fort2 n. m.
〈Surtout Sarthe (sud), Maine-et-Loire, Indre-et-Loire〉 usuel
1. "l’un des flancs, plus bombé que l’autre, de la boule en bois du jeu de boule de fort".
1. Ce qui caractérise ce jeu et lui donne son nom c’est que l’un des côtés de la boule
est déséquilibré par rapport à l’autre : elle pèse quelques grammes de plus du côté
du fort, ce qui permet de la diriger en utilisant les deux pentes du jeu. (R. Fournier, « La boule de fort », dans Aguiaine 15 (1981), 5.)
2. Le « fort » de la boule porte dans les deux tiers des cas une charge supplémentaire, rajoutée
par son propriétaire sous forme d’un morceau de plomb incrusté, de pointes de cuivre,
de clous de tapissier, de punaises, etc. (A.-H. Hérault et D. Libeau, Voyage au pays de la boule de fort, 1999, 19.)
V. encore ici ex. 3 et 6.
□ En emploi métalinguistique.
3. Cette boule qui, en fait, est un gros disque de bois cerclé de fer, cette boule n’est
pas symétrique. Elle présente un flanc plus « ventru » que l’autre. Ce flanc, ventru est appelé le « fort » […]. Bien entendu ce « fort » la déséquilibre. Mais ce déséquilibre est compensé par le côté relevé de la piste.
Autrement dit, le « fort » de la boule et l’angle de la pente des côtés de la piste sont calculés en fonction
l’un de l’autre. (Y. Brochet, Le Braco, 1997, 166.)
2. boule de fort loc. nom. f. "boule en bois cerclée de fer, méplate et déséquilibrée par un côté plus lourd que
l’autre". Une paire de boules de fort coûte entre 900 et 1000 F (A.-H. Hérault et D. Libeau, Voyage au pays de la boule de fort, 1999, 20).
4. La forme actuelle de la boule de Fort angevine date du milieu du xixe siècle. C’est un nommé Pineau, forgeron à Mazé [Maine-et-Loire], qui aurait ferré
la première boule de Fort en 1845. (D. Brunetière, dans Anjou, 1985, 137.)
5. À la troisième tentative, le projectile part sans trop godiller. Il est impossible
au néophyte de deviner la distance qu’il va parcourir et encore moins sa trajectoire.
Mais les experts, eux, laissent déjà échapper un soupir admiratif. Et en effet, après
un détour fantaisiste par l’un des bords de la piste incurvée, la boule de fort descend finalement se placer honorablement près du « maître », une sorte de cochonnet. (M. Valo, Le Monde, 15 février 1993, 26.)
6. La boule de fort est le résultat de l’assemblage de deux morceaux de bois chevillés cerclés de fer.
Elle est méplate, avec un côté faible portant en son centre un léger évidement en
forme de cuvette de 4 mm de profondeur et 4,5 cm de diamètre destiné à lui ôter du
poids. Elle comporte un « fort » d’où le nom qui lui a été donné : autrefois les fabricants mettaient une petite masse
de plomb qu’ils incrustaient dans le bois, mais cet usage a disparu bien avant 1940.
(A.-H. Hérault et D. Libeau, Voyage au pays de la boule de fort, 1999, 17.)
— Par méton. "jeu pratiqué avec ce type de boule". La boule de fort, surtout angevine, se pratique toujours dans le sud de la Sarthe,
dans la région de Saint-Germain-d’Arcé notamment qui en marque la limite nord (Maine, 1988, 117).
7. La Boule de fort est un jeu de réflexion, de calme, de tranquillité, d’appréciation. Dans les instants
tragiques que nous vivons, ce sont des qualités appréciables et j’invite les « enragés » à venir pratiquer la boule de fort pour retrouver le calme et le bon sens. (M. Cointreau, lors de la finale du challenge
Cointreau, le 19 mai 1968, cité dans J.-L. Marais, « Les Sociétés en Anjou », Ethnologie française 16, 1986, 55.)
8. Jouer avec une boule qui n’est pas sphérique sur un terrain incurvé… telles sont,
semblant défier le bon sens, les caractéristiques du jeu de « la boule de fort ». (R. Fournier, « La boule de fort », dans Aguiaine 15 (1981), 3.)
9. Les joueurs de boules de Fort sont regroupés en cercle ou société* [sic, au singulier] dont la grande majorité adhère à la Fédération des joueurs de boules de Fort de la région de l’ouest [sic, sans majuscule] créée en 1907 pour disputer le challenge Cointreau, offert par la
célèbre maison de liqueur angevine. La Fédération comprend en 1984 : 367 sociétés
dont 306 du Maine-et-Loire, 35 de la Sarthe, 22 d’Indre-et-Loire, 3 de Loire-Atlantique
et 1 de Mayenne. Le développement de la boule de Fort dans le département du Maine-et-Loire reste inégal. Elle est fortement implantée
à Angers, dans le Baugeois et dans le Saumurois, présente faiblement dans le Segréen
et quasiment absente du Choletais. (D. Brunetière, dans Anjou, 1985, 137.)
10. […] l’âme locale se retrouve tout entière dans le jeu exclusivement angevin de la
« boule de fort », qui tient de la pétanque, du billard et de la cinématique appliquée, et se pratique,
impérativement en chaussons de feutre, sur une piste concave, avec des boules aux
pôles aplatis qui suivent d’extravagantes trajectoires onduleuses avant de venir mourir
en douceur sur le but. (Cl.-H. Gay, Le Monde, 20 janvier 1989, 2.)
11. Peu portés sur la vitesse ni sur la compétition, ils [les gens des bords de Loire]
ont inventé le seul sport qui se pratique obligatoirement en charentaises, une sorte
de pétanque très ralentie qui se joue à l’abri, sur un terrain incurvé, avec des boules
non sphériques dont une face est convexe et l’autre concave… Ça s’appelle la boule de fort et ça ne demande que de la finesse. (A. de Saint-André, L’Ange et le réservoir de liquide à freins, 1994, 11.)
12. Dans leur infinie sagesse, les joueurs de boules de fort sont chaussés d’authentiques charentaises pour pratiquer leur sport. (D. Le Guilledoux,
Le Monde, 8 avril 1995, 8.)
13. Ainsi les fidèles de la boule de fort, amateurs de calme et de vin blanc, se regroupaient-ils, la grosse boule cerclée de
fer à la main, autour de fillettes* d’Anjou gouleyant […]. (Y. Brochet, « Allez, tôpette ! », 1998, 29.)
14. La boule de fort reprend [titre] / Les sociétés* de boules de fort ont fait le point samedi [à La Chapelle-sur-Loire, Indre-et-Loire], en présence d’une
nouvelle, « Le Val de Maulne », de Bray. (La Nouvelle République du Centre-Ouest, 17 septembre 1999, 5.)
V. encore s.v. société, ex. 7 et 8.
● Par méton. jeu de boules de fort loc. nom. m. "lieu aménagé pour ce jeu".
15. Je retrouve la marque distinctive de l’enracinement angevin dans les livres attachants
de Maurice Fourré […], j’y déchiffre toujours le farniente enjoué et discret du bourgeois angevin, entre le magasin de la rue des Lices, la
fermette de tuffeau, la vigne et le cellier sur un coteau de Loire, la partie de pêche
du dimanche, la tonnelle du jeu de boules de fort. (J. Gracq, La Forme d’une ville, 1985, 15.)
16. Dans presque toutes [les sociétés*], un terrain de jeu de boule. Le plus souvent (9 fois sur 10), c’est un jeu de boules de fort, où l’on joue « avec des boules point rondes sur des terrains point plats ». (J.-L. Marais, « Les Sociétés en Anjou », Ethnologie française 16, 1986, 39.)
17. Certains hommes traversaient la pièce principale du café une boule à la main et gagnaient
dans le jardin, sous les trois poiriers, le jeu de boules de fort. Une petite pièce vitrée, à l’angle de ce jeu de boules, permettait de boire et de
discuter bruyamment sans déranger les joueurs. (L. de La Bouillerie, Le Passeur, 1991, 93-94.)
■ encyclopédie. Voir D. Brunetière, dans Anjou, 1985, 137-141 ; A.-H. Hérault et D. Libeau, Voyage au pays de la boule de fort, 1999.
◆◆ commentaire. Attesté dep. Cotgr 1611, fr. fort (d’une boule) "côté où le bois est plus serré et vers lequel la boule penche toujours" (FEW 3, 732b, fortis), semble s’être limité à l’Anjou, où il est documenté au milieu du 18e siècle (fort de plomb, DuPineauR 1746-48) et au Norda. La lexie boule de fort est attestée dep. le milieu du 19e siècle : « L’expression boule de fort est d’ailleurs très rare au xixe siècle : elle apparaît dans un règlement de Saint-Jean-des-Mauvrets en 1865, à Saint-Melaine
en 1893 et 1897. On la trouve dans des zones de contact entre divers types de jeu :
aux Alleuds, en 1852, alors qu’à 7 kilomètres de là, à Louerre, à la même date, on
parle de boule ronde » (J.-L. Marais, Les Sociétés d’hommes. Histoire d’une sociabilité du 18e siècle à nos jours, Anjou, Maine, Touraine, La Botellerie-Vauchrétien, éd. I. Davy, 1986, 56)b.
a Cf. Fernand Carton, « Vocabulaire du jeu de boules plates à l’étaque », dans Nos patois du Nord 6, janvier 1962, 5 « La bourle [épais disque en bois de 5 à 9 kg] doit s’adapter à la concavité de la bourloire,
donc être un peu désaxée et présenter un fort, c’est-à dire sur un côté une pente plus longue, et un faible ou contrefort ».
b En 1896 dans R. Bazin, En province, Paris, 6 : « Dans toute la vallée, la boule franche, la simple boule de bois plein est dédaignée.
On ne se sert que de la boule de fort, cerclée de fer, chargée de fer sur un de ses méplats, une boule de calculateurs,
faite pour décrire des courbes et qu’on lance sur un terrain concave, sablé, roulé,
de pentes égales aux deux bords, pareil à un plumier de marbre. »
◇◇ bibliographie. Cf. DuPineauR [1746-48] ; VerrOnillAnjou 1908 (v. La Chanson du Jeu de boules de fort, t. 2, 377, composée par A.-J. Onillon).
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Indre-et-Loire, 70 % ; Maine-et-Loire, 50 % ; Loire-Atlantique,
Sarthe, 20 % ; Ille-et-Vilaine, 10 %.
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