bouléguer (et var.) v.
fam. 〈Drôme, Provence, Gard, Hérault, Aude, Haute-Garonne, Aveyron, Lozère, Ardèche (Mariac,
Privas)〉 bouléguer ; 〈Doubs, Rhône, Isère, Drôme, Hautes-Alpes〉 bouliguer ; 〈Loire (Saint-Étienne), Drôme, Ardèche (Annonay)〉 bouliquer.
1. Emploi tr.
1.1. "agiter, bouger, remuer sans ménagement".
— [Le compl. d'obj. désigne un inanimé concret] Ne boulègue pas la boîte à outils, je m'y reconnais plus (MoreuxRToulouse 2000).
1. – Ne la [bouteille de vin] bouléguez pas trop, il y a du dépôt, j'aurais peut-être dû la transvaser doucettement avant
de la servir, mais ça n'aurait pas été pareil… (J.-P. Chabrol, Les Rebelles, 1965, 224.)
2. […] les ouvriers agricoles « boulégaient » [sic] sans cesse cette paille de plus en plus fine […] qu'ils jetaient en l'air pour la
séparer des grains. (J. Durand, André Bouix, gardian de Camargue, 1980, 48.)
● 〈Gard, Hérault, Haute-Garonne, Lozère, Gers〉 jeu de loto en emploi abs. boulègue ! "(invitation faite au crieur du Loto à brasser les numéros dans le sac ou à “remuer” son boulier)" d'après CovèsSète 1995 et MoreuxRToulouse 2000.
□ En emploi autonymique.
3. Le jeu de loto se pratique à Nîmes, spécialement en décembre et janvier. L'annonceur
fait précéder l'énoncé de chaque chiffre tiré du boulier par une description mimée
où reviennent souvent des expressions occitanes. « Boulègue, boulègue ! » est le cri du public qui invite l'annonceur à « remuer » son boulier pour faire sortir le bon chiffre attendu. (J.-M. Marconot, « Le français parlé dans un quartier HLM [de Nîmes] », dans Langue française, n° 85, 1990, 70, n. 5.)
□ Par référence à cette invitation.
4. On boulègue, on boulègue ! [Titre] / Parmi les nombreuses associations carnoulaises [= de Carnoules, Var],
il en est une particulièrement active : les Fils d'argent. / Parmi leurs activités,
le loto du lundi suivi d'un goûter, un succès qui ne se dément pas. (Var-Matin, 29 octobre 1998.)
— [Le compl. d'obj. désigne un inanimé abstrait] Il bouligue tout ça dans sa tête et ça le rend nerveux (BlancVilleneuveM 1993).
1.2. Au fig. "apporter des changements brutaux à qqc. ; causer une vive émotion à qqn". Stand. bouleverser, fam. chambouler, mettre sens dessus dessous, secouer. Synon. région. cigogner*.
5. Mais le progrès a « bouligué » [en note : changé] notre « Bsançon ». (D. Sidot, 12, rue de la Roulotte, 1981, 213.)
6. Bref, la sœur Besson, elle avait su, je sais pas comment, que le Milou avait pas fait
sa première communion, et ça lui avait pas plus [sic] à c'te femme. […] elle avait rien trouvé de mieux que de dire au gone* : « votre mère, c'est z'une moins que rien ! » Vous vous rendez compte, dire ça au Milou […] ! Ça l'avait tout bouligué […]. (A. Burtin et al., Petites histoires en franc-parler. C'est pas Dieu poss !, 1988, 106.)
2. Emploi pron. "s'activer, se presser". Boulègue-toi un peu, tu vois bien que ta mère t'attend ! (MazaMariac 1992). Boulègue-toi, Cathy ! (Ph. Carrese, Graine de courge, 1998, 29.)
7. Elle crie après mamie Marie-Louise parce qu'elle est trop lente. Elle lui dit en marseillais :
« Boulègue-toi un peu que* tu vas t'endormir en marchant. » (N. Ciravégna, Chichois de la rue des Mauvestis, 1979, 13.)
8. On n'a pas à se bouliguer, les Matines sont à onze heures. (P. Jeune, « La Félicie cause au Milo », dans Barbizier. Bulletin de liaison de folklore comtois, n.s., n° 19, octobre 1992, 329.)
V. encore s.v. cuite, ex.
— 〈Rhône, Loire〉 Au fig. "se tracasser, se tourmenter". Stand. fam. se faire du mauvais sang. Synon. région. se calciner*. – Vous bouliguez pas pour le reste, y sera toujours temps (Lyon, 1952, dans SalmonLyon 1995).
● Suivi d'un compl. d'obj.
9. – Oh ! ben, t'as bien tort de te bouliguer l'intérieur pour des histoires de boulot ! Personne ne t'en sera reconnaissant ! (Ch. Exbrayat,
Félicité de la Croix-Rousse, 1988 [1968], 159.)
● Au part. passé/adj. Mon mari est malade, je suis bouliguée (VurpasMichelBeauj 1992).
3. Emploi intr. "s'agiter, bouger, remuer ; aller et venir".
3.1. [Le sujet désigne une personne] Mais qu'est-ce que t'as à bouléguer comme ça : tu es malade ou quoi ? (NouvelAveyr 1978). Allez, boulègue, qu'est-ce que tu fais, planté là ? (MédélicePrivas 1981). Arrête de bouliguer (GermiLucciGap 1985 et GermiChampsaur 1996), de bouléguer (BouvierMars 1986), de bouliquer (FréchetAnnonay 1995). Il bouligue sans arrêt (FréchetDrôme 1997). Et ne boulègue plus comme ça ! (G. Del Pappas, Massilia dreams, 2000, 67).
10. Nous couchions à quatre dans le même lit, tête-bêche, deux à la tête, deux aux pieds,
et il ne fallait pas trop bouliquer si l'on voulait bien dormir. (M. Bailly, La Jarjille, 1980, 22.)
11. Les Marseillais n'ont jamais eu peur du voyage ; ils adorent « bouléguer ». (Le Monde, 29 mai 1986 [sous-titre].)
12. Je sors et refais le tour de la voiture… Je lui ouvre la porte.
– Allez, boulègue ! (Ph. Carrese, Trois jours d'engatse, 1995, 144.) — Au fig.
● 〈Provence〉 "s'exprimer plus ou moins violemment dans le plaisir sans contrainte". Stand. fam. s'éclater. – À partir de 22 h, vous pourrez « bouléguer » dans tous les sens avec le groupe marseillais Raspigaous (La Lozère nouvelle, 10 mars 2000, 46).
13. Le cocktail folklorique [du groupe marseillais Massilia Sound System] donne d'ailleurs sa pleine mesure en concert, où chaque morceau est prétexte à « mettre le oai [= mettre de l'ambiance] ». « C'est l'occasion de faire la fête dans un sens intelligent où les gens s'éclatent
bien. L'idée de la révolte est contenue dans celle de la fête », expliquent-ils. Le mot de désordre est lancé, il s'agit de « bouléguer ». Une formule tout en rondeur et taillée dans la masse[,] qui se nourrit des styles
variés de ses adeptes. (La Lettre du Conseil Régional. Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, n° 135, novembre-décembre 1999, 6.)
● 〈Rhône〉 "travailler dur". Cette année, on a bouligué sans arrêt (VurpasMichelBeauj 1992). Il a bouligué toute sa vie (VurpasLyonnais 1993).
3.2. [Le sujet désigne un inanimé] Il y a quelque chose dans le coffre [de la voiture] qui boulègue (ArnouxUpie 1984). – Dis, je la serre la vis ? – […] tu vois pas qu'elle boulègue (ArmanetBRhône 1993).
14. Au plus* les branches [d'un olivier] sont pliées, au plus elles retombent, au moins le vent
les secoue. Au plus c'est haut, au plus ça boulègue [en note : remuer, agiter]. (L. Merlo, J.-N. Pelen, Jours de Provence, 1995, 144.)
15. – […] mon petit-fils commence à perdre ses dents de lait. […]. L'autre soir il vient
me voir, il avait une dent qui bouléguait. (Cl. Courchay, Quelqu'un, dans la vallée…, 1998 [1997], 151.)
16. – Mon Dieu, pourvu que le vent boulègue un peu et qu'elle [la toile d'un matelas] sèche vite […] ! (G. Ginoux, Gens de la campagne au Mas des Pialons, 1997, 131.)
◆◆ commentaire. Parallèle à fr. bouger, cet emprunt à l'occ. méridional boulegá "remuer, bouger ; émouvoir" (Mistral), bien implanté dans le Midi de la France sous la forme bouléguer, a gagné Lyon sous la forme bouliguer dep. 1858 (« À ce point parvenu, fallait bien que je sache Ce qu'on pouvait bouliguer dans Perrache », texte lyonnais cité dans OnofrioLyon 1864 s.v. boulica "remuer, agiter") et, de là, a pénétré sous cette dernière forme le français de Bourgogne et du sud
de la Franche-Comté au 19e s. ; la forme bouliquer avec désonorisation du /g/ (déjà au 18e s. dans le dialecte de Saint-Étienne, v. StrakaPoèmesStÉt 1964), est localisée dans
une petite aire compacte au sud de Lyon. Il semble que le verbe ait été plus couramment
en usage, au début de ce siècle, dans la région lyonnaise qu'en Provence, où Brun
indique qu'on l'emploie « par plaisanterie en parlant français ».
◇◇ bibliographie. MonnierDoubs 1857 ; OnofrioLyon 1864 ; BeauquierDoubs 1881 ; CunissetDijon 1889 ;
GuilleLouhans 1894-1902 ; PuitspeluLyon 1894 et PuitspeluLyonSuppl 1897 ; FertiaultVerdChal
1896 ; Mâcon 1903-1926 "bousculer, manier sans précaution hommes et choses" ; VachetLyon 1907 ; JoblotNîmes 1924 ; LarocheMontceau 1924 ; CollinetPontarlier
1925 ; BoillotGrCombe 1929 "secouer, tracasser qqn" ; ParizotJarez [1930-40] ; BrunMars 1931 ; BaronRiveGier 1939 être bouligué "être indisposé ; être très pressé" ; MarMontceau ca 1950 ; DornatLyotGaga 1953 ; GrandMignovillard 1977 ; RLiR 42 (1978), 161 ; MédélicePrivas
1981 ; ArnouxUpie 1984 « assez peu fréquent » ; GermiLucciGap 1985 ; BouvierMars 1986 ; MartelProv 1988 ; BlanchetProv 1991 ; CampsLanguedOr
1991 ; LangloisSète 1991 ; ColinParlComt 1992 ; CouCévennes 1992 ; MazaMariac 1992 ;
VurpasMichelBeauj 1992 « bien connu au-dessus de 60 ans, en déclin rapide au-dessous » ; ArmanetBRhône 1993 ; BlancVilleneuveM 1993 ; VurpasLyonnais 1993 ; FauconHérault
1994 ; PolverelLozère 1994 ; CovèsSète 1995 ; FréchetAnnonay 1995 ; LaloyIsère 1995 ;
SalmonLyon 1995 ; GermiChampsaur 1996 ; MazodierAlès 1996 ; FréchetDrôme 1997 ; ArmKasMars
1998 ; RoubaudMars 1998, 89 ; BouisMars 1999 ; MoreuxRToulouse 2000 (vieillissant) ;
FEW 1, 618a, *bullicare.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Aude, Gard, Hérault, Lozère, 100 % ; Bouches-du-Rhône, Var,
Vaucluse, 80 % ; Hautes-Alpes, 75 % ; Alpes-Maritimes, 55 % ; Alpes-de-Haute-Provence,
50 %.
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