eau bouillie loc. nom. f.
〈Loire, Drôme, Provence (spor.), Gard, Hérault (peu usuel), Aude (ouest), Ariège, Aveyron, Haute-Garonne, Tarn, Tarn-et-Garonne, Lozère, Ardèche,
Haute-Loire, Cantal, Puy-de-Dôme〉 usuel "bouillon souvent à base d’ail, aux vertus stomachiques réputées". Synon. région. aillade*, tourin*.
1. Pour dîner*, Antoine lui prépara son eau bouillie, la seule nourriture qu’elle prenait quand elle était malade, des tranches de pain
trempées d’eau chaude dans laquelle on avait fait cuire deux gousses d’ail. Au dernier
moment Antoine y ajouta une cuillerée à soupe d’huile de noix « pour tenir le corps », comme disait Mélanie. (Fr. Rey, La Haute Saison, 1984, 129.)
2. Il y aurait ces soupes passées, de fins légumes aromatisés d’huile d’olive, ou de
ventrèches*, ces crèmes de pois cassés, ces eaux bouillies froissées de blancs d’œufs avec la pointe de basilic. (R. Chabaud, Un si petit village, 1990, 153.)
3. C’était l’heure d’allumer la cuisinière, et [de] préparer cette fameuse soupe que
le papé* trouvait si bonne faite par mes soins. Evidemment, c’était autre chose qu’une eau bouillie, car j’y adjoignais un bon morceau de beurre et je faisais revenir la cèbe*. (P. Chevrier, La Haute-Bigue, 1996, 74.)
— Au sing. à valeur générique.
4. Très populaire aussi en Vivarais[,] cette « eau bouillie » dont le Midi a fait l’aigo boulido : eau, sel, une ou deux gousses d’ail. Laissez bouillir un moment. Coupez des tranches
de pain dans la soupière et les arroser de bonne huile d’olive. Versez l’eau bouillante
dans la soupière. C’est simple, vous le voyez. (Ch. Forot, Odeurs de forêt et fumets de table, 1987, 55.)
5. L’eau bouillie était et reste encore chez nous le remède miracle pour vous remettre en état après
une journée de fête. C’est très simple : on fait bouillir un litre d’eau avec du sel,
on coupe en rondelles un bel oignon, certains mettent des gousses d’ail, et on laisse
cuire le tout un bon quart d’heure. Le bouillon et les oignons ou aulx sont versés
dans une assiette creuse, sur de fines tranches de pain. (M. Fouriscot, Marie la dentellière, 1987, 71.)
□ Dans un énoncé définitoire ordinaire.
6. Elle vit alors les convives saisir leur fourchette et se mettre à pétrir ensemble
les tranches de fromage et les taillons [= morceaux coupés] de pain. Les uns et les
autres se ramollissaient, se mariaient intimement, produisaient un mélange onctueux
et filant. […] / […] Quand chacun eut bien touillé ensemble le fromage et le pain,
la soupe fut assez consistante pour être puisée à la fourchette. Zéna trouva la sienne
à son goût, mais refusa d’en prendre davantage, malgré le proverbe patois que lui
servit la vieille :
– Faut te nourrir, ma poulette. Aigo belido salvo lo vidoa. – L’eau bouillie sauve la vie, traduisit Céleste. Pour nous, l’eau bouillie, c’est la soupe. (J. Anglade, La Soupe à la fourchette, 1996 [1994], 43.) a Pour divers autres dictons occitans, v. ALMC 1158*.
■ encyclopédie. La composition de cette soupe, facile et rapide à préparer, est variable comme on
le voit à travers les exemples ci-dessus : le bouillon est souvent parfumé de sauge,
de laurier, de basilic ou de thym et enrichi d’huile d’olive ; il peut être agrémenté
de blanc d’œuf, épaissi de tranches de pain et de fromage. Il arrive, lorsque l’on
s’éloigne de Provence, que l’ail soit remplacé par l’oignon (v. GononPoncins 1984 ;
MazaMariac 1992 ; FréchetAnnonay 1995 ; QuesnelPuy 1995 ; FréchetDrôme 1997)a ou le poireau (GononPoncins 1984) ; dans ce cas, le beurre remplace l’huile d’olive.
Parfois, cette soupe ne comporte aucun légume : « Une eau bouillie, c’est vite prêt : tu fais bouillir de l’eau avec une pincée de sel, tu y ajoutes
du pain ou des biscottes et du lait » (FréchetMartVelay 1993)b.
a V. encore H. Pourrat, Gaspard des montagnes, 1931, dans ChambonÉtudes 1999, 119 : « une eau bouillie à l’oignon ».
b Cf. ALMC 1159* : « L’eau bouillie est faite d’un bouillon sans viande ni légumes, simplement salé et beurré. »
◆◆ commentaire. Attesté dep. ca 1800 dans le français du Gard (« aïgo-boulido, s.f. un potage ou une soupe à l’ail ou à l’eau simplement, et non, une eau-bouillie,
comme tout le monde dit ici » AnonymeHippolyteF) ; 1802 (« eau-bouillie ou aillade, potage à l’ail, ou potage à l’eau » VillaGasc) ; 1872 « […] ce qu’on appelle eau bouillie, à Tarascon, c’est quelques tranches de pain noyées dans l’eau chaude, avec une gousse
d’ail, un peu de thym, un brin de laurier » A. Daudet, Tartarin de Tarascon, Frantext). Ce calque d’occ. aïgo boulido (dep. 1756, Sauvages, et lui-même passé en français de Provence dep. 1897, J.-B. Reboul,
La Cuisinière du Midi, v. HöflerRézArtCulin) s’est diffusé dans une aire compacte du Sud-Est ; il n’est
pas pris en compte par la lexicographie générale.
◇◇ bibliographie. AnonymeHippolyteF ca 1800 ; MichelDaudet ; Brun 1931 dans la définition de aiguo boulido ; GononPoncins 1984 « courant, tous » ; MartelProv 1988 ; CampsLanguedOr 1991 « Gard, Lozère » ; BoisgontierMidiPyr 1992 ; CouCévennes 1992, comme définissant de aïgue-boulida ; MazaMariac 1992 ; FréchetMartVelay 1993 « usuel à partir de 40 ans, connu au-dessous » ; FréchetAnnonay 1995 « globalement attesté » ; QuesnelPuy 1995 ; MazodierAlès 1996 ; FréchetDrôme 1997 « inconnu à Anneyron, globalement attesté ailleurs » ; PlaineEpGaga 1998 eau boulie « presque disparu » ; HöflerRézArtCulin ; ChambonÉtudes 1999 (Pourrat, Gaspard des montagnes) ; aj. à FEW 25, 67a, aqua.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Ariège, Aveyron, 100 % ; Tarn-et-Garonne, 65 % ; Tarn, 35 % ;
Haute-Garonne, 25 % ; Lot, 0 %. EnqCompl. 1999. Taux de reconnaissance : Gard, 80 % ; Var, 40 % ; Hérault, 15 %.
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