quitter v.
I. Emploi tr.
1. "laisser, abandonner".
1.1. qqn quitte qqc.
— 〈Provence, Gard, Hérault, Aude, Lozère〉 [L’acte est intentionnel] Ils nous quittent quelques provisions (Les Carnets de guerre de Gustave Folcher, 2000 [1981], 101.)
1. […] il entendit des voix affolées de femmes. Alors, il quitta sa soupe au bord du poêle et sortit. (P. Magnan, L’Aube insolite, 1998 [1946], 368.)
2. Et vite je filais vers ma maison, je quittais le pain et la viande sur la table de cuisine et je montais à la mansarde. (Th. Monnier,
Madame Roman, 1998 [1957], 169.)
3. Mais déjà les ordres arrivent […]. « En tenue, sac au dos, ne quittez rien ici, dans cinq minutes tous dehors aux positions, chacun à sa place de combat. » (Les Carnets de guerre de Gustave Folcher, 2000 [1981], 67.)
— 〈Gard, Hérault, Aude, Lozère〉 [L’acte est involontaire] Quitter un raisin, à la vendange (CampsLanguedOr 1991).
● quitter sa peau loc. verb. "perdre la vie". Stand. fam. laisser sa peau.
4. Nous décidons qu’il faut êre prudents et ne pas, dans cette nuit noire, tomber dans
une embuscade où nous pourrions quitter notre peau. (Les Carnets de guerre de Gustave Folcher, 2000 [1981], 254.)
— Emploi abs. 〈Loire (Pilat), Isère (Villeneuve)〉 "cesser le travail". Synon. région. débaucher*. – Dans mon usine, on quitte à six heures (MartinPilat 1989).
— 〈Charente-Maritime, Haute-Garonne, Pyrénées-Atlantiques (Béarn)〉 qqn quitte de + inf. "cesser de". Ça fait deux mois qu’il a quitté de fumer (MoreuxRToulouse 2000).
1.2. 〈Normandie〉 qqn quitte qqc. à qqn.
5. L’armoire qu’elle a été obligée de vendre, ayant besoin de se faire un peu d’argent.
Ce n’est pas de gaieté de cœur, croyez bien… « L’armoire vient de ma grand-mère qui me l’avait quittée en mourant… » (R. Dubos, Histoires normandes, 1978, 12.)
1.3. 〈Gard〉 qqn quitte qqn + adj. L’artillerie, qui nous avait quittés tranquilles toute la matinée, se met de nouveau
de la partie (Les Carnets de guerre de Gustave Folcher, 2000 [1981], 112). Cela fini, on nous quitta tranquilles (Id., 170). Le patron nous quitte seuls (Id., 184).
1.4. 〈Gard, Lozère〉 qqn quitte qqn "déposer une personne que l’on transporte". Stand. laisser. – Quittez-moi au bout de la rue (CampsLanguedOr 1991).
2. "ôter, enlever".
— 〈Landes〉 quitter qqc. à qqc.
6. Les carcassous / C’est un mot bizarre mais vous pouvez dire « les demoiselles »*. Chez nous, le carcassous, c’est tout ce qui reste du canard quand on lui a tout quitté ! Toujours, vous trouverez des petits filets de chair qui restent attachés après
ses os. Alors, vous coupez ce carcassous, ou demoiselle [sic au sing.], avec votre hachoir. Vous écartelez les morceaux et les mettez à griller
dans la cheminée. (Maïté et al., La Cuisine des mousquetaires, 1991, 130.)
— 〈Ardèche (nord)〉 quitter qqc. à qqn "enlever, arracher (un vêtement, une coiffure, des chaussures)". Le coup m’a quitté mon chapeau ; quitte-moi ma veste (MédélicePrivas 1981).
3. 〈Vosges, Jura〉 vx Par restr. "accorder un rabais ; arrondir une somme au chiffre inférieur". Synon. région. tirer*. – J’ vous quitte mille francs sur cette vache-là (LesigneBassignyVôge 1999).
7. Le vendeur emballa le tout dans un grand carton, et la mère s’approcha de la caisse.
– Vous allez me quitter quelque chose, dit-elle. Le caissier calcula et accorda une remise de deux francs. (B. Clavel, La Maison des autres, 1991 [1962], 384.) II. 〈Charente-Maritime, Gard, Hérault〉 v. auxiliaire à valeur factitive + inf. "laisser". Quitter faire (CampsLanguedOr 1991). Nous n’avons pas voulu nous quitter enfermer (Les Carnets de guerre de Gustave Folcher, 2000 [1981], 255).
8. Des troupeaux de biches, chevreuils, se trouvent pris dans le cercle et courent, les
pauvres bêtes, dans tous les sens, effrayés par nous tous [= rabatteurs] qui levons
les bâtons dans leur direction au grand mécontentement des chasseurs qui nous crient
de les quitter passer tranquillement. (Les Carnets de guerre de Gustave Folcher, 1939-1945, 2000 [1981], 207.)
◆◆ commentaire. L’emploi I.1. est attesté dep. 1743-1744 au Québec (« Quitte la [sic] cette roche : laisse la cette pierre », PotierHalford, 20 ; 1877 « ces hardes ont été quittées là par un des 7 déserteurs » FichierTLFQ ; GPFC 1930 quitter des outils à la pluie). Déjà critiqué au 18e siècle dans le Midi, est aujourd’hui réputé par les dictionnaires régionaux « class. » (GLLF), « vieilli » (TLF), « vieilli ou littér. » (Rob 1985) ; il se maintient, en fait, dans plusieurs zones de la moitié méridionale
de la France et en Normandie. Sous I.2., quitter qqc. à qqn se distingue par la présence du complément d’objet second, absent du français de
référence ; mais, malgré LepelleyBasseNorm 1989, le tour quitter un vêtement (sans complément second) appartient au français de référence, cf. Hanse 1994 : « On dit fort bien : quitter (ou ôter) sa robe, un manteau »a. I.3. Attesté aux 16e et 17e siècles (ca 1525 Philippe de Vigneullesb ; Est 1538-Stœr 1625, FEW), ce sens est aujourd’hui un archaïsme, encore relevé en
Saône-et-Loire fin 19e-début 20e s. (FertiaultVerdChal 1896 ; Mâcon 1926), qui survit, à l’état de vestige, dans le
français des Vosges (LanherLitLorr 1990 ; LesigneBassignyVôge 1999 ; aj. à FEW 2, 1471b, quietus) et du Jura (v. ici ex. 7).
L’élargissement de cet emploi devant un infinitif (II), qui en fait un équivalent de laisser, est relevé notamment en Saintonge et dans le Languedoc oriental, mais aussi en Amérique :
Québec (Dionne 1909 ; « aujourd’hui désuet », comm. d’A. Thibault), Saint-Pierre-et-Miquelon (BrassChauvSPM 1990), Acadie (ALEC
529 ; CormierAcad 1999), Louisiane (DitchyLouisiane 1932) et dans les créoles antillais
(Aub-Büscher MélStraka 1970 1, 369), indices convergeant en faveur d’une importation
ancienne de ce fait de l’autre côté de l’Atlantique et qui témoignent qu’on a ici
affaire à un emploi de la langue parlée.
a Il ne semble cependant pas appartenir à l’usage québécois courant (comm. du TLFQ et
d’A. Thibault) ; mais il était peut-être plus usuel autrefois au Québec (où il est
attesté dep. 1765 « quitter son manteau » Gazette de Québec, dans FichierTLFQ ; quitter ses bottes GPFC 1930).
b « […] aussy fut dit qu’il estoit tenu à la cité d’aulcune grosse somme d’airgent, laquelle,
come je croy, luy fut quictée » (La Chronique, éd. Ch. Bruneau, t. 4, 279 ; comm. de P. Enckell).
◇◇ bibliographie. Sauvages 1756 « kita, laisser, poser ; c’est dans ce sens que (kita) se prend à Montpellier & qu’on rend mal à propos, en François, par le mot quitter : on dit en conséquence : j’ai quitté ma clef sur la cheminée, au lieu de j’ai laissé ou j’ai posé ma clef, &c » ; DesgrToulouse 1768 ; LagueunièreAgde [ca 1770] ; en 1785 dans le Lot (« les autres furent obligés de quiter de vandanger » Chr. Constant-Le Sturm, Journal d’un bourgeois de Bégoux : Michel Célarié 1771-1836, 89) ; Féraud 1788 ; VillaGasc 1802 ; RollandGap 1810 ; RollandLyon 1813 ; ReynierMars
1829-1878 ; PomierHLoire 1835 ; GabrielliProv 1836 ; BrunMars 1931 ; MussetAunSaint
1938 ; DauzatStGeorgesD 1934-1946 ; MédélicePrivas 1981 quitter un vêtement à qqn « courant et familier » ; TuaillonRézRégion 1983 (Privas) ; RézeauOuest 1984 et 1990 ; MartinPilat 1989 "cesser le travail" « usuel à partir de 20 ans » ; BrassChauvSPM 1990 ; CampsLanguedOr 1991 ; BlancVilleneuveM 1993 "cesser le travail" « connu au-dessus de 50 ans, attesté à 20 » ; MoreuxRToulouse 2000 ; FEW 2, 1475a, quietus.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I.1) Lozère, 100 % ; Aude, Gard, Hérault, 90 %. (I.3) Vosges, 15 % ; Meurthe-et-Moselle, Meuse, Moselle, 0 %.
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