société n. f.
〈Sarthe (sud), Maine-et-Loire, Indre-et-Loire.〉
1. "association, principalement masculine, de loisirs (notamment du jeu de boule de fort*)". Juste avant le début du xxe siècle, il existait près d’un millier de sociétés de boule de fort (A.-H. Hérault et D. Libeau, Voyage au pays de la boule de fort, 1999, 63).
1. L’Union avait un jeu de boules couvert, construit en 1898 ; forte de 60 à 80 membres,
c’était la société la plus ouverte, petits propriétaires terriens, petits fermiers, journaliers agricoles,
domestiques des fermes, ils étaient un peu à gauche, les plus avancés radicaux-socialistes.
C’est à cette société que l’on trouvait le plus de gens qui n’allaient pas à la messe. (Cl. Rivals, Pierre Roullet. La vie d’un meunier, 1983, 187.)
2. La Récréation eut aussi son jeu couvert quelques années après, c’est une salle de
bal dans le jardin à Dubois-Dady. Cette société cessa d’exister après 1946, elle était composée de vieilles gens et de quelques tout
jeunes et de quelques artisans. (Cl. Rivals, Pierre Roullet. La vie d’un meunier, 1983, 188.)
3. Les sociétés créées actuellement le sont avant tout pour jouer à la boule. (J.-L. Marais, « Les sociétés en Anjou », dans Ethnologie française 16, 1986, 55.)
V. encore ici ex. 7 et 8 ; s.v. fort2, ex. 9 et 14.
□ En emploi métalinguistique.
4. Aujourd’hui lorsqu’en Anjou, l’on parle, sans préciser plus, de société (« aller à la Société », « réunion de société », « être de société », « concierge de société »), on évoque 400 à 500 associations, à peu près exclusivement masculines. […] on s’y
retrouve le soir, le samedi et le dimanche, pour « causer », jouer aux cartes, jouer à la boule, boire. (J.-L. Marais, « Les sociétés en Anjou », dans Ethnologie française 16, 1986, 39.)
— Suivi du nom de l’association.
5. Maurille fut gratifié de quelques secrets à l’oreille.
– Monsieur le Curé sait-il que le vin à Blanlœil sera plus cher que celui de la Société l’Union… (L. de La Bouillerie, Le Passeur, 1991, 37.) 6. Deux bons gars de la société des Marillères, à Beaufort-en-Vallées [sic], s’essayaient, ce soir-là, à la boule en attendant l’équipe adverse engagée contre
eux au challenge Cointreau. (Y. Péan, Malices du terroir, 1991, 91.)
2. "local où se réunit cette association".
7. Les sociétés de jeu de boules de Fort* restent encore essentiellement des sociétés d’hommes, de nombreux règlements conservent
cette interdiction faite aux femmes de venir jouer à la société, d’autres précisent le montant de l’amende donnée au sociétaire* ayant insulté une femme venue à la société chercher son mari. (D. Brunetière, « Les jeux traditionnels » dans Anjou, 1985, 140.)
8. Pour toutes ces sociétés, un local privé (qui porte lui-même l’appellation de Société, plus rarement de Cercle) : salle de réunion et buvette. Dans presque toutes, un terrain de jeu de boule de
fort*, où l’on joue « avec des boules point rondes sur des terrains point plats ». (J.-L. Marais, « Les sociétés en Anjou », dans Ethnologie française 16, 1986, 39.)
9. Le concierge de la société a toujours été un homme de confiance et un personnage important dont la tâche est
de tenir la cave et d’entretenir le jeu. (A. Hérault et D. Libeau, Voyage au pays de la boule de fort, 1999, 67.)
10. L’acceptation des femmes dans les sociétés est issue d’une lente évolution : on a d’abord accepté qu’elles se promènent aux
abords de la société, puis qu’elles assistent en spectatrices au déroulement de la partie. Un peu plus
tard on les a conviées une journée par an, puis, pour certaines fêtes ou pour des
banquets. Toutes ces étapes franchies, elles se sont retrouvées membres à part entière
et il semble que personne aujourd’hui ne trouve à redire de cette évolution qui s’est
faite en douceur et c’est sans doute là la raison de son succès. (A. Hérault et D. Libeau,
Voyage au pays de la boule de fort, 1999, 75.)
V. encore ici ex. 4.
— Suivi du nom de l’association.
11. Le vieux Coéffé s’était retiré au bourg* de Cuon, avec son chien, presque en face de la société de la « Paix »… (Y. Péan, Malices du terroir, 1991, 12.)
— Dans le syntagme (être, aller, etc.) à la société "au jeu de boules, dans le bâtiment abritant le jeu de boule de fort de l’association
dont on est membre ou de l’unique association du village".
12. Lucien, Gaston et le gars Louis, trois joyeux paysans, discutent, sérieusement pour
une fois, en jouant à la boule, à la société. (Y. Péan, Malices du terroir, 1991, 82.)
13. Elle, c’était la veuve. Pour le moment, elle était en train de faire un cinéma pas
possible auprès du cercueil de son homme, croyant faire oublier les mille misères
qu’elle lui avait fait subir : remarques méchantes et hors de propos devant le monde,
costume ou chemises pas repassées quand elle ne voulait pas qu’il aille à la société ou au marché, soupe froide quand il rentrait un peu tard, grognements perpétuels
dans son dos, etc. (Y. Péan, Malices du terroir, 1991, 90.)
14. Presque toujours, l’assistance aux obsèques d’un membre décédé est obligatoire sous
peine d’amende. Il est de coutume de revenir à la société à l’issue de la cérémonie, pour boire à la mémoire du défunt. Certains prévoyaient
même dans leur testament une somme pour offrir un verre à leurs amis après leur propre
sépulture. (A.-H. Hérault et D. Libeau, Voyage au pays de la boule de fort, 1999, 67.)
V. encore ici ex. 4.
■ encyclopédie. V. Jean-Luc Marais, « Les sociétés en Anjou », Ethnologie française 16, 1986.
■ dérivés. sociétaire n. m. (rarement f.) "membre d’une association de jeu de boule de fort". « À quelque temps de là, un de nos sociétaires décède, et l’autre, qui avait complètement oublié la consigne, reçoit peu après une
lettre » (Y. Péan, Malices du terroir, 1991, 91) ; « On disait jadis qu’une bonne société* consommait une barrique de deux cents litres tous les quinze jours et au pays des
vins d’Anjou, les sociétaires étaient pour la plupart des connaisseurs fort exigeants sur la qualité » (A.-H. Hérault et D. Libeau, Voyage au pays de la boule de fort, 1999, 72) ; v. encore s.v. société, ex. 7. – Attesté dep. 1832 à Angers (« Tous les sociétaires pourront discuter leurs intérêts sans colère ni emportement.
S’ils ne peuvent s’accorder, ils seront jugés par deux sociétaires non intéressés
à la partie » Extrait du Règlement de la société du Bassin, art. 21, cité dans A.-H. Hérault et D. Libeau, op. cit., 65).
◆◆ commentaire. Fr. société "compagnie de personnes qui s’assemblent habituellement pour le jeu, la conversation,
etc." (1690, Furetière, FEW), est bien attesté dep. le 18e siècle dans le français de l’Anjou, région où ces associations se sont multipliées
au cours du 19e siècle ; le sens 2 est documenté dep. 1832 à Angers (« Les femmes ne pourront être admises à la société. Le mari ne pourra recommencer une
autre partie avant que sa femme ait quitté le jeu de boules et si elle persiste à
rester, le mari sera condamné à 25 centimes d’amende », Extrait du Règlement de la société du Bassin, art. 24, cité dans A.-H. Hérault et D. Libeau, op. cit., 65). Le pourcentage assez faible obtenu dans les enquêtes s’explique sans doute par
la relative marginalisation du référent et sa rareté dans l’ouest du Maine-et-Loire
(v. fort, ex. 9). Aj. FEW 12, 20b, societas.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Maine-et-Loire, Sarthe, 30 % ; Ille-et-Vilaine, 10 % ; Loire-Atlantique,
0 %.
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