goule n. f.
1. fam. ou pop. [À propos de personnes]
1.1. 〈Île-de-France, Basse-Normandie, Haute-Bretagne, Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire, Centre-Ouest,
Indre-et-Loire, Eure-et-Loir, Loir-et-Cher, Loiret〉 "bouche".
— [siège de la manducation]
1. Moi j’avais du fiel plein la goule […], j’ai eu envie de me fâcher, de dire non à la maman. (H. Grégoire, Poignée de terre, 1979 [1964], 202.)
2. – Pas fameux tout ça, pas fameux ; Lamélie ne saura jamais faire la cuisine. […] On
apporte ensuite le fromage.
Du plâtre. Un fruit. Des vers s’y logeaient. Cidrolin s’essuie la goule et murmure : – Encore un de foutu. (R. Queneau, Les Fleurs bleues, 1978 [1965], 16-17.) 3. Mais mon Rougé il a continué de faire comme s’il n’avait point entendu : il avalait
à goule que veux-tu, s’arrêtant de manger seulement pour boire un coup de piquette, tout
comme si qu’il n’avait point le temps de s’amuser à autre chose. (J. Boutin, Louis Rougé, le braconnier d’Anjou, 1979, 206.)
4. On s’écarte pour ouvrir le passage à ce diable [un garç qui vient de dénicher un nid
de corbeaux] qui laisserait exploser la vieille morgue accumulée en lui si, précisément,
il n’avait pas le souci de préserver les œufs dont sa goule est pleine. (G. Mercier, Le Pré à Bourdel, 1982, 113.)
5. Picote se leva pour chercher un litre de rouge qu’il rapporta avec deux verres. Boire
tout de suite le café, ce serait se brûler la goule. (G. Guicheteau, Les Gens de galerne, 1983, 96.)
6. Sous la pointe des couteaux naissaient les sculptures les plus bizarres. C’étaient
des mâchoires de dragon, prêtes à dévorer les mains que les enfants y plongeaient.
C’étaient des goules de diables crachant le feu […]. (L. de La Bouillerie, Entre hommes et loups, 1983, 77.)
7. Le Béquillard et son gendre se versaient force rasades de vin, et, l’un après l’autre
s’essuyait la goule pour recevoir le baiser de Cendrine. (G. Favreau, Grappilles et grappillons, 1984, 113.)
8. Ces braves gendarmes, dès qu’ils posaient un pied à terre, se révélaient de vrais
Bocains à la goule en pente. (S. Anne, Victorine ou le Pain d’une vie, 1985, 174.)
9. La haie de clôture, charme et aubépine mélangés, est parsemée de pruniers qui n’ont
jamais été plantés. Issus de drageons poussés sur quelque racine, ils donnent d’eux-mêmes,
à profusion, sans qu’on le leur demande, de ces prunes violettes, précoces, qui vous
emportent la goule, mais qu’on ne laissera pas perdre cependant car ce sont les toutes premières […].
(L. Lebourdais, Les Choses qui se donnent…, 1995, 145.)
● En contexte métaphorique.
10. On peut dire, en tout cas, assura la femme, avec des gestes mous, qu’il a bien su
repérer la plus belle fille du pays. Y en a même qui diraient que c’est un trop fin
morceau pour sa goule. (R. Vercel, La Caravane de Pâques, 1988 [1948], 394.)
11. – Fillette, on a raison de dire qu’on élève des chiens pour se faire mordre.
– Tu m’as donné des dents, c’est bien pour m’en servir, pas vrai ? Mais t’es plus coriace que je n’ai la goule dure ! (H. Grégoire, Poignée de terre, 1979 [1964], 213.) ● 〈Île-de-France, Haute-Bretagne, Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire〉 goule fine loc. nom. f. "personne délicate sur la nourriture". Stand. fine gueule.
— [siège de la parole] Fermer sa goule ; grande goule ; fort en goule.
12. […] vu qu’elle est susceptible comme une mouche à miel, j’ai fermé ma goule. (Bl.-M. Depincé, Au Carillon de l’Ouest, 1975, 142.)
13. Tu ne peux donc jamais fermer ta goule, espèce d’imbécile ! (J. Boutin, Louis Rougé, le braconnier d’Anjou, 1979, 206.)
14. Mais lui, qui était un vieux dur à cuire comme on disait de ces hommes-là, il criait
deux fois plus fort de sa grande goule […]. (L. de La Bouillerie, Entre hommes et loups, 1983, 30.)
15. Alors, avec leur jargon de forts en goule, je ne sais pas qui a gagné. (Y. Péan, Malices du terroir, 1991, 28.)
16. Il faut croire que, la septième année, Anaïse avait ouvert « la goule un peu trop grande », car sa patronne ne souffla mot. (H. Gancel, Le Bâton de dignité, 1995, 40.)
17. Le Kyrie s’éleva dans le chœur de la chapelle où le bedeau chantait aussi fort que
faux. « Avec lui, c’était le Kyrie eleison dans les oreilles », commentait Adolphe qui se souvenait toujours avec amusement qu’un dimanche des Rameaux
il s’en était même démanché la goule qui était restée ouverte, mâchoire bloquée. (J.-Cl. Boulard, Le Charretier de la Ravissante, 1996, 146.)
V. encore s.v. fils, ex. 4.
1.2. 〈Île-de-France, Basse-Normandie, Haute-Bretagne, Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire, Centre-Ouest,
Indre-et-Loire〉 "visage, figure". Se casser la goule.
18. Et le boulanger se mit à descendre la route en courant, ce dont je le croyais bien
incapable. Je continuai ma route en songeant : sûrement qu’il va se casser la goule ! (H. Grégoire, Poignée de terre, 1979 [1964], 43.)
19. Baptistine prévint son geste d’un : « Tu veux ma main sur la goule ? » qui montrait que l’heure de l’indulgence suprême n’avait point encore sonné. (Bl.-M. Depincé,
Au Carillon de l’Ouest, 1975, 239.)
20. […] la secrétaire est spécialement là le matin pour donner les rendez-vous. « Oh, celle-là, è ne m’ plaît point, l’a un kilo d’ plât’ su’ la goule. » (J. Favret-Saada et J. Contreras, Corps pour corps, 1981, 140.)
21. Tétaine avait la goule à la bonne hauteur, comme il dirait plus tard. (G. Guicheteau, Les Gens de galerne, 1983, 147.)
22. Regarde ça, une belle fumelle [= fille], ben rougeaude de goule, ben carrée, un bon poitrail, une bonne culasse, une fille à boulot. (L. de La Bouillerie,
Entre hommes et loups, 1983, 34.)
23. […] il avait bu un verre en compagnie du “Braco” qui lui disait : « Tiens, vrai comme j’ te l’ dis : les “cognes”, je leur foutrais sur la goule ! » (G. Favreau, Grappilles et grappillons, 1984, 78.)
24. Et les galettes* s’empilent. Quatre-vingts, cent unités. C’est-à-dire quatre-vingts à cent minutes
la goule (visage) exposée au feu vif. (H. Gancel, Le Bâton de dignité, 1995, 228.)
25. Le premier boulot que je fis en arrivant à la maison ce fut de commencer à scier le
haut d’une chaise. Du coup, ma tante m’a donné deux claques sur la goule, puis elle a pris la petite scie et l’a mise dans le feu. (Chr. Leray et E. Lorand,
Dynamique interculturelle et autoformation. Une Histoire de vie en pays gallo, 1995, 269.)
26. La Norine donnait volontiers une tape sur la goule quand les choses n’allaient pas à son idée, mais aucun gamin n’aurait eu l’audace
d’aller se plaindre à ses parents, parce que dans ce cas-là, il aurait ramassé une
deuxième tape sur la goule. (J.-Cl. Boulard, Le Charretier de la Ravissante, 1996, 150.)
V. encore s.v. drôle, ex. 9 ; espérer, ex. 12.
— 〈Basse-Normandie, Mayenne, Sarthe, Indre-et-Loire〉 (venir, arriver) la goule enfarinée loc. adv. "avec un visage faussement avenant".
27. C’est le moment attendu par le troisième comploteur qui arrive « la goule enfarinée ». (Y. Brochet, Le Braco, 1997, 41.)
2. fam. ou pop. [À propos d’animaux] 〈Haute Bretagne, Mayenne, Sarthe〉 "gueule".
28. I’ y avait deux bêtes qui n’ voulaient pus manger. On y mit du sel dans la goule, et c’ fut fini. (J. Favret-Saada et J. Contreras, Corps pour corps, 1981, 122.)
29. Il vit donc dans l’étable ce que les enfants voient quelquefois à la télévision ;
et une fois terminé, le veau bien frotté, la poignée de sel mise dans la goule, « Phonphonse » s’en est revenu à l’église où il reprit ses fonctions. (A. Poulain, Contes et Légendes de Haute Bretagne, 1995, 382.)
30. Il lui expliqua, dès les premiers dimanches, qu’il n’était pas dangereux de placer
sa main dans la goule d’un petit veau pour la lui faire téter de sa langue râpeuse […]. (J.-Cl. Boulard,
Le Charretier de la Ravissante, 1996, 54.)
3. fam. [À propos de choses] 〈Loire-Atlantique, Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire, Centre-Ouest〉 "ouverture plus ou moins arrondie". La goule du sac.
31. Tout aux amours de sa fille, il avait complètement oublié d’ouvrir à temps la « goule » du four. (J. Rolland, Nanon, fille du Sillon, 1946, 35.)
32. Un jour qu’il ouvrait la goule de sa machine à battre, grand-père m’a raconté […]. (L. de La Bouillerie, Entre hommes et loups, 1983, 28.)
33. Poussés avec une vieille fourche, les fagots s’enflammaient comme des torches, les
flammes sortaient de la goule du four semblables à de longues langues rouges et montaient en ronflant dans la cheminée.
(G. Chevereau, Une enfance à la campagne, 1988 [1987], 110.)
◆◆ commentaire. Forme attestée au sens de "bouche" dep. le dernier quart du 12e s. (TLF 9, 584b), mais qui se raréfie en moyen français au profit de gueule, graphie de la forme phonétique qui s’est répandue à partir des dialectes septentrionaux.
À la fin du 15e s. goulle "bouche" se lit dans des textes de l’Ouest (Ouest dernier quart 15e s., CohenRecFarces 97 ; Normandie 1490, TissierRecFarces 1, 217 ; Orléans fin 15e s., TissierRecFarces 9, 235) et Huguet ne signale de ce type que goulle "embouchure" chez J.-A. Saintongeais au 16e s., dont l’usage est manifestement régionalisé dès cette époque, car goule continue à vivre dans les parlers de l’ouest du domaine d’oïl, depuis la Normandie
jusqu’à la Gironde, et du Centre (ALF 151 ; FEW 4, 310b, gula) jusque « tout autour de Paris » (M.-R. Aurembou dans G. Straka éd., Les dialectes romans de France à la lumière des atlas régionaux, Paris, 1973, 392-93, avec carte)a, et dans le français populaire parisien (D’HautelBasLangage 1808-BauchePop 1951)
et, de là sans doute, chez divers locuteurs ou auteurs, avec une valeur stylistique.
Cette large extension est « assez atypique » (J. Wüest, La dialectalisation de la Gallo-Romania, Berne, 1979, 206). Elle a été favorisée par le maintien de la voyelle d’arrière en
position atone dans les suffixés : goulet, goulot, goulu, etc., et, probablement, par l’adoption ancienne de cette forme, dans des emplois
affectifs ou imagés, par le français de cette vaste zone (v. ChauveauÉvPhon 146-147).
Cette forme s’est d’ailleurs maintenue dans le français rural du Canada, spécialement
dans celui des Provinces Maritimes, comme dénomination péjorative (ALEC 2100) ou méliorative
(PoirierAcadG ; BoudreauAcad 1988 ; NaudMadeleine 1999) de la bouche, de même qu’à
Saint-Pierre et Miquelon (BrassChauvSPM 1990). Pour les régionalismes de Normandie
où goule apparaît en deuxième élément de composé, v. ici même s.v. teurgoule. Dans la plupart des rares exemples médiévaux où gole aurait selon Renson 458-459 le sens de "visage" le mot s’interprète beaucoup mieux au sens de "gorge de femme, partie de la poitrine féminine allant du cou jusqu’aux seins ou les
seins mêmes" (DEAF G 963). La première trace de la pleine lexicalisation du sens de "(bas du) visage", et sous sa forme régionale, se rencontre chez Béroalde de Verville (auteur ayant
vécu en Touraine) dans une locution toujours vivante (« s’en vint trouver proye, la goule enfarinée de bresil » 1610, Frantext ; locution poursuivie par frm. la gueule enfarinée dep. Oudin 1640). Ce sens vit sous cette forme presque exclusivement dans les parlers
de l’ouest et du centre du domaine d’oïl (ALF 566 ; DuPineauR).
Dans l’un et l’autre sens, goule dans le français familier de ces régions n’a pas le caractère grossier du français
gueule (dep. 1673, Renson 459-461 ; RézeauOuest 1984 ; LepelleyBasseNorm 1989 ; BrasseurNantes
1993 ; LepelleyNormandie 1993 ; SimonSimTour 1995 ; ALIFOms pt 52), malgré l’équivalence
posée par l’article goule2 de Rob 1985. Il a été employé antérieurement à l’époque contemporaine par quelques
écrivains originaires de l’Ouest et du Centre (1834, Balzac, Eugénie Grandet, 202, Frantext ; 1876, P. Féval, Châteaupauvre, Voyage de découverte dans les Côtes du Nord, rééd. 1982, 97 ; 1907, R. Bazin, Le Blé qui lève, 103 ; 1942, R. Queneau, Pierrot mon ami, 33, tous deux Frantext ; 1935, L. Guilloux, Le sang noir 192). Pour d’autres exemples chez R. Bazin 1914, v. MélLoriot 1983, 9-10. Au sens
de "ouverture" le représentant de gula est attesté dep. Chrestien de Troyes jusqu’à l’époque contemporaine (TLF ; DEAF G
963). Son application à l’ouverture d’un four à pain est documentée dep. le moyen
français, spécialement dans l’Ouest, mais pas exclusivement (Normandie 1375, TilanderGlan
141 ; Tournai 1409, GdfC ; Orléans fin 15e s., TissierRecFarces 9, 235 ; Tahureau, Les Dialogues, éd. Gauna 120 ; 1655, TilanderGlan 141 ; Wallonie, Ouest, Lorraine, FEW 4, 315a ; Haute Bretagne, ChauveauÉvPhon 147 ; TLF).
a Avec ce commentaire au pt 5 : « La goule c’est un petit peu mieux en patois, c’est un petit peu mieux parlé que la gueule » (ALIFOms).
◇◇ bibliographie. J. Renson, Les dénominations du visage en français et dans les autres langues romanes, Etude
sémantique et onomasiologique, Paris, 1962 ; RézeauOuest 1984 ; LepelleyBasseNorm 1989 ; BrasseurNorm 1990 ; BrasseurNantes
1993 ; LepelleyNormandie 1993 « Basse-Normandie, Seine-Maritime » ; SimonSimTour 1995 ; BlanWalHBret 1999 ; CormierAcad 1999.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (1) Haute-Bretagne, Basse-Normandie, Centre-Ouest, Loir-et-Cher (nord), 100 % ; Eure-et-Loir,
Ille-et-Vilaine, 80 % ; Loiret, 40 % ; témoignages épars (Essonne, Indre-et-Loire,
Val-d’Oise). – (goule fine) Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Sarthe, 100 % ; Ille-et-Vilaine, 90 %.
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