent avoir survécu.
a C’est porte-poussière qui est aujourd’hui employé au Québec (DQA ; v. ALEC 285), selon A. Thibault. La
situation doit être voisine en Acadie (cf. CormierAcad 1999 qui définit porte-bourrier par "porte-poussière").
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (2) Gironde, Landes, Loir-et-Cher, Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Pyrénées-Atlantiques,
100 % ; Ille-et-Vilaine, 75 % ; Hautes-Pyrénées, 50 % ; Indre-et-Loire, Lot-et-Garonne,
40 % ; Sarthe, 30 % ; Loiret, 20 % ; Eure-et-Loir, 15 % ; Essonne, Gers, Indre-et-Loire,
Seine-et-Marne, Val d’Oise, 0 %. (3) "décharge" Finistère, 95 % ; Côtes-d’Armor, 65 % ; Morbihan, 25 %. "ramassage" Vienne, 80 % ; Charente, 50 % ; Charente-Maritime, Deux-Sèvres, Vendée, 0 %. (4) Indre-et-Loire, 20 %.
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