jésus n. m.
1. 〈Bourgogne, Franche-Comté, Ain, Rhône (Beaujolais), Loire, Ardèche (nord)〉 usuel "grosse saucisse de porc, courte, à la viande hachée, plus grosse que la rosette*, emballée sous cæcum de porc, traditionnellement ficelée (présentée aujourd’hui le
plus souvent dans un filet en coton ou en plastique)". Une tranche de jésu [sic] de Morteau (R. Vuillemin, Les Chroniques du « Chat bleu », 1975, 117). La charcuterie [comtoise] est rendue célèbre par le « jésus » de Morteau (Guide Vert. Jura, Franche-Comté, 1987, 36). Du Jésus à cuire (É. de Meurville & M. Creignou, Le Guide des gourmands 1991, 1990, 60 [dans une charcuterie de Chablis, Yonne]).
1. Mémère avait préparé de la salade de pommes de terre avec un jésus coupé en morceaux, une boîte de sardines, des œufs durs, un camembert et le bon tiers
d’un grand roncin [en note : sorte de clafoutis] aux cerises noires d’Alsace, qui était encore un peu chaud. (A. Gerber,
Le Faubourg des Coups-de-Trique, 1982 [1979], 242.)
2. La région de Morteau a toujours la spécialité des saucisses fumées au bois de résineux
[…]. La plus célèbre de ces saucisses est certainement le fameux « jésus » de Morteau, faite des meilleurs morceaux de viande serrés dans les plus gros boyaux,
et que l’on servait au repas de la nuit de Noël. (P. Fischer, Toute la gastronomie franc-comtoise, 1981, t. 1, 7.)
3. Munis d’un label, saucisse et jésus de Morteau sont fabriqués selon des méthodes ancestrales avec le respect des produits
de première qualité. (J. Courtieu, dir., Dictionnaire des communes du département du Doubs, t. 4, 1985, 2274.)
V. encore s.v. graton, ex. 10 ; jambonnette, ex. 1 ; macvin, ex. 3 ; sabodet, ex. 4 (dans un jeu de mots).
□ En emploi autonymique.
4. La ville [de Morteau] possède, entre autres, une spécialité gastronomique bien connue :
la saucisse de Morteau, appelée « Jésus », par les Comtois. (Guide Vert. Jura. Franche-Comté, 1987, 108.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
5. […] le repas de Noël qui comprenait souvent le « jésus », la plus grosse saucisse du cochon, et un plat de cardons, bien blancs, bien tendres,
gratinés au four dans une béchamel au gruyère. (Th. Bresson, Le Vent feuillaret. Une enfance ardéchoise, 1980, 114.)
6. Le Jésus est la plus grosse saucisse, celle que l’on fait dans le plus gros intestin et qui
se mange au réveillon de Noël. (Ch. Forot, Odeur de forêt et fumets de table, 1987, 208.)
— Par méton. "gros intestin du porc". Celui-là [un saucisson], je l’ai fait dans le jésus (J. Anglade, Un temps pour lancer des pierres, 1974, 79.)
□ En emploi autonymique.
7. – Le gros boyau du cochon, c’est le jésus ?
– On l’appelle comme ça. Le jésus. Il sentit tout à coup de ridicule de ce nom. Jamais il ne s’en était aperçu plus tôt. (J. Anglade, Un temps pour lancer des pierres, 1974, 80.) 2. bon jésus loc. nom. m. "id.". Le bon jésus, cuit ou cru, il n’y a rien de meilleur (MichelRoanne 1998).
■ graphie. Parfois avec une majuscule, Jésus, sous l’influence du nom propre.
■ variantes. 〈Loire (Roanne)〉 josé ; 〈Rhône (Beaujolais), Loire (Roanne)〉 bon josé loc. nom. m. "id.".
■ encyclopédie. V. L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Rhône-Alpes, 1995, 195 (« Jésus […] Autre appellation Bon Jésus »).
◆◆ commentaire. 1. Innovation régionale sur fr. jésus "représentation de l’enfant-Jésus emmailloté dans la crèche" (non daté dans FEW ni dans les dictionnaires généraux ; 1843 Th. Gautier, Frantext), par analogie de formea, attestée dep. 1881 dans le français du Doubs (BeauquierDoubs, avec la précision :
« qui se fabrique à Morteau »). En 1948, Wartburg (FEW) ne pouvait relever ces dénominations que dans le français
du Doubs (1881), de Pontarlier (1925), dans le patois et le français de GrCombe (1910
[aussi en français] et 1929) et en Isère dans le parler de Meyssiés (DTFr 1935)b. De plus, vers 1950, ⌈ (bon) Jésus ⌉ "saucisson de forme sphérique", parfois "rosette" (ALLy 329, 330), n’avait pratiquement pas atteint les parlers du Roannais (sauf pt
16), en général fidèles à des types plus traditionnels (⌈ sac ⌉ ou composés) ; restant nettement cantonné dans l’est du domaine de l’ALLy, il dessinait
alors une aire d’aspect lyonnais (cf. encore ALJA 750, pt 85, dans le nord de la Drôme).
L’impression se dégage donc d’un mot prenant son origine dans le français du Doubs
(où est produite la variété la plus connue, le jésus de Morteau) et dont la diffusion
vers la région lyonnaisec et la Bourgogned est récente ; en Bourgogne, le mot est senti comme un « nom d’origine lyonnaise qui remplace le local judru* » (TavBourg 1991). La dérégionalisation du terme est aujourd’hui largement en cours,
au point que diverses régions, notamment dans le Sud-Ouest, se sont approprié le nom
et le référente. Le sens métonymique est attesté dep. 1899 en Beaujolais ("gros intestin de porc" GarnierNuits, v. FEW). 2, attesté d’abord dans le français du Forez dep. 1863 (« Gros saucisson, nommé aussi Bon-Jésus, et que l’on mange au réveillon de Noël » GrasForez s.v. boterliat) ; 1881 (« On appelle aussi ce comestible un “bon Jésus” » BeauquierDoubs), possède une distribution sporadique à l’intérieur de l’aire de 1f ; on note parallèlement un autre développement secondaire : gros jésus (1909, en référence aux Montagnes du Doubs, v. HöflerRézArtCulin ; cf. Petit-Noir
[Jura] grô Jézu dans FEW), plus limité et éphémère. La variante (bon) josé, d’extension sub-régionale, s’explique par un enchaînement associatif (soutenu par
la paraphonie) ayant substitué le nom de Joseph, dans sa prononciation populaire Joség, à celui de Jésus : ces types secondaires sont représentés dans les parlers dialectaux d’une zone située
au nord de Lyon (ALLy 330 ; Lantignié-en-Beaujolais dans FEW), où est également attesté
le composé ⌈ gros joseph ⌉ (ALLy 330) ainsi que ⌈ la dame ⌉ (qui prolonge les mêmes rapports associatifs), toutes dénominations dialectales empruntées,
comme l’a indiqué Gardette (ALLy 5, 243-244), au français régional. Seul 1 est entré dans la lexicographie générale, dès Lar 1931 (mais Ø GLLF) ; cet emploi
est aujourd’hui relevé sans marque diatopique par TLF (qui cite un ouvrage technique
de 1982, mais néglige de dater le sens), Rob 1985 et NPR 1993-2000 jésus de Lyon, jésus de Morteau (avec une remarque portant sur le référent : « fabriqué dans le Jura, en Alsace et en Suisse ») et Lar 2000 jésus de Lyon ou jésus.
a Cf. ex. 2, 5 et 6 pour un élément qui a dû renforcer la motivation.
b Il aurait pu aussi citer LarGastr 1938, où jésus est défini d’une manière qui surprend aujourd’hui : "sorte de saucisson à base de foie de porc, fabriqué en Suisse et en Franche-Comté".
c Le mot est absent de la lexicographie lyonnaise avant VurpasMichelBeauj 1992.
d Le type ⌈ jésus ⌉ est bien attesté dans l’ouest du Doubs et le nord du Jura (mais aussi isolément dans
l’est de la Côte-d’Or, le sud des Vosges, le nord de la Haute-Saône) dans ALFC 681* ;
⌈ jésus ⌉ est usuel dans les parlers de la Saône-et-Loire, de la Côte-d’Or et de l’est de la
Nièvre (ALB 1158).
e Ainsi : « Il [un charcutier des Aldudes, Pyrénées-Atlantiques] prépare aussi du jésus du Pays Basque, de la ventrèche* plate ou roulée et des magrets fumés ou séchés » (É. de Meurville & M. Creignou, Le Guide des gourmands 1991, 1990, 69) ; « […] on commençait à voir descendre de la montagne des charcutiers ambulants qui proposaient
les jambons, les saucissons et les “jésus” de Lacaune […] » (J.-L. Mauron, Les Larmes de la vigne, 1996 [1991], 175) ; « Malgré son autre nom de jésus, ce saucisson lozérien se rapproche davantage du pastre avyeronnais (il est d’ailleurs
parfois appelé ainsi) que du jésus lyonnais » (L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Languedoc-Roussillon, 1998, 171).
f Il est de même dans les parlers dialectaux (v. ALFC 681* et ALB 1158).
g Cf. A. Dauzat, Dictionnaire étymologique des noms de famille et prénoms de France, Paris, 1961, 346 (3e éd.)
◇◇ bibliographie. GrasForez 1863 Bon-Jésus ; BeauquierDoubs 1881 ; BoillotGrCombe 1910 et 1929 ; ColinetPontarlier ; MartinPilat
1989 bon jésus « usuel » ; TavBourg 1991 "rectum du porc ; gros saucisson coulé dans le rectum" ; ColinParlComt 1992 (citant Gerber, ici ex. 1) ; VurpasMichelBeauj 1992 bon jésus, bon josé « usuel indifféremment sous les deux noms », bon Jésus dans l’ex. ; DromardDoubs 1997 jésu de Morteau ; DufaudLLouvesc 1986 s.v. jésus (dans la métalangue) ; HöflerRézArtCulin ; DufaudLLouvesc 1998 (à la nomenclature
française) ; FréchetMartAin 1998 bon jésus ; MichelRoanne 1998 (bon) jésus ; ChambonÉtudes 1999 ; FEW 5, 35b, Jesus. (Var.) VurpasMichelBeauj 1992 ; MichelRoanne 1998 bon josé « la forme (bon) jésus est plus usitée » ; FEW 5, 51a, Josephus.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (bon jésus) Drôme, Loire, 100 % ; Isère, 80 % ; Nièvre, 75 % ; Saône-et-Loire, 70 % ; Ain, Ardèche,
65 % ; Côte-d’Or, 50 % ; Rhône, Yonne, 30 % ; Haute-Loire (Velay), 0 %.
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