mouiller v.
I. usuel
1. Emploi intr. 〈Mayenne, Sarthe, Vendée〉 "être exposé à la pluie ; s’imbiber d’eau de pluie". Pour qu’il soit de bonne qualité, le foin ne doit pas mouiller (G. Chevereau, Une enfance à la campagne, 1987, 120).
1. Le propriétaire peut se permettre d’accuser le malheureux fermier d’être un voleur
parce qu’il manque des tuiles sur les toits des bâtiments, mais il ne faudrait pas
que le fermier lui fasse un procès parce que le toit est découvert et que son foin
mouille car il perdrait à tous les coups. (J. Guillais, La Berthe, 1990 [1988], 194.)
2. L’un fauchait, l’autre suivait et faisait des gerbes qui étaient mises ensuite en
meules. Il y avait des types spécialisés pour faire ça, de vrais artistes ! C’était
si bien fait que le blé ne mouillait pas et pouvait rester longtemps comme ça. (J. Guillais, La Berthe, 1990 [1988], 224.)
2. Emploi impers. 〈Haute Bretagne, Maine-et-Loire, Centre-Ouest, Rhône, Drôme, Ardèche (Annonay)〉 "pleuvoir".
3. – François, qu’en pensez-vous ? va-t-il faire beau ?
– Oui, dame*, M. Froger : ça c’est sûr et certain ; vous pouvez être tranquille, y ne va point mouiller. (P. Froger, Autrefois… chez nous, 1950, 206.) 4. L’air était devenu irrespirable. Cela ne pouvait durer ; l’orage allait éclater d’un
moment à l’autre.
– Y mouillera cet’ nuit, dame* oui. – Ça tonnera avant. On n’aura pas d’eau sans que ça tonne, dame* non. – Sûr qu’y mouillera : on entend le train. En effet, on entendait le train, signe infaillible que le vent « tournait », et amènerait de la pluie. (Bl.-M. Depincé, Au Carillon de l’Ouest, 1975, 344.) 5. « […] m’étonnerait fort qu’y mouille pas un bon coup » disait Martial […]. (H. Dufour, Le Bouchot, 1982, 112.)
6. – On va à la Méduse, dit Gérard, j’ai les clefs du hangar.
– Des nèfles, fit Simon, on va se faire rincer. Regarde comme il mouille ! (B. Deflandre, La Soupe aux doryphores, 1987 [1985], 319.) 7. Tempête siffleuse, averse en joie tout au long des gouttières, il pleut, il mouille, c’est la fête à la grenouille. (I. Frain, La Maison de la source, 2000, 255.)
V. encore s.v. grain, ex. 4 ; semaine, ex. 5.
■ remarques. L’ex. 7 fait écho à la comptine « Il pleut il mouille/ c’est la fête à la grenouille… » (Comptines de langue française recueillies et commentées par Jean Baucomont et al., Paris, Seghers, 1970 [1961], 196 ; cf. Simonne Charpentreau, Le Livre d’or de la chanson enfantine, Paris, Les Éditions ouvrières, 1986 [1976], 327) et RézeauOuest 1984 s.v. mouiller.
II. 〈Jura, Ain, Rhône, Isère〉 mouiller la meule loc. verb. pop. "boire (des boissons alcoolisées, notamment du vin) ; aimer à boire". Stand. fam. picoler.
8. Dans le temple de Martinet
Vinrent les « Martyrs de la gueule », Dignes amants d’un bon dîner, Fils de Bacchus, mouillant la meule ! (E. Berger, Les Martyrs de la Gueule, 1947, 46.) 9. Les poutres apparentes du petit bistrot semblaient devoir crouler sous les bravos,
et Jo en profitait alors pour « mouiller la meule » – disait-il –, car de bonimenter donne soif, surtout quand on y a déjà des dispositions naturelles…
(M.-É. Grancher, Tout pour la tripe !, 1965, 103.)
10. Le retour […] n’est pas morose, certains ont un peu « mouillé la meule » ou jouent la comédie.
– Quand on est de sortie faut bien arroser, bon dieu ! (A. Mante, Le Temps s’élève, 1995, 241.) 11. Le boulanger […] avait tendance, comme disait Popi, à mouiller un peu trop la meule. (B. Clavel, Les Petits Bonheurs, 1999, 38.)
— Var. se remouiller la meule "id."
12. Il pérore au sein d’un petit groupe attentif, se remouillant la meule à chaque syllabe, positivement, invitant, du geste, ses compagnons à en faire autant.
(San-Antonio, Maman, les petits bateaux…, 1980 [1975], 71.)
◆◆ commentaire.
I. L’emploi impersonnel traduit une évolution sémantique dont on a relevé des exemples
en Wallonie, dans l’ouest du domaine d’oïl et en domaine francoprovençal (FEW 6/3, 48a, *molliare), de même qu’en français populaire parisien (BauchePop 1920-1951). Les usages actuels
relèvent de deux filières indépendantes. Le lyonnaisisme est attesté dep. Monet 1636
(« mouiller, faire pluie, pluere »). Il a été signalé depuis de façon continue dans le français de Lyon (mil. 18e s., DuPineauV ; PuitspeluLyon 1894 ; VachetLyon 1907 ; « bien connu » VurpasLyonnais 1993), de même que récemment dans celui du Beaujolais (« Beaujolais viticole attesté ; Haut-Beaujolais usuel » VurpasMichelBeauj 1992), de la Loire (MichelRoanne 1998 « connu au-dessus de 60 ans »), de la Drôme (FréchetDrôme 1997 « globalement connu ») et du nord de l’Ardèche (« bien connu » FréchetAnnonay 1995). Cette localisation est en accord avec le dialectalisme moilli "pleuvoir" qui occupe une petite aire à l’ouest de Lyon et qui est attesté dans le nord du Rhône
et de la Loire (ALLy 781) ; il n’est pas documenté dans les parlers dialectaux de
cette zone avant env. 1807 (EscoffVTextes 310). Dans l’Ouest, le verbe est d’abord
attesté dans le français de Nantes dans la deuxième moitié du 17e s. (« Le dimanche 8 mai 1661 on fist une seconde procession générale à Nostre Dame, pendant
laquelle il mouillat toujours et bien fort » Nantes 1661, A. Croix, Moi Jean Martin recteur de Plouvellec, Rennes, 1993, 177 ; « Le jour de saint Georges 23 avril il ne moüilla point du tout […] » ; « Les pluyes ont continué depuis la Magdelaine, et ne s’est point passé de jour qu’il
n’ait mouillé […] » Nantes 1664, ibid., 186, 189) et dans le français de La Rochelle à la fin du 18e s. (LaRochelle 1780). La vitalité du verbe dans le français de Haute Bretagne, particulièrement
de Nantes, est avérée aux 19e et 20e s. (LeGonidecBret 1819 ; région. 1820 ; EudelNantes 1884 ; BrasseurNantes 1993 ;
BlanWalHBret 1999), comme, à l’époque contemporaine, dans celui du Poitou, de l’Aunis
et de la Saintonge (RLiR 42, 178 ; RézeauOuest 1984), parallèlement à son emploi dans
les parlers dialectaux depuis le nord de la Gironde jusque dans le sud de l’Ille-et-Vilaine
(ALF 1034 ; ALG 1015 ; ALBRAM 524). C’est à partir du français de cette région que
le verbe s’est implanté dans le français de toutes les communautés francophones d’Amérique,
où il est attesté dep. le dernier tiers du 17e s. (FichierTLFQ ; 1744 PotierHalford ; DQA 1992 ; PoirierAcadG ; CormierAcad 1999 ;
NaudMadeleine 1999 ; DéribleSPM 1986 ; BrassChauvSPM 1990 ; DitchyLouisiane 1932 ;
DaigleCajun 1984 ; TLF « Ouest et Canada »). V. ChauveauLexOuest 1995, 85.
II. La locution a été repérée à l’écrit principalement chez des auteurs du Jura et de
la région lyonnaise (dep. 1947, v. ici ex. 8). C’est une métaphore, sans doute d’origine
ouvrière, mais sa présence chez les couteliers de Thiers (Télé 7 jours, 26 septembre 1981, d’après Doillon décembre 1981) n’est pas suffisamment étayée pour
que l’on puisse affirmer que la locution a pris naissance dans la cité thiernoise ;
elle est en tout cas une adaptation du plus ancien mouiller le/la + substantif, attesté dep. le 16e sièclea. Inconnu de la lexicographie générale, mouiller la meule est peu pris en compte dans les recueils différentiels. Sa diffusion en fr. pop.,
dont témoignent quelques dictionnaires spécialisés, semble assurée mais relativement
restreinteb.
a « Les Alemans sont au contraire : Ilz sont folz par force de boire ; Mais qu’ilz ayent
bien mouillé la gorge Ilz sont vaillant comme sainct George » (Recueil de sermons joyeux, éd. Koopmans, av. 1522, 276) ; « thomas […] Allons, Fanchon, donne-nous de quoi mouiller la conversation. / fanchon. – Je sis t’à vous, mon père. / (Elle avance sur l’Avant-scène la table qui est sur le Théâtre, & elle y pose le broc
[…]) » (Guillemain, L’Enrôlement supposé, 1781 [éd. Cailleau, 1789, 14]) ; « Si tu t’es fait vaurien pour mouiller l’éponge, ça te regarde […] » (La Mère Fort en gueule et le recruteur des Jacobins, 1791, dans Dialogues révolutionnaires, éd. Malcolm Cook, University of Exeter, 1994, 22). Comm. de P. Enckell.
b V., par ex. : « – […] vu que la bouteille de Sancerre […] est entre mes mains, vous avez intérêt à
me parler avec un peu plus de respect si vous tenez à mouiller la meule » (A. Vers, C’était quand hier ?, 1990, 164).
◇◇ bibliographie. (II) CaradecArgot 1977-1998 "prendre la première consommation de la journée" ; GiraudBistrot 1989 (ex. de Vers, 1979) ; ColinArgot 1990 sans ex. ; FréchetMartAin
1998 ; aj. à FEW 6/3, 44a, *molliare.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I) Charente, Charente-Maritime, Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique, Maine-et-Loire,
Sarthe, Deux-Sèvres, Vendée, Vienne, 100 %.
J.-P. Chauveau (I) – P. Rézeau (II)
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