drôle, ‑esse n.
〈Surtout Centre-Ouest, Indre-et-Loire, Eure-et-Loir, Loir-et-Cher, Loiret, Indre, Cher (nord
et est), Allier (nord), Saône-et-Loire (Bresse louhannaise), Franche-Comté (spor.), Ain, Rhône, Loire, Drôme, Provence (vocab. passif), Lot, Aveyron, Ardèche (Annonay), Haute-Loire, Puy-de-Dôme, Dordogne, Lot-et-Garonne,
Gers, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Atlantiques, Landes, Gironde〉 Surtout rural, souvent vieillissant.
■ morphologie. drôle est habituellement épicène, surtout dans les régions suivantes : 〈Basse Bretagne, Ain, Loire (Pilat), Drôme, Ardèche (Annonay), Haute-Loire, Puy-de-Dôme,
Limousin, Dordogne, Lot-et-Garonne, Gers, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Atlantiques, Landes.〉
1. Au sing. ou au pl. "garçon ; fillette". Stand. fam. gamin, gamine. Synon. région. chetit*, minot*, niston*, petitou*, pitchoun*, tiot*.
1.1. [Envisagé dans un rapport de filiation] La drôle est partie travailler à l'usine (MartinPilat 1989 ; FréchetMartVelay 1993).
1. Elle s'appuya contre le dossier haut et raide en pensant qu'il faudrait se résoudre
à rempailler la chaise. Si usée à force d'y tenir des drôles dans le giron ! Une espèce de trône dérisoire des maternités campagnardes dans tout
le pays ! (R. Béteille, La Vie quotidienne en Rouergue avant 1914, 1973, 6.)
2. – Veux-tu laisser ta sœur tranquille. Il faut qu'elle fasse ses devoirs. Tu verras
toi aussi quand tu iras à l'école. […] Avec tout ce que j'ai à faire ici, toujours
cette drôlesse sur les talons !
– Pourquoi tu ne l'envoies pas avec sa sœur ? – Elle n'a pas tout à fait l'âge. Je ne sais pas si le Monsieur [= titre de l'instituteur] la voudrait. (Th. Duret, Albertine au bord des chemins, 1988, 20.) 3. – Tes enfants ?
– Adultes. Le gars* est dentiste à La Rochelle. La drôlesse est kinési à Nancy. (J. A. Lion, Histoires de femmes, 1991, 131 [La scène est située à Fontenay-le-Comte, Vendée].) 4. Elle [la sage-femme] s'occupait à nettoyer la mère et le « drôle », tout bien proprets, elle annonçait au père qui se morfondait : « vous avez un gars », ou, « vous avez une drôlesse ». (P. Chevrier, La Haute-Bigue, 1996, 111.)
5. Il s'est disputé avec sa femme. De colère, il a mis le feu à sa maison. Mais il avait
oublié qu'il y avait ses drôles à l'intérieur. Il a pu sauver l'aîné, mais le deuxième a été brûlé. (Femme, ca 25 ans, originaire de Poitiers, 26 juillet 1999.)
— Comme terme d'adresse.
6. Depuis qu'il sait distinguer un coq d'une poule, il s'est toujours bien trouvé dans
la compagnie des chevaux. Son père lui en a de la reconnaissance : « Mon drôle, si tu soignes tes chevaux et la terre, tu mangeras chaque jour. » (Ch.-A. Klein, La Terre dans les veines, 1978, 13.)
7. Les lettres attendues n'arrivaient toujours pas et pourtant octobre était proche.
Assis face à Julia, le moulin à café coincé entre ses genoux, l'enfant ne cessait
d'interroger la grand-mère sur les raisons d'un tel retard.
– T'en fais pas, mon drôle, lui disait-elle ; pour écrire, ils attendent sans doute d'être arrivés. (Chr. Signol, Les Chemins d'étoiles, 1987, 85.) V. encore s.v. rôtie, ex. 6.
1.2. [Envisagé seulement par rapport à l'âge]
8. La bonne vierge avait dit à la drôlesse : « Va dire à tous que je veux une église à cet endroit… » (L.-A. Gauthier, Les Fidarchaux de Cabrefontaine, 1978, 211 [Allusion à Lourdes].)
9. Les drôles en profitaient [d'un jeu] pour essayer de caresser les filles. S'ils exagéraient,
pan sur la goule*, c'était vite fait. Mais tout le monde riait de voir faire les gars et d'entendre
les filles ricaner ou glousser. (A. Geaudrolet, Les Amours paysannes, 1980, 43.)
10. François, leur fils, un drôle de dix ans, a hérité de la hargne du père. (Ch. Exbrayat, La Lumière du matin, 1981, 14.)
11. Le cortège [d'enterrement] suivait. / Ce jour-là, le voiturier était flanqué, à droite,
d'un « drôle » d'une dizaine d'années, responsable de la croix, qu'il essayait, sans y parvenir,
de tenir droite et solennelle […]. (J. Lazare, L'Ami Pouchu, 1988, 120.)
12. – […] Il y a une drôle qui est venue là tout à l'heure. De la police qu'elle disait qu'elle était, mais
moi je ne l'avais jamais vue celle-là [v. celui-ci] ! Je l'ai mise dehors ! (J. Failler, Boucaille sur Douarnenez, 1996 [1995], 34.)
13. – Sacré fichu drôle ! […] Je vais lui tanner les oreilles, moi, vous allez voir ! (P. Moinot, Le Matin vient et aussi la nuit, 1999, 211.)
V. encore s.v. poche1, ex. 16.
— Comme terme d'adresse.
14. La tradition voulait que ce jour [de l'An], les enfants du village passent dans chaque
foyer souhaiter « la bonne année ». / En milieu de matinée […] nous commencions notre tournée. / Chez la Mariotoune
d'abord, c'était tout à côté. On entrait :
– Je vous souhaite une bonne année et une bonne santé. – Pareillement*, mon drôle, pareillement. (R. Saizeau, La Mère à la piarde, 1985, 38.) 2. Au m. pl. drôles "enfants (garçons ; garçons et filles)". Stand. fam. gamins, gosses. Synon. région. minots*.
2.1. [Envisagé dans un rapport de filiation]
15. Quel malheur, des gens comme ça ! […] Ses quatre ou cinq drôles sont dans la misère. (G. de Lanauve, Anaïs Monribot, 1995 [1951], 36.)
16. On butait toujours sur le même obstacle têtu. « Sans parler, ajoutait-il, en se passant une main sur le front pour effacer ce cauchemar,
du bel exemple que tu donneras à tes drôles ! » (J. Anglade, Le Tour du doigt, 1980 [1977], 32.)
17. Augustine Sarret, elle, disait à Mariette que c'était Dieu qui donnait les drôles. Du beau langage, qui ne remplissait pas les assiettes de soupe chez les Calat. (R. Béteille,
Souvenirs d'un enfant du Rouergue, 1984, 97.)
18. – Si tu as des drôles un jour, je me demande comment tu les élèveras, dit Lucienne. (H. Noullet, La Falourde, 1996, 213.)
2.2. [Envisagé seulement par rapport à l'âge] Je suis trop vieux, je (ne) comprends plus les drôles d'aujourd'hui (MartinPilat 1989 ; FréchetMartVelay 1993 ; FréchetAnnonay 1995).
19. Au temps de ma lointaine enfance (je suis née en 1914), j'ai appris à la fois le français
et le patois, car il était difficile de polissonner avec les drôles de mon âge autrement qu'en patois […]. (M. Gonon, « État d'un parler franco-provençal dans un village forézien en 1974 », Ethnologie française 3, 1973, 271.)
20. Dans la grand'rue du Château qui conduit à la forêt, des drôles jouent, des chiens se pourchassent, des poules se risquent sur la pointe des pattes.
(Ch.-A. Klein, La Terre dans les veines, 1978, 237.)
21. Le soir, à la sortie de l'école, les drôles […] arrivaient en longues glissades, riant et criant, les joues toutes rougies. (M. Gurgand,
Les Demoiselles de Beaumoreau, 1981, 10.)
22. Dans un grincement impressionnant, les roues à rayons [de la Bugatti] s'arrêtent à
quelques centimètres de nous et la voix furibonde d'Antoine Chenillot nous parvient
de derrière la vitre baissée : « Foutus drôles. » (H. Dufour, Le Bouchot, 1982, 20.)
23. La fête des drôles à Chouzy-sur-Cisse [Loir-et-Cher] : une nouvelle jeunesse [titre] / […] De nombreux
adultes avaient adopté avec joie le costume du début du siècle, et plus de 50 enfants
ont participé à un défilé costumé. (La Nouvelle République du Centre, 16 juin 1985, dans SimoniIledeFr 1991, 41.)
— Comme terme d'adresse.
24. Il [un charron] aimait les enfants bien qu'il n'en eût pas. Il nous laissait pénétrer
dans l'atelier et tourner autour des établis à condition que nous nous tenions tranquilles.
« Touchez pas aux outils, les drôles ! » nous lançait-il quand nous devenions trop turbulents. (P. Chaussebourg, Sur mes chemins d'écoles, 1992, 68.)
■ variantes. 〈Ariège, Haute-Garonne, Tarn, Tarn-et-Garonne, Lot, Aveyron, Haute-Loire, Corrèze,
Lot-et-Garonne, Landes, Gironde〉 Surtout rural, vieillissant drolle [dʁɔl] subst. m. (et f.) [Sens 1.1.] « Survint, le lendemain, la Marie Simbille, des Escrozes, tenant un de ses “drolles” d'une main et un livre de l'autre » (M. Peyramaure, L'Orange de Noël, 1996 [1982], 35) ; « Le père Sentein, lui, faisait travailler son dròlle le soir » (J. Fléchet, Le Montreur d'ours, 1983, 76) ; « – […] C'est le petit-fils de Georgette […]. Son père et sa mère partaient en voyage,
ils me l'ont laissé pour quelques jours […]. Ce drólle, à lui seul, il tient plus de place que mes fils, mes chèvres et mes canards réunis » (M. Perrein, Les Cotonniers de Bassalane, 1984, 363). V. encore s.v. coucouner, ex. 1 ; s.v. dégun, ex. 7. [Sens 2.1.] « Mon papé* […] et ma mamé* Mariette s'aimèrent tant, qu'en deux ans ils fabriquèrent deux drolles, magnifiques de santé » (R. Blanc, Clément, Noisette et autres Gascons, 1984, 111) ; « Il te faut penser que tu auras besoin d'une maison, un jour, avec un peu de terre,
et une femme, et des drolles… » (R. Boussinot, Vie et mort de Jean Chalosse, moutonnier des Landes, 1980 [1976], 94). – VillaGasc 1802 ; SuireBordeaux 1988 et 2000 ; BoisgontierAquit
1991 « On trouve chez les auteurs les graphies drôle, drole, drolle ; ces dernières, sans accent circonflexe, reproduisent mieux la prononciation régionale,
toujours avec o ouvert » ; BoisgontierMidiPyr 1992 ; QuesnelPuy 1994. Cette variante n'est évidemment pas
de type « archaïsant » (TLF, qui cite un exemple de Pesquidoux 1932), mais bien diatopique.
◆◆ commentaire. Ce sens particulier de fr. drôle (cf. petit drôle "enfant rusé et fripon" La Fontaine, v. TLF) « s'est développé au xviiie s. dans le midi de la France » (TLF) ; il a aussi été relevé dans les patois de l'Ouest dep. 1737 à Pons en Charente-Maritime
(« Ha ! que t'es in bon drole ! » DuguetPons 85) et ca 1750 dans le sud de la Vendée (« la femme arrivée Commencerat à me gronday Et tretous ses droles à fessay », Poésies patoises par l'abbé Gusteau, éd. par M. Pressac, Niort, 1862, 26), l'Acadie en conserve quelques traces (PoirierAcadG ;
MassignonAcad 1962, § 1716 ; ALEC 1820 pt 162)a. Il est enregistré par les dictionnaires généraux contemporains, avec les marques
diatopiques suivantes : GLLF « dans le Sud-Ouest » ; TLF « région. (Ouest et Sud) » ; Rob 1985 et NPR 1993-2000 « région. (Midi de la France) » ; Lar 2000 « région. (Midi, Sud-Ouest) ». Si son usage (toutefois vieillissant) est particulièrement avéré dans le quart sud-ouest
de la France, les contours de cette aire, et ceux d'autres aires éventuelles éloignées
de cette aire principale, sont difficiles à appréhender, en l'absence d'une enquête
d'ensembleb.
a Voir Br. Horiot, « Le Manuscrit de Pons et l'apport du saintongeais aux parlers français du Canada », Français de France – français du Canada. Actes du 4e colloque international de Chicoutimi, Québec, du 21 au 24 septembre 1994, Tübingen, Niemeyer, 1996, 39.
b La « carte établie par M.R. Simoni », présentée dans la Nouvelle histoire de la langue française, Paris, 1999, 579 et intitulée « Où les enfants sont-ils appelés des “drôles” ? » n'indique pas sur quelles sources elle est fondée. Le tracé n'est toutefois guère
différent de la carte « aire d'emploi de drôle » dans SimonSimTour 1995, 60, laquelle a été élaborée d'après l'« A. L. F. 572 et 573 » (mais probablement augmentée par les données des cartes 461 ‘enfant’ et 622 ‘garçon’ dudit ALF).
◇◇ bibliographie. VillaGasc 1802 drolle "petit garçon" ; MonnierJura 1823 drôle "fils, garçon, enfant de la maison" ; SievracToulouse 1836 ; MonnierDoubs 1859 ; MègeClermont 1861 « drôle […] petit garçon. On dit aussi : ma drôle pour : ma fille » ; JaubertCentre 1864 drôle, ‑esse ; GuilleLouhans 1894-1902 ; PépinGasc 1895 ; EudelBlois 1905 « se dit beaucoup en Vendée » ; ClouzotNiort 1907-1923 ; VerrOnillAnjou 1908 ; MussetAunSaint 1931 ; RougéTouraine
1931 drôle "petit garçon" ; DauzatStGeorgesD 1934-1946 drole m. et f. ; GebhardtOkzLehngut 1974 ; BonnaudAuv 1976 drôle "enfant, garçon, fille" ; GonthiéBordeaux 1979 drôle, ‑esse ; DuclouxBordeaux 1980 drôle, ‑esse ;TuaillonRézRégion 1983 (Bordeaux) ; RézeauOuest 1984 « surtout dans la bouche des adultes d'un certain âge » ; JaffeuxMoissat 1987 drole "garçon, fille" ; SuireBordeaux 1988 drolle, ‑esse ; MartinPilat 1989 « bien connu à partir de 60 ans, connu au-dessous (globalement peu employé) » ; Wiedeman MélJeune 1990, 376 ; RézeauOuest 1990 ; BoisgontierAquit 1991 « très vivant » ; SimoniAurIledeFr 1991 « revendiqué comme expression de l'identité en Blésois et Touraine, même s'il est senti
comme désuet » ; TavBourg 1991 sens 1.2. ; BoisgontierMidiPyr 1992 ; ChaumardMontcaret 1992 ; VurpasMichelBeauj
1992 (avec ex. correspondant au sens 2.2.) « bien connu au-dessus de 20 ans, connu au-dessous » dans le Haut-Beaujolais ; DubuissBonBerryB 1993 ; FréchetMartVelay 1993 « bien connu à partir de 20 ans, attesté au-dessous » ; PénardCharentes 1993 ; PotteAuvThiers 1993 drole m. ; QuesnelPuy 1994 drolle ; FréchetAnnonay 1995 (sens 1.2. et 2.) « globalement connu » ; SimonSimTour 1995 ; FréchetDrôme 1997 « globalement connu » ; FréchetMartAin 1998 (avec ex. correspondant au sens 1.) « globalement attesté » ; MichelRoanne 1998 drôle m. « bien connu » ; MoreuxRToulouse 2000 drolle ; FEW 15/2, 73a, drol.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : drôle ("enfant, gamin, garçon") Charente, Charente-Maritime, Dordogne, Loir-et-Cher (sud), Deux-Sèvres, Vendée,
Vienne, 100 % ; Haute-Vienne, 85 % ; Allier, Cher, Corrèze, Indre, 80 % ; Creuse,
70 % ; Doubs, Jura, Haute-Saône (nord), 65 % ; Territoire-de-Belfort, 30 % ; Eure-et-Loir,
Indre-et-Loire, Loir-et-Cher, Loiret, 11 sur 14 témoins. ("petite fille") Dordogne, 75 % ; Corrèze, 70 % ; Haute-Vienne, 40 % ; Creuse, 35 %. drôlesse ("fille, gamine") Allier, Charente, Charente-Maritime, Loir-et-Cher (sud), Deux-Sèvres, Vendée, Vienne,
100 % ; Cher, Indre, 80 % ; Doubs, Jura, Haute-Saône (nord), 5 sur 9 témoins ; Gers,
Gironde, Landes, Lot-et-Garonne, Pyrénées-Atlantiques, 16 sur 21 témoins. drolle Ariège, Aveyron, Haute-Garonne, Lot, Tarn, Tarn-et-Garonne, 20 sur 20 témoins.
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