char n. m.
〈Surtout Allier, Bourgogne (sauf nord), Franche-Comté, Haute-Savoie, Savoie, Ain, Rhône, Loire,
Isère, Drôme, Aveyron, Ardèche, Haute-Loire, Cantal, Puy-de-Dôme, Gers, Hautes-Pyrénées,
Pyrénées-Atlantiques (est), Creuse (est)〉 agriculture traditionnelle "voiture rurale à caisse fixe, à deux ou, plus souvent, à quatre roues, à traction
animale, destinée au transport de lourdes charges". Chemins creux où les chars s’enfonçaient jusqu’au moyeu (J. Peyré, Le Puits et la Maison, 1997 [1955], 73). Au printemps, le char viendra le [= arbre abattu] chercher (L. Pralus, Mon Village sous l’hiver, 1978, 77). Les endroits où l’ char peut pas aller (Témoin, dans BrussonCordon 1982, 169). Charger les chars (J. Gadant, Un écho du terroir, Couches-en-Bourgogne, 1984, 153). Le char tiré par deux puissants mulets (A. Mante, Le Temps s’élève, 1995, 214). Un véhicule, char ou tombereau, tiré par un cheval (R. Desrichard, Éloge de la batteuse, 1998, 20). C’était les vaches qui tiraient le char chez nous, il avait deux roues (MartinPilat 1989).
1. Le plus adroit de la bande [des faneurs] monte sur le char et de tous côtés reçoit les fourchées de foin qu’il égalise avec art […]. (E. Lafon,
Les Mois rustiques et les voix du pays, 1940, 98.)
2. À Ossun [Hautes-Pyrénées] mon oncle chargeait du foin dans un pré. […] Mon oncle,
debout sur son char, s’enfonçait dans le foin jusqu’à sa ceinture de laine rouge. (P. Guth, Mémoires d’un naïf, 1953, 11.)
3. Enfant, il [un agriculteur des Combrailles] était plus souvent assis derrière le char que sur les bancs de l’école. Son père, fier de son « petit paysan », ne comprenait pas pourquoi les M… envoyaient leur fils André à l’école d’hiver [en note : cours agricole dispensé pendant la morte-saison]. (M. Debatisse, La Révolution silencieuse. Le Combat des paysans, 1963, 37.)
4. […] du dehors arrivaient le ruissellement de la Durolle, les doux bruits de la campagne,
gémissements des chars, tirelis d’un merle. (J. Anglade, Les Ventres jaunes, 1991 [1979], 63-64.)
5. […] le cortège attaqua le bout de chemin qui monte si fort qu’il fallait caler les
chars pour laisser souffler les bêtes. (R. Béteille, Souvenirs d’un enfant du Rouergue, 1984, 22-23.)
6. Du haut des chars [où il répartit la charge de foin], il voit au loin au-dessus des bouchures* vers le pré où sont leurs vaches, où le regain repousse blanc. (A. Aucouturier, La Mère-Nuit, 1998, 89.)
7. […] le maire-paysan […] me prenait sur son char quand il rentrait le foin, et sur ses épaules les soirs de fête. (S. Fabre-G., L’Isère, 1999, 121.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
8. En Cévenne [ardéchoise] les voituriers négociants descendaient de Loubaresse à Valgorge
des dizaines de chars – chariots – remplis de bois de fayard*, au pouvoir calorifique important, destinés aux boulangers et fonctionnaires qui étaient
de bons clients. (M. Carlat, dans M. Carlat, L’Ardèche, 1985, 142.)
□ En emploi autonymique.
9. Dans cet article nous appelons char la voiture rurale destinée au transport du fourrage, des gerbes, du bois…, lorsqu’elle
a quatre roues. Nous appelons charrette la voiture rurale destinée aux mêmes transports, lorsqu’elle a deux roues. Nous suivons
en cela l’usage des Lyonnais et celui de l’ALF. (P. Gardette, « La charrette à deux roues d’après la carte 161 de l’ALLy », dans Études de géographie linguistique, 1983 [1955], 238.)
□ En alternance avec charrette.
10. Dans ces pays cévenols, l’usage de la charrette était peu ou pas connu avant le milieu
du xxe siècle. Par exemple, à Cessenade, gros village* près de Malons, en 1940 on n’utilisait ni char ni tombereau car il n’y avait pas de chemin pour aller dans les champs. (FaraçaVans
1992, 330.)
● Par anal. "jouet en forme de char miniature". Amé avait droit à tous mes jouets : charrues, bœufs, couteaux, chars (N. Calmels, L’Oustal de mon enfance, 1985, 25).
11. – […] Je ne me souviens pas de mon premier cadeau, il n’y en avait pas. J’étais le
plus jeune de six enfants, le « chauni » comme on dit par ici. Pas plus gâté pour autant. Maman me donnait des bobines de
fil vides en bois et je fabriquais des chars. (Habitant de Vescemont [Territoire-de-Belfort], dans L’Est républicain, éd. Belfort, 23 décembre 1998, 255.)
— Dans les syntagmes char à deux/quatre roues.
12. […] les chars à quatre roues chargeaient les matelas, les meubles […]. (J. Peyré, Le Puits et la Maison, 1997 [1955], 222.)
13. [En 1974, à Poncins, Loire] Plus aucun char à 2 ou 4 roues (sauf Cl. Charret […] qui n’a qu’un char à 2 roues, connu de tout le village) […]. (M. Gonon, « État d’un parler franco-provençal dans un village forézien en 1974 », dans Ethnologie française 3, 1973, 281.)
14. On vit passer un char à quatre roues tiré par deux vaches […]. (R. Sabatier, Les Noisettes sauvages, 1988 [1974], 151.)
15. La dernière quinzaine d’avril, nous commençâmes le déménagement. Les meubles étaient
catalogués par taille. Dehors, ils attendaient, empilés sur le char à deux roues. (N. Calmels, L’Oustal de mon enfance, 1985, 48.)
V. encore s.v. bacholle, ex. 14.
— Dans les syntagmes char à bœufs/à vaches. Un char à bœufs fermait la marche (J. Mallouet, Les Jours chiffrés, 1999, 146).
16. Saint-Jean-des-Vignes poursuivait pourtant sa vie habituelle comme si rien n’eût dû
jamais venir en interrompre le cours. Il en était ainsi depuis des siècles, et le
char à bœufs chargé de fumier était aux roues près, roues à rayons au lieu de roues pleines, tout
pareil au chariot des serfs du manoir féodal rasé par la Révolution pour avoir abrité
des prêtres réfractaires. (J. Peyré, Le Puits et la Maison, 1997 [1955], 70.)
17. Son infirmité ne l’empêchait pas de scier les branches et de produire, avec ses compagnons,
le charbon dans les forêts de la Besillée. Ils l’enfournaient dans de grandes boges*, des sacs de chanvre, en remplissant un char à vaches et allaient le vendre à Usson, Craponne, Saint-Anthème, Ambert et jusqu’à Montbrison.
(J. Anglade, Un lit d’aubépine, 1997 [1996], 98.)
— char de + subst. désignant la charge transportée. Un char de foin (J. Peyré, Le Puits et la Maison, 1997 [1955], 43).
18. Jamais les Pyrénées ne paraissaient aussi prochaines ni aussi hautes qu’à l’automne.
Leur ton mauve des soirs d’octobre reste pour moi lié à l’odeur des chais, des cèpes
sur la lande, au roulement des chars de vendange, au cri des oies, auquel répondait, du haut des nuages voyageurs, celui des oies sauvages
surprises par la montée rapide de la nuit. (J. Peyré, De mon Béarn à la mer basque, 1987 [1952], 18.)
19. […] les labours de Saint-Jean-des-Vignes, d’où les chars de fumier fumant à la bise de neige faisaient s’envoler les corbeaux. (J. Peyré, Le Puits et la Maison, 1997 [1955], 65.)
20. Dans la rue passèrent des bicyclettes […], puis ce fut un char de foin, haut comme une maison, tiré par des vaches. (R. Sabatier, Les Noisettes sauvages, 1983 [1974], 91.)
21. L’acier et le fer étaient achetés à Clermont-Ferrand, chaque automne. L’artisan descendait
un char de bois chez le boulanger et ramenait la ferraille de chez un quincaillier, rue Saint-Dominique.
On évitait ainsi un voyage à vide. (M. Jaffeux, M. Prival, Artisans et Métiers d’Auvergne, Bourbonnais, Limousin, Rouergue, 1975, 18.)
22. Les gros paysans lui menaient* un char de bois et ceux qui ne pouvaient pas mieux faire venaient lui casser son bois. (Agricultrice,
70 ans, Le Croc de Saugues, 1978, dans La Margeride : la Montagne, les hommes, 1983, 268.)
23. Les paroles, c’est comme un char de foin : si on prend la pente trop en travers, on aboche [= tombe à la renverse] !… (Chr. Delval,
La Vieille Trompe, 1982, 74.)
24. Le char de foin est maintenant dans la grange. L’orage menace et la nuit descend. (Ch. Juliet, Lambeaux, 1995, 20.)
25. – […] dans la grand-rue, maintenant, c’est plein de voitures, mais avant guerre, c’était
pas des voitures, c’était des chars de foin… C’était pas la même vie, on n’était pas embêté comme on est embêté maintenant… On
ne peut même plus traverser. Avec les chars de foin, on n’était pas embêté. (Témoignage recueilli à Cruseilles, Haute-Savoie, dans J.-N. et
Ph. Deparis, La Place du village, 1998, 172.)
26. […] ils voulaient finir le travail et rentrer le char de paille, avant l’orage et la nuit. (Fr. Pons, Les Troupeaux du diable, 1999, 151.)
V. encore s.v. dail, ex. 10.
◆◆ commentaire. Si à la fin du 20e s., ce terme du monde rural traditionnel n’est plus guère qu’un mot-souvenir, il
était encore, ainsi que son référent, d’usage courant il y a quelques décennies. Cet
usage était toutefois assorti de deux restrictions, dont les dictionnaires généraux
ne disent rien, et qui invitent à sa prise en compte ici. D’une part, le char à quatre
roues semble inconnu dans une grande partie de la France du 20e s.a, n’ayant été utilisé que dans certaines régions, qui d’ailleurs le désignent parfois
sous d’autres noms (chariotb, voiture), ce que recommandaient d’ailleurs naguère certains puristesc. On peut penser que pour beaucoup de Français, char (dep. la fin du 12e s. en un sens général, v. TLFd) évoque l’histoire ancienne (char de Ben-Hur), la guerre (char d’assaut), la fête (char de carnaval), le sport (char à voile) ou qu’il s’agit d’un terme littéraire : char de l’État, char funèbre, ou… char agricole, pour lequel GLLF et Rob 1985, sans marque d’usage cependant (mais « vieilli » dans NPR 1993-2000), donnent un seul et même exemple de Hugo. Mais dans une aire
très vaste, le terme, nullement littéraire, évoque ou a évoqué une réalité quotidienne
du monde rural, comme le laissent trop discrètement entrevoir trois exemples cités
par le TLF (Proust, Pesquidoux et Pourrat) : il s’agit grossièrement d’une large moitié
est de la France (avec prolongement en Suisse romande)e, sauf la Provence, et de quelques petites aires du Sud-Ouest.
D’autre part, alors que les dictionnaires généraux (sauf TLF, qui préfère rester dans
le vague) s’accordent à définir char comme une voiture à quatre roues (ce qui distingue ce terme de charrette "voiture à deux roues"), on observe une aire où char possède le sème "à deux roues" : il devient alors l’équivalent de fr. stand. charrette. Cet emploi est attesté dep. ca 1750 à Lyon (DuPineau)f et relevé, à l’époque contemporaine dans une petite aire au sud de Lyon.
On notera enfin que dans certaines régions, char est un terme générique, que précise éventuellement un déterminatif (cf. le titre
des cartes de l’ALMC 848 ‘char à deux roues’ et 848 ‘char à quatre roues’).
a Cf. ALO 122* « Le char à quatre roues ne semble pas être en usage dans le domaine » ; ALB 1268 « La zone en pointillé [Côte-d’Or nord, Aube sud-est, Haute-Marne sud-ouest] ignore
le char à quatre roues » ; ALCB 858 « au cours de la première moitié du 20e siècle, la voiture à deux roues a supplanté le char dans une partie de la région » ; ALJA 212 ‘le char’ « Il s’agit du char à quatre roues. Il n’est pas connu dans le Sud-Est du domaine » ; ALLOc 550* « char à quatre roues […] ces engins, à la vérité, sont presque entièrement inconnus en domaine languedocien
occidental » ; ALP 211 « La charrette à deux roues semble avoir été plus largement utilisée en basse-provence
[sic], alors que le char à quatre roues est répandu et mieux connu dans la zone dauphinoise ».
Les données de l’ALF 235 ‘char (à quatre roues)’ ne sont pas toujours explicites et il est surprenant d’y lire, par exemple, que char ne soit déclaré « inusité. Il n’y a que des charettes » qu’en un seul point (Calvados, pt 356). Il s’en dégage cependant assez nettement que le terme et le référent sont quasiment absents de l’ouest de la France (de la Normandie au Poitou) et qu’ils sont souvent absents du Sud-Ouest. b Cf. ALN, intitulé des cartes 121 ‘chariot’ (à quatre roues, d’après illustr.) et 122 ‘la charrette’ (à deux roues, d’après illustr.) et aussi BrasseurNorm 1990 s.v. chariot, qui, après avoir affirmé de façon péremptoire que chariot « n’est certes pas un mot régional », ajoute qu’« il est intéressant de remarquer que l’usage des chariots à quatre roues, n’était connu
qu’en Seine-Maritime (sauf dans la vallée de la Seine et dans l’Entre Caux et Vexin)
et dans le Vexin normand (Eure). Ailleurs, on n’utilisait que des charrettes, voitures
à deux roues » ; ALCB 858 « À la fin du 19e siècle, on trouvait, semble-t-il, encore partout la voiture à quatre roues, appelée :
char ou chariot » ; ALLR 460 « La charrette […] est à deux roues, contrairement au chariot, à quatre roues » (cf. LanherLitLorr 1990 voiture "chariot agricole à quatre roues". L’intitulé de la carte 76 ‘le chariot’ de l’ALPic est précisé en note : « Char à quatre roues, les 2 d’avant plus petites, avec timon à plaque tournante » (le type ‘char’ est surtout attesté dans le Nord, le Pas-de-Calais et le nord de la Somme ; le type
‘chariot’ surtout dans le sud de la Somme, l’Aisne et l’Oise).
c L’emploi du mot char a souvent été dénoncé par les puristes (déjà DesgrToulouse 1768), au profit de chariot ou voiture, ainsi en 1786 par l’abbé Besançon : « Chariot, voiture, & non pas char qui ne se dit que des chars de triomphe ou de cérémonie » ou en 1802 par Villa : « char pour chariot à deux, ou à quatre roues ; char est un terme de style soutenu, ou qui ne se dit que des chars des anciens, pour les
triomphes, les combats, les jeux du cirque ».
d Pour une attestation ancienne du mot dans un contexte agricole, v. Archives du Maine 5, 320, lettre de rémission en faveur d’un habitant de Rahay (auj. dans la Sarthe),
datée de 1385 : « une fourche de fer, o quoy l’on tent, en moissons, les gerbes et le foin sur un char
ou sur une charrette ».
e « Dans toute la Suisse romande, le char rural attelé, c.-à-d. la voiture normale de
charge, est à quatre roues » (GPSR s.v. char ; ce même texte a été repris presque mot pour mot dans le commentaire de la carte
196 de l’ALFC). À la suite de la définition du mot, qu’il qualifie de « fr. région. » de la Suisse romande, le GPSR ajoute : « Cet emploi général de char, qui n’est plus admis par la langue litt., a été souvent repris par nos puristes ». Le DSR 1997 n’a pas retenu char à sa nomenclature (on lit le mot dans divers exemples passim), mais char à échelle (s.v. échelle) et char à pont (s.v. pont).
f Il est sans doute trop rapide, au vu des enquêtes de l’ALLy sur la répartition de
char vs charrette au milieu du 20e s. dans la région lyonnaise, de conclure qu’il s’agit, pour ce témoignage antérieur
de deux siècles, d’une forme « de la région stéphanoise » (DuPineauV).
◇◇ bibliographie. DuPineauV [ca 1750], 260 ; DesgrToulouse 1768 ; SchneiderRézDoubs 1786 ; VillaGasc 1802 ; MonnierJura
1823 "toute espèce de voiture" ; DoniolVoyBAuvergne 1847, 101 char "voiture à quatre roues" ; ChambonVayssier 1879 "char pour les bœufs ou les vaches à un seul timon" s.v. cárri ; ConstDésSav 1902 ; DauzatVinz 1915, § 2201bis, 4593 et 4594, comme définissant ; « Jean […] charge les chars et […] en met de gros voyages » (8 juillet 1916, VandrandPuyD, 176) ; Mâcon 1926, sans définition ; GarneretLantenne
1959, § 76 ; VincenzCombeL 1974, 48 ; DuprazSaxel 1975 dans la définition s.v. shérè (et passim dans la métalangue) ; BretogneLivradois 1980 char à foin, dans la métalangue s.v. cro du char ; BecquevortArconsat 1981 "char agricole à quatre roues" dans la définition de chai ; OlivierMauriacois 1981 char à foin, dans la métalangue s.v. perche ; TuaillonVourey 1983 mot caché s.v. biller (dans l’ex. 1), s.v. brater (dans la définition et dans le commentaire), s.v. carca (dans l’ex.), etc. ; MartinPilat 1989 "charrette" « usuel » ; FaraçaVans 1992, 331 char à bœufs dans la métalangue pour gloser occ. charri ; FréchetMartVelay 1993 "charrette" « usuel » ; FréchetAnnonay 1995 "charrette" « globalement usuel » ; RobezMorez 1995 "grosse voiture" ; FréchetDrôme 1997 "charrette" « globalement connu » ; FEW 2, 426b, carrus.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : ("charrette") Ain, Ardèche, Drôme, Loire, Haute-Loire, 100 % ; Isère, 75 % ; Rhône, 30 %.
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