dégun ou degun [degœ̃] pron. indéf.
〈Surtout Hautes-Alpes, Basse Provence〉 pop.
1. "aucun être humain". Stand. personne. – Je crains dégun, moi (Fr. Thomazeau, Qui a noyé l’homme-grenouille ?, 1999, 52).
1. Si seulement j’avais une bagnole, je me tirerais loin… Dégun entendrait plus parler de moi… Juré… (Ph. Carrese, Trois jours d’engatse, 1995, 126.)
— Souvent dans (il) y a dégun. Y a dégun, pas un chat ! Y sont pas là ! (J. Rambaud, Adieu la raille, 1964, 37). J’y suis passé deux fois, y avait dégun (GermiChampsaur 1996).
2. De l’avis de tous les traminots, le climat détestable qui y [la Régie des transports
marseillais] régnait a joué un rôle capital dans le déclenchement de la grève à la
fin décembre. « Toutes les lignes sont à l’abandon, accuse froidement Manu. Il y a dégun (personne) qui les surveille […]. » (Libération, 10 janvier 1996, 48.)
3. « Ces jours-là [grandes fêtes religieuses], il fallait s’esquicher* [à l’église, en raison de l’affluence], ceux qui venaient pas se comptaient sur les
doigts de la main […]. Aujourd’hui y a plus dégun à l’église. » (Lucie, dans R. Domergue, Des Platanes, on les entendait cascailler, 1998, 115.)
● En alternance ou en opposition avec personne.
4. Enfin, monsieur Blavette, y a personne dans la rue, vous le voyez comme moi… avec
le mistral qui bouffe [= souffle] aujourd’hui… y a degun… y a pas besoin de crier… j’ai pas raison ? (Ch. Blavette, Ma Provence en cuisine, 1984 [1961], 122.)
5. Chez eux [à Paris] y’a personne. Chez nous [à Marseille] y’a dégun. / Chez eux on discute. Chez nous on tchatche. (« Marseille c’est pas la France ! » [1993], dans N. Roumestan, Les Supporters de football, 1998, 149.)
6. – […] Personne a rien entendu en haut, y a degun. (R. Merle, Treize reste raide, 1997, 127.)
□ En emploi métalinguistique.
7. Un français correct de garçon qui a fait des études filtre à travers ses dents serrées.
Quelques mots régionaux parfois y surnagent : dròlle [v. drôle] pour enfant ou degun pour personne. (M. Perrein, Le Buveur de Garonne, 1973, 305.)
8. À Marseille, personne ne dit « personne ». Tout le monde dit « dégun », par opposition à « quelqu’un », je présume. (Fr. Thomazeau, La Faute à Dégun, 1996, 27.)
— Dans des loc. verb. ou phrast. où dégun désigne une équipe de joueurs particulièrement mauvaise, inexistante jouer contre dégun, perdre contre dégun, y a dégun en face (MartelBoules 1998). Nous avons perdu contre dégun ! (VidalBoules 1990).
2. enfant de degun loc. nom. m. péj. "personne mal habillée, débraillée" (BouvierMartelProv 1982, 161).
— Comme insulte, souvent en adresse (BouvierMartelProv 1982, 161 ; BlanchetProv 1991).
9. La Mère Cougourdelle : Il ment comme il respire cet enfant de degun ! (Cl. Frédéric, On piègera la sauvagine, 1984, 37.)
◆◆ commentaire. Noté fugitivement au 16e s. dans le français de Montauban (deugun, 1526, Gdf), le mot est plus tard absent des recueils méridionaux de cacologies et
il manque encore dans BrunMars 1931. On en infèrera que le transfert de degun du provençal au français, surtout cristallisé dans le tour (il) y a dégun, ne remonte qu’à une date récente. Limité d’ailleurs au code oral (les exemples non
métalinguistiques ci-dessus sont en discours rapporté au style direct), il s’agit
d’un patoisisme consciemment employé pour « forcer le ton régional » (GermiLucciGap) et promu, plus récemment encore, stéréotype identitaire d’une certaine
Marseille populaire (v. ici ex. 5). Non pris en compte par les dictionnaires généraux
contemporains, il est en usage en français principalement dans une aire compacte du
Sud-Est de la France, occasionnellement ailleurs dans le Midi (v. ici ex. 7).
◇◇ bibliographie. GermiLucciGap 1985 « Le mot personne est connu et très souvent employé, mais la forme degun est aussi fréquente, chez les patoisants et chez tout Gapençais qui veut forcer le
ton régional » ; BouvierMars 1986 ; VidalBoules 1990 ; BlanchetProv 1991 ; CouCévennes 1992 ; ArmanetBRhône
1993 ; GermiChampsaur 1996 ; ArmKasMars 1998 ; MartelBoules 1998 ; RoubaudMars 1998,
87 ; BouisMars 1999 ; FEW 7, 81a-b, nec unus.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Hautes-Alpes, 100 % ; Alpes-Maritimes, 90 % ; Var, 65 % ;
Bouches-du-Rhône, 60 % ; Alpes-de-Haute-Provence, Vaucluse, 50 %.
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