brousse n. f., brous [bʁus] n. m.
usuel
I. brousse n. f.
1. 〈Bouches-du-Rhône, Hérault〉 "fromage frais traditionnellement à base de lait de chèvre". Une petite brousse de chèvre (M. Biehn, Couleurs de Provence, 2000 [1996], 24).
1. Elle enseignait à Aimée l’art de faire des brousses avec du lait bleu des garrigues, caillé puis pressé dans des tamis de joncs […].
(M. Pagnol, Jean de Florette, 1995 [1963], 198.)
● Emploi non-comptable. Raviolis à la brousse (Fr. Thomazeau, Qui a tué Monsieur Cul ?, 1998 [1997], 68). Lazagnettes à la brousse (J.-Cl. Izzo, Solea, 1998, 171).
2. Et puis, avec les bruits, c’était tout Marseille qui montait jusqu’à lui, les roues
des charrettes des maraîchers, le cri du marchand de brousse et du rempailleur de chaises […]. (P. Cauvin, Rue des Bons-Enfants, 1990, 16-17.)
— brousse du Rove loc. nom. f. "fromage cylindrique de 3 cm de diamètre et de 12 cm de long, à pâte lisse, traditionnellement
obtenu à partir du lait des chèvres du Rove, village proche de Marseille".
● Emploi non-comptable.
3. Elle avait mis le couvert dans la cuisine comme avant, et on a mangé du saucisson,
des spaghetti, de la brousse du Rove [en note : fromage frais au lait de chèvre, très apprécié à Marseille] et du flan au chocolat.
(N. Ciravégna, Chichois de la rue des Mauvestis, 1979, 71.)
4. Il ne reste qu’un producteur fermier de brousse du Rove, qui continue à respecter jalousement le savoir-faire traditionnel à Ensuès-la-Redonne,
dans la chaîne de l’Estaque au nord de Marseille (Bouches-du-Rhône). (L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Provence-Alpes-Côte-d’Azur, 1995, 364.)
5. Laugier se rappelle quand il était gosse, le marchand qui passait au quartier, avec
sa petite trompette et qui criait : « la brousse, la brousse du Rove ». (R. Merle, Treize reste raide, 1997, 217-218.)
V. encore s.v. cachat, ex. 2.
● Emploi comptable.
6. […] M. Bachir, le colporteur de « brousses du Rove », et son petit âne à la crinière entremêlée de brins de lavande […]. M. Bachir est
le chéri de ces dames. Leurs hommes raffolent de ces petits fromages de chèvre qui
ont transhumé jusqu’ici dans leur fourreau de paille. (Y. Audouard, Le Sabre de mon père, 1999, 136.)
■ encyclopédie. « […] les brousses du Rove ont bien changé. Aujourd’hui, elles sont fabriquées non pas
à partir de petit-lait mais à partir de lait entier de chèvre, voire même de vache,
au grand regret des traditionnalistes amateurs de ce produit autrefois si recherché » (L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Provence-Alpes-Côte-d’Azur, 1995, 365). V. aussi L’Encyclopédie des fromages, 1997, 143.
— à l’heure des brousses loc. adv. "trop tard". Il est encore arrivé à l’heure des brousses ! (BouvMars 1986).
7. Elle avait même failli lui dire qu’elle était fiancée et qu’il arrivait à l’heure des brousses. (P. Cauvin, Rue des Bons-Enfants, 1990, 138.)
□ En emploi métalinguistique.
8. J’entre dans le bar, il est neuf heures du matin. Il n’y a pas beaucoup de monde…
La cohue, c’est à l’heure du Fly, à midi[,] et le soir, à six heures. / Le Fly ? C’est
un Casa [= Casanis, marque d’apéritif anisé] ou un 51 [= Pernod 51, id.], c’est comme
tu veux… C’est encore une expression, on sait pas d’où elle sort, mais ici, il y a
l’heure des brousses, et il y a l’heure du Fly… Bon… (Ph. Carrese, Trois jours d’engatse, 1995, 22.)
2. 〈Alpes-Maritimes, Var, Aveyron〉 "fromage frais (caillé doux) à base de lait de brebis, présenté en petites faisselles".
9. […] épiceries à fromages [à Nice], gorgonzola, camembert, et la « brous » [sic], yoghourt niçard qu’on te vend à la spatule […]. (J. Audiberti, Dimanche m’attend, 1965, 98.)
10. Ensuite il attaquerait le fromage de chèvre, à moins que ce ne fût de la brousse fraîche ou du cachat* du Ventoux, le tout couronné d’un verre de Cairanne. (R. Sabatier, Les Enfants de l’été, 1978, 24.)
11. La commercialisation doit se faire très vite. Autrefois, lors des tournées dans les
villages du littoral, les fabricants démoulaient les brousses directement dans les assiettes qu’apportaient les clients. (L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Provence-Alpes-Côte-d’Azur, 1995, 367.)
12. La Brousse de Brebis se consomme nature, sucrée, avec de la confiture ou des fines herbes (ciboulette…).
(Emballage de Brousse / Pur brebis, d’une fromagerie de Roquefort, distribuée en supermarché, Strasbourg, décembre 1997.)
V. encore ci-dessous II, rubr. Synon., ex. s.v. broussin.
II. 〈Alpes-Maritimes, Var〉 brous n. m. "pâte onctueuse à saveur forte, obtenue par le mélange et/ou la fermentation de restes
de divers fromages avec divers ingrédients (huile d’olive, eau-de-vie, poivre, ail,
herbes, etc.)". Synon. région. cachat*, fromagée*, pétafine*.
13. À l’étage du dessous, un gourmet grillait fréquemment du brous. Le brous est un mélange de lait caillé agrémenté d’ail haché, de poivre, de marc du pays.
On place le tout dans une terrine fermée. De temps en temps, une pince à linge obturant
les narines, on soulève le couvercle et on inspecte. Quand le contenu de la terrine
s’anime, que les vers prouvent le bien-fondé des théories sur la génération spontanée,
le grouillant mélange est prêt pour la consommation. On en tartine des tranches de
pain qu’on place sur un poêle allumé […]. Ainsi agissait le gourmet. Il prétendait
chasser les émanations des poubelles et se venger des voisins qui lui déplaisaient.
Les innocents payaient pour les coupables : si l’acoustique, bonne en ces lieux, renseignait
sur les démêlés et les plaisirs des familles, l’odeur du brous se propageait plus loin encore… (L. Nucéra, Avenue des Diables-Bleus, 1982 [1979], 102-103.)
14. […] il tirait de son sac le pain de campagne, la bouteille de vin rouge et le pot
de « brouss » [sic]. / Tous les paysans de Saint-Cézaire [sic] fabriquaient du brouss. C’était le fromage du pauvre, car il ne revenait pas cher et durait longtemps. Certains
en préparent encore. On l’obtient en mélangeant dans un récipient des débris de fromages
forts : gorgonzola, bleu des Causses et d’Auvergne, roquefort, munster… qu’une fermentation
prolongée et entretenue par de constants apports transforme en crème pâteuse. (M. Stèque,
La Tour de Siagne, 1981, 164.)
15. Beaucoup de « festins »* donnent lieu à des banquets ou à des distributions de nourriture : à Sauze, c’est
de la soupe aux lentilles ; à La Croix-sur-Roudoule, c’est de la soupe de haricots
[…] ; à la fête du Brousse [sic], à Belvédère, on mange des tartines de brousse […]. (Pays et gens de France, n° 36, les Alpes-Maritimes, 27 mai 1982, 17.)
16. À Belvédère [Alpes-Maritimes], se tient à l’automne, au moment de la descente des
vaches [de l’alpage], la fête du brous. (L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Provence-Alpes-Côte-d’Azur, 1995, 368.)
■ synonymes. du II. 〈Alpes-de-Haute-Provence〉 broussin n. m. « […] un bout de pain et un peu de broussin (fromage fondu) dans la musette » (M. Scipion, L’Arbre du mensonge, 1980, 43) ; « La brousse* sert aussi de matière première au broussin (préparation fromagère), grâce à une fermentation ultérieure » (L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Provence-Alpes-Côte-d’Azur, 1995, 366). – Attesté en français dep. 1793 en référence à Castellane (auj. Alpes-de-Haute-Provence)
(« Broussin ou fromage fondu » Tableau du maximum, dans L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Provence-Alpes-Côte-d’Azur, 1995, 367-368), cet emprunt au pr. broussin (de même sens, dérivé sur brous, v. Mistral) est enregistré dans AcC 1838 ; Littré ; TLF « région. », sans exemple ; BlanchetProv 1991 ; FEW 15/1, 306a, *brukja.
■ remarques. 〈Isère, Gard, Hérault, Aude, Pyrénées-Orientales, Ariège, Haute-Garonne, Tarn, Lot,
Aveyron, Lozère, Landes, Gironde〉 brousser v. intr. ou pron. "tourner (du lait, d’une crème, d’une sauce ou, par analogie, d’une préparation quelconque)". Par ces temps d’orage, il faut bien garder le lait au frais, sinon il brousse quand
tu veux le faire bouillir (TuaillonVourey 1983). Si tu mets trop d’huile, elle va brousser, la mayonnaise (MoreuxRToulouse 2000) ; lait broussé. « On la [la bouillie bordelaise] préparait nous-mêmes, en délayant le sulfate de cuivre
dans un lait de chaux. Mais il fallait aller vite, sinon ça “broussait”, le mélange caillait, et les grumeaux risquaient de boucher la sulfateuse » (L. Chaleil, La Mémoire du village, 1989 [1977], 230). – En emploi factitif "faire tourner". « Montez le jaune [d’un œuf] avec son volume d’huile d’olive et hors du feu délayez
lentement pour ne point brousser le tout, dans la soupe brûlante » (M. Rouanet, Petit Traité romanesque de cuisine, 1997 [1990], 158-159) ; « La bourride – sommet de la cuisine marseillaise – […] consiste à couler adroitement et à cuire
“sans brousser” un aïoli dans une bouillabaisse : cette crème délicieusement onctueuse est servie
sur des tranches de pain légèrement grillées » (RoubaudMars 1998, 55). – DesgrToulouse 1801 lait broussé, le lait se brousse ; RollandGap 1810 lait broussé ou brossé ; GabrielliProv 1836 ; Littré s.v. brousse« dans quelques départements » ; AnonymeToulouse 1875 ; LambertBayonne 1904-1928 ; BrunMars 1931 ; SéguyToulouse
1950 ; TuaillonVourey 1983 « se dit uniquement pour le lait » ; DucMure 1990 ; CampsLanguedOr 1991 ; CampsRoussillon 1991 ; BoisgontierMidiPyr
1992 ; MoreuxRToulouse 2000 « semble connu de la majorité des plus de 40 ans » ; FEW 15/1, 306a, *brukja. (Même type dans les patois, ainsi ALLy V, 387, 1.)
■ encyclopédie. V., pour I et II, L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Provence-Alpes-Côte-d’Azur, 1995, 364-369.
◆◆ commentaire. I. est attesté dans le français du Midi dep. 1505 (« Du megue qu’est sorti du fromaige l’on en fait le seré ou la brosse […]. Et est appellé
brosse, seré ou recuyte pour ce que du second laict cuyt il est fayt » Platine de honneste voluptéa v. GdfC), et dep. 1579 (« la recuite ou brousse », Joubertb, Pharmacopee, v. GdfC), brousse est un emprunt à l’apr. broces pl. "lait caillé" (dep. 1434 à Vence, MeyerDoc), broussa "id." (1486 Pans, v. TLF), l’aire du mot s’étendant aussi à la Corse, au Val d’Aoste, au
Piémont et à la Ligurie (FEW 15/1, 306a, *brukja "ce qui est brisé").
Le masculin brous (II) est un emprunt au pr. (Mistral), attesté en français dep. 1874 (« la recuite salée, appelée brous dans le patois de Nice » v. LittréSuppl, seul des dictionnaires de référence à enregistrer cette forme, qu’il
donne au pl., et comme xénisme, avec la marque « en patois de Nice »). Considérant comme problématique l’implantation d’un terme gothique dans le vocabulaire
de l’industrie laitière des Alpes, qui conserve par ailleurs un certain nombre de
termes d’origine préromane, E. Schüle a avancé l’hypothèse d’une base préromane *brottiare (GPSR 2, 822a, s.v. brochyé), hypothèse accueillie par ALLy V, 387, 1. La locution à l’heure des brousses vient probablement de ce que les marchands de brousse passaient dans les rues pour
vendre leur produit en fin de journée, « à l’heure de la fin du souper » (Ph. Blanchet, Dictionnaire de la cuisine provençale, 1994, 61-62).
a Du Montpelliérain Christol, v. R. Arveiller « Le lexique de Desdier Christol, Languedocien (1505) », dans Hommage à Jean Séguy (Via Domitia 14, 1978, n° spécial), t. 1, 53-85, notamment 57.
b Né à Valence (Dauphiné), Joubert a vécu principalement à Montpellier, v. M.-J. Brochard
Z 106 (1990), 225 sqq.
◇◇ bibliographie. VillaGasc 1802 « recuite ou brousse, fromage frais de caillebotte » ; RollandGap 1810 « brosse, qu’on croit rendre en françois par le mot recuite » ; LittréSuppl brous m. pl. ; GLLF sans marque, avec cet exemple de Pagnol « crier comme des marchands de brousse » [le texte de Fanny, acte II, sc. 7 (1932) est exactement : « Je sens que nous sommes sur le point de crier comme deux marchands de brousses »] ; Rob 1985 et TLF « région. », sans exemple ; NPR 2000 « région. » ; BrunMars 1931 ; RostaingPagnol 1942, 120 ; RLiR 42 (1978), 187 ; BouvierMars 1986 ;
MartelProv 1988 ; BlanchetProv 1991 ; ArmanetBRhône 1993 ; GermiChampsaur 1996.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes, 100 % ; Alpes-de-Haute-Provence,
Var, Vaucluse, 65 % ; Bouches-du-Rhône, 60 %. – (brousser) Ariège, 100 % ; Hérault, 80 % ; Aude, Aveyron, Haute-Garonne, Lozère 50 % ; Pyrénées-Orientales
40 % ; Gard, Landes, 30 % ; Tarn, 25 % ; Gironde, 10 % ; Gers, Lot, Lot-et-Garonne,
Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées, Tarn-et-Garonne, 0 %.
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