guenille n. f.
〈Basse Auvergne (en partic. est)〉 usuel Le plus souvent au pl. "pâtisserie (traditionnelle du mardi gras et du carnaval), composée d’une abaisse de
pâte (farine, œufs, beurre, lait) découpée (en formes géométriques ou en morceaux
irréguliers) et gonflée dans la friture chaude, et qu’on sert saupoudrée de sucre". Synon. région. bougnette*, bugne*, ganse*, merveille*, oreillette*. – Les guenilles sont cuites dans l’huile (M. Laurent, Les Termes de pâtisserie dans le dialecte de la région de Maringues, 1971, 24).
1. « – […] j’ai apporté des guenilles.
– Des guenilles ? répètent les invités avec des cris de joie. – Je les ai faites ce matin, elles sont encore chaudes. » On écarte les bouteilles vides, on fait une place au milieu de la table : elle y pose sa serviette, défait les nœuds. Les guenilles paraissent, dorées, poudrées, triomphantes ! (J. Anglade, Le Voleur de coloquintes, 1972, 195-196.) 2. Mettre les guenilles égouttées dans un saladier, et saupoudrer de sucre en poudre. (Anonyme, « Un dessert : guenilles », Bulletin de l’Association des Amis du vieux Pont-du-Château 4, 1975, 50.)
3. Pourtant, un certain nombre de bourgs ont leur spécialité gourmande : à Aigueperse
ce sont les massepains et les pralines, à Ambert et Thiers les croustilles et les guenilles […]. (A. Pourrat, Traditions d’Auvergne, 1976, 111.)
4. À cette occasion [= le jour de la Saint-Jean-Baptiste], les maisons se remplissaient
de guenilles, chaque ménagère en cuisinait une montagne, la délicieuse odeur courait les rues,
les chiens affolés galopaient en tous sens, ne sachant où donner de la tête. Les guenilles étaient la spécialité d’Hortense Pitelet. Après avoir sur la table enfarinée étendu
la pâte à la bouteille – ses fils lui en volaient des lambeaux qu’ils avalaient tout crus –, elle la découpait en cercles avec un verre, en rectangles, en losanges, en cœurs,
en cordes avec la pointe d’un couteau, et les jetait dans l’huile bouillante. Tout
le secret résidait dans la cuisson. Il n’est pas suffisant que votre guenille se dore d’un côté et de l’autre, encore faut-il qu’elle fasse le picoperey. Autrement dit, qu’elle plante le poirier. […] / Donc, Hortense attendait que dans
sa poêle les guenilles se retroussassent à la cuisson et fassent le picoperey. A ce moment seulement elle les retirait à la fourchette, les plus gourmands les mangeaient
brûlantes, les autres attendaient qu’elles eussent tiédi. Mais on pouvait aussi les
consommer froides le lendemain et les jours suivants si elles duraient jusque là.
(J. Anglade, Les Ventres jaunes, 1981 [1979], 73.)
5. Ces guenilles se font en Basse-Auvergne, notamment au temps du Carnaval. (L’Encyclopédie de la cuisine régionale. La Cuisine auvergnate, 1979, 142.)
6. Notons simplement pour mémoire […] les tartes aux myrtilles ou aux framboises sauvages,
les croustilles, guenilles et croquants… (M. Boy, Petit Guide de l’arrondissement d’Ambert, 1984, 7.)
7. Si sa mère, pendant les vacances, le régalait de ragoûts, de pompes*, de guenilles, il en consommait sa modeste part, mais n’en prenait jamais deux fois. (J. Anglade,
Un lit d’aubépine, 1997 [1995], 173.)
8. – On boit le café ? Comme chez les grandes dames ?
– Avec les guenilles de midi ! – Il en reste seulement ? (J.-P. Leclerc, D’un hiver à l’autre, 1997, 48.) V. encore s.v. soupe dorée, ex. 1.
□ Avec ou dans un commentaire métalinguistique incident. Voir s.v. bugne, ex. 1 et 4.
■ encyclopédie. Recettes dans M. Laurent, loc. cit. ; Bulletin de l’Association des Amis du vieux Pont-du-Château, loc. cit. ; G. Cathebard-Renard, Recueil de la gastronomie auvergnate. 100 recettes simples, 1983, 58.
◆◆ commentaire. Fr. guenille, mot originaire de l’ouest d’oïl, n’est pas attesté avant le début du 17e s. (FEW ; TLF). Le particularisme ci-dessus représente donc nécessairement une innovation
sémantique régionale relativement récente et interne au français, ce dont témoigne
la forme du mot (avec traitement oïlique [-ə-], et non pas occitan, de la voyelle initiale), et, a contrario, le caractère d’emprunt au français que possède le correspondant dans les parlers
dialectaux d’oc où il a été relevéa. Attesté dep. 1937 seulement (RavelThiers), ce sens est bien vivant dans le Puy-de-Dôme
(10 témoins sur 11 déclarent l’employer) où, d’après les exemples et les sources,
son tropisme paraît cependant nettement orientalb ; sa vitalité est beaucoup moindre en Brivadois (employé par 2 témoins seulement
sur 6) et pratiquement nulle dans le Cantal (où 7 témoins sur 8 l’ignorent) ; v. enqDRF.
Cette acception ne paraît pas avoir été recueillie en dehors de la Basse Auvergne.
La motivation objective repose sur une analogie de forme, à savoir l’aspect déchiqueté
que présente d’ordinaire la pâtisserie, qui peut ainsi évoquer des lambeaux d’étoffe.
bugne* semble fonctionner comme hyperonyme moins local (cf. sous ce mot ex. 1 « des bugnes qu’on appelle dans la région des guenilles », et 4 ; JaffeuxMoissat 1987 et Coudert dans la métalangue ; seule entrée de BonnaudAuv
1979) ; subordination sémantique et subordination aréologique iraient ainsi de pair.
a Cf. Arconsat guenilho (BecquevortArconsat 1981), zone de Lezoux guenilha (É. Coudert, v. bibl.), Moissat gueniyo (M. Jaffeux, v. bibl.), Maringues guenillas pl. (M. Laurent, op. cit., 24).
b La vitalité dans l’ouest du département demanderait à être vérifiée (absence de témoins
dans l’enquête DRF). L’exemple 2 (légèrement à l’est de Clermont) est le plus occidental.
◇◇ bibliographie. RavelThiers 1937 ; BigayThiers 1941 ; JaffeuxMoissat 1987, 20 (défini par "gâteau, bugne") ; PotteAuvThiers 1993, cf. RLiR 42 (1978), 188 ; PruilhèreAuv 1993 ; É. Coudert,
Parlem ! 43 (1994-1995), 8, et 44 (1995), 3 [zone de Lezoux] ; à aj. à FEW 14, 113a, *wádana-.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Puy-de-Dôme, 90 % ; Haute-Loire (Brivadois), 30 % ; Cantal,
10 %.
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