estrasse n. f.
〈Surtout Hautes-Alpes, Provence, Gard, Hérault, Ardèche (Privas)〉 pop.
1. "tissu déchiré, pièce d’étoffe en mauvais état ; vieux vêtement plus ou moins déchiré". Stand. chiffon, guenille. Synon. région. gueille*, patte*, petas*, peille*. – D’où sors-tu cette estrasse que tu t’es mise sur le dos ? (MédélicePrivas 1981). Donne-moi une estrasse, je vais nettoyer ma mobylette (GermiLucciGap 1985 ; GermiChampsaur 1996).
1. – Attendez ! Attendez ! Vous allez salir. J’apporte des estrasses… (Y. Gibeau, Et la fête continue, 1988 [1950], 13.)
2. […] je me sentais comme une estrasse mouillée, serrée autour de la poitrine sans en savoir expliquer le pourquoi. (Th.
Monnier, Madame Roman, 1998 [1957], 93.)
3. Méu est sorti du bar, affublé d’une vieille robe noire à pois blancs, une estrasse, avec un ruban rose piqué dans une de ses mèches. (Cl. Courchay, Quelque part, tout près du cœur de l’amour, 1987 [1985], 23.)
4. « Il t’a trouvée rigolote, hier […]. Rigolote mais mal fringuée… et je voudrais pas
qu’à cause de trois estrasses il te prenne pour un boudin ! […]. » (Ch. Roudé, Rue Paradis, 1987 [1986], 62.)
5. Le minot* il aime bien s’asseoir dans sa rue, sur le pas de sa porte, il écoute chanter la
vieille Marie qui promène toujours avec elle un joli petit bouquet de fleurs. Vêtue
de quelques estrasses elle fredonne en regardant le ciel. (É. Boissin, Le Minot, 1988, 72.)
6. Je l’ai jetée comme un sac d’estrasses. Elle a ricoché sur le trottoir avant d’atterrir dans le ruisseau. (Cl. Courchay,
Chronique d’un été, 1990, 132.)
7. Et quand j’avais cinq ans, et qu’elle en avait sept, quand on s’amusait, moi je faisais
la cuisine ou le ménage. Elle, elle se mettait une vieille estrasse sur les épaules, des boîtes de sardines aux pieds pour faire les souliers à talons
hauts, et elle faisait la dame. (R. Bouvier, Tresse d’aïet, ma mère, 1997 [av. 1992], 61.)
8. […] leur toile [à matelas] à force de la rapetasser c’est devenue [sic] une véritable estrasse ! (G. Ginoux, Gens de la campagne au Mas des Pialons, 1997, 137.)
2. Au fig. "individu méprisable". Stand. pop. salaud. Synon. région. bordille*.
9. Depuis des mois, pour elle, il se tuait au travail, il avait même fait copain avec
cette estrasse de Cancerello afin de pouvoir lui soutirer des informations […]. (P. Cauvin, Rue des Bons-Enfants, 1990, 291.)
10. Mes voisins du dessus, ceux qui habitent juste en face de la mère de Milhoud, c’est
deux estrasses de première… (Ph. Carrese, Trois jours d’engatse, 1995, 70.)
11. Elle se jette sur Rudy et commence à le rouer de coups de poing en hurlant à nouveau.
Ils se retrouvent au sol à se déchirer comme deux estrasses. (Ph. Carrese, Filet garni, 1996, 110.)
12. – Moi aussi, dit Florida, j’ai essayé la table tournante, dans le temps, pour causer
à M. Germain […]. Eh* bé de même, je suis tombé sur une estrasse qui s’est mise à me tenir des gros mots, que je te l’ai envoyée au bain vite fait,
cette estrasse, pauvre M. Germain qui était la distinction faite homme. (D. Van Cauwelaert, La Vie interdite, 1999 [1997], 281-282.)
— Comme terme d’adresse.
13. – Salope ! Et celle-là, tu la veux, celle-là !
– Tiens, encore une… Pourquoi tu te cachais… Estrasse ! Tiens ! Prends ça ! Tu vas nous le payer ! (S. Valletti, Pourquoi j’ai jeté ma grand-mère dans le Vieux-Port, 1997 [1995], 66.) ■ remarques. 〈Provence, Gard, Hérault〉 pop. s’estrasser (de rire) v. pron. "rire abondamment, sans pouvoir se retenir". Stand. fam. crever/ mourir/se tordre de rire. Synon. région.s’espoutir* de rire. « On faisait aussi des farces. […] et on s’“estrassait” tous » (L. Chaleil, La Mémoire du village, 1989 [1977], 137-138) ; « […] il n’en avait dit mot à personne et surtout pas à Clorinde qui se serait estrassée de rire […] » (P. Magnan, La Maison assassinée, 1984, 209) ; « Et moi, je suis allée à l’école comme ça, avec ma tresse d’ail autour du cou ! / La
maîtresse elle a rien dit, mais tous les autres petits, ils s’estrassaient, c’est normal » (R. Bouvier, Tresse d’aïet, ma mère, 1997 [av. 1992], 60-61) ; « – […] je me suis pris une beigne, je te dis pas. Elle m’a traité de vieux dégueulasse,
tout le monde s’estrassait » (Cl. Courchay, Quelqu’un, dans la vallée…, 1998 [1997], 178). « – […] c’est un vrai braco, ton collègue, il m’a fait une brochette de rigaous [= rouges-gorges] terribles. C’est interdit mais on s’est régalés. Et en plus, il
me fait estrasser » (R. Merle, Treize reste raide, 1997, 232). □ Avec un commentaire métalinguistique incident. « Maintenant, c’est plus pareil, ça va trop vite, on n’a plus le temps de “s’estrasser” (rire) comme avant […] » (P. Brun, Raimu mon père, 1980, 119). – BrunMars 1931 ; BouvierMartelProv 1982, 89 ; BouvierMars 1986 ; BlanchetProv
1991 ; FauconHérault 1994 ; CovèsSète 1995 ; ArmKasMars 1998 ; RoubaudMars 1998, 62 ;
BouisMars 1999 ; aj. à FEW 3, 331a, *extractiare.
◆◆ commentaire. Caractéristique d’une aire compacte du sud-est de la France, estrasse est un emprunt à aocc. estrassa "rebut" (Provence 1397, Pans), pr. estrasso "chiffon, vieux linge" (1723, PellasAix), lui-même d’aocc. estrassar "déchirer" (dep. 1375, Pans), qui n’est pas pris en compte par la lexicographie générale. L’emploi
figuré a été signalé en argot en 1928 (Lacassagne), mais il est sans continuateur
dans les dictionnaires d’argot et de français populaire de la seconde moitié du 20e siècle.
◇◇ bibliographie. BrunMars 1931 ; GrimaudBoules 1968 ; RLiR 42 (1978), 171 (Provence) ; MédélicePrivas
1981 « terme courant, de registre argotique » ; GermiLucciGap 1985 ; BouvierMars 1986 ; MartelProv 1988 ; CaprileNice 1989 (sens 1) ;
BlanchetProv 1991 ; ArmanetBRhône 1993 ; CovèsSète 1995 ; GermiChampsaur 1996 ; ArmKasMars
1998 ; RoubaudMars 1998, 48 et 62 ; BouisMars 1999 ; FEW 3, 331a, *extractiare.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône, Var, 80 % ; Hautes-Alpes,
75 % ; Alpes-de-Haute-Provence, Vaucluse, 50 %. EnqCompl. 1999. Taux de reconnaissance : Alpes-de-Haute-Provence, 100 % ; Gard, 60 % ; Hérault, 50 %.
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