fruitière n. f.
1. 〈Surtout Doubs, Jura, Haute-Savoie, Savoie, Ain〉 usuel "coopérative de village où se fabrique le fromage". Stand. fromagerie. Synon. région. chalet*. – Fruitières coopératives (Le Monde, 18 février 1998, 10).
1. Après le virage de la fruitière, le traîneau s’arrêta lentement le long du trottoir. (R. Vuillemin, La Chasse aux doryphores, 1989 [1973], 160.)
2. En 1974, une quinzaine de personnes vont, chaque jour, travailler à Genève. Notre
fruitière devient un foyer de ski de fond. Les skieurs disposent déjà de deux remonte-pentes.
De nouvelles résidences, principales ou secondaires, s’élèvent de tous côtés. On n’échappe
pas à « l’évolution », au « tourisme », au « développement ». (DuprazSaxel 1975, « Avant-propos à la seconde édition », v.)
3. Qu’il s’agisse de l’antique aménagement de la source pour y faire boire le bétail,
y laver le linge, ou de la construction de la fruitière pour la société de montagne ou que ce soit encore pour la construction d’un pressoir
ou d’un four, chaque famille participait, dans la mesure de ses moyens, aux différentes
opérations de déblai, de transport de pierres, de coupe et de débitage de bois. (H. Raulin,
dans Chr. Abry et al., Les Sources régionales de la Savoie, 1979, 112.)
4. L’étranger de passage aurait pu s’étonner tout au plus de découvrir que les deux villages
ne faisaient pas partie d’une union fromagère – dans un pays que l’on tient souvent
pour la capitale de la coopération agricole – et que chacun d’entre eux avait conservé
sa « fruitière », le bâtiment où les fermiers fabriquent leur fromage (le fameux Comté) en commun.
(P. Bonte, Histoires de mon village, 1985 [1982], 150.)
5. […] fruitières bugistes [= du Bugey] (où se fabrique le cinquième de la production nationale d’emmental
et de comté) […]. (Pays et gens de France, n° 39, l’Ain, 17 juin 1982, 15.)
6. Le comté, fabriqué dans les « fruitières » (fromageries communautaires), tient l’une des premières places parmi les fromages
français, à côté des prestigieux roquefort et cantal, notamment. (Pays et gens de France, n° 88, le Jura, 30 juin 1983, 16.)
7. Avec sa municipalité [Gresse-en-Vercors (Isère)], M. Freydier a misé sur le tourisme,
surtout depuis que la « fruitière », qui produisait jusqu’à 11 tonnes de fromage chaque année, a fermé plus d’un siècle
après sa naissance en 1881. (Le Monde, 27 mars 1987, 26.)
8. La production du gruyère de Comté est une des grandes industries nourricières du pays.
À la base de cette fabrication se trouve la « fruitière », coopérative formée par les producteurs de lait d’un ou plusieurs villages. C’est
là un des traits les plus anciens et les plus caractéristiques de la vie jurassienne.
En 1264, on fabriquait déjà, sur les hauts plateaux du Doubs, du « froumage de fructères » (fromage de fruitière). (Guide Vert. Jura Franche-Comté, 1990, 24.)
9. À la fromagerie de Trépot, dans le Doubs […]. La « fruitière » a été construite en 1818. […] Elle est restée en service jusqu’en 1977. Conservée
en l’état, elle fait désormais partie de la « chaîne des musées » de l’économie et du travail en Franche-Comté. (L’Est républicain, éd. Nancy, 17 août 1993, 120.)
10. […] comté, fromage réputé et d’appellation d’origine contrôlée, toujours fabriqué
en majorité dans des « fruitières », ces petites unités artisanales installées au cœur des villages du Haut-Doubs. (L’Est républicain, éd. Nancy, 19 septembre 1996, 412.)
11. […] la Fruitière de Thoiria (Jura) dont installations et bâtiments datent de 1837 […]. (Le Monde, 30 janvier 1997, 6.)
12. Les fruitières du Jura, créées au xive siècle par des producteurs de lait pour fabriquer en commun du comté, constitueraient
la plus ancienne expérience coopérative sur notre sol. (Le Monde, 29 octobre 1997, 3.)
13. Laurent Dupraz est agriculteur à Minzier (Haute-Savoie), au cœur du Vuache. Il préside
aussi la fruitière du village, une des rares fruitières de la région à avoir été sauvée. (J.-N. et Ph. Deparis, La Place du village, 1998, 110.)
14. On compte aujourd’hui environ deux cents fruitières dans la région [Franche-Comté], qui produisent quelque 40.000 tonnes de comté, première
appellation d’origine contrôlée française en volume. Ce fromage de terroir et de fruitières se distingue par sa fabrication de type artisanal […]. En Europe, si l’on met à part
la Suisse, encore couverte de fromageries, il n’y a plus guère que les régions de
Parme et de Franche-Comté, pour posséder un tel réseau de fruitières de village. (Les Cahiers de L’Est républicain, éd. Nancy, 1er septembre 1998, 12.)
V. encore ici ex. 15 ; s.v. chalet, ex. 12 et 16.
— En emploi adj. société fruitière.
15. Tous les exploitants adhèrent à la société fruitière qui est gérée par un comité. Le lait mis en commun est vendu pour l’année au fruitier* qui le travaille pour son compte. […] La première fruitière établie à Saxel, vers
1890, était une fruitière privée. (DuprazSaxel 1975, 89.)
— Souvent dans les syntagmes aller à la fruitière (DuprazSaxel 1975, 89), porter le lait/les bidons à la fruitière.
16. À cette heure-là, beaucoup avaient déjà fini de traire et portaient les bidons à la fruitière. (B. Clavel, L’Espagnol, 1968 [1959], 278.)
17. Les hommes partaient faucher, les femmes restées à la maison trayaient les vaches,
portaient le lait à la fruitière. (Histoires et Traditions du Doubs, 1982, 178.)
18. Autrefois, chaque famille portait son lait à la fruitière, coopérative laitière gérée par un fruitier*, qui achetait le lait aux sociétaires. (Pays et gens de France, n° 40, la Haute-Savoie, 24 juin 1982, 5.)
19. La journée commence, et jusqu’à l’instant de gagner ta chambre, tu n’auras aucun répit.
Le ménage, les repas, les vaisselles, le linge à laver et repasser, l’eau à aller
chercher […], les lourds bidons de lait à porter à la « fruitière », les lapins, la volaille, les cochons… (Ch. Juliet, Lambeaux, 1995, 12-13.)
20. Ils avaient aidé Jean à traire, à nettoyer l’écurie*, à conduire le lait à la fruitière […]. (M.-Th. Boiteux, Le Secret de Louise, 1996, 40.)
2. "local dans lequel on fabrique le fromage".
21. Après la traite du soir, Hippolyte rentra au chalet* avec les hommes. Le froid survient vite en altitude, surtout en fin de saison […].
Ils n’étaient pas fâchés de retrouver la tiédeur du logis, une pièce rudimentaire
aux murs épais et bas, où flottait en permanence une âcre odeur de lait caillé émanant
de la fruitière contiguë et de la cave à fromage. (J. Rosset, Les Porteurs de terre, 1990, 110.)
■ remarques. usuel fruitier n. m. "celui qui est en charge d’une fruitière". Stand. fromager. « Le bâtiment [de la fruitière*] appartient à la commune ; on y fait le beurre et le fromage, le fruitier loge dans l’appartement » (DuprazSaxel 1975, 89) ; « Autrefois les paysans craignaient le fruitier parce qu’il était doué de pouvoirs “magiques”, parce qu’il était capable de transformer la matière » (S. Guigon, Les Fruitières à comté, 1996, 63). V. encore s.v. chalet, ex. 3 et fruitière, ex. 16 et 19. En alternance avec fromager : « […] l’homme tomba sans connaissance. C’était un matin où il conduisait son lait chez
le fruitier. L’âne continua sa route […] et arriva seul devant le chalet*. Le fromager déchargea les bidons puis […] inquiet [… il alerta ses voisins et ils
se mirent à la recherche du paysan » (R. Bichet, Contes de Mondon et d’autres villages comtois, 1975, 129). – Attesté dep. 1616 dans le français de Suisse romande (Pierreh) ; SchneiderRézDoubs
1786 ; LequinioJura 1800 ; PyotJura 1838, 466 « La fabrication des fromages est une profession fort commune ; selon le sexe, on donne
le nom de fruitier ou de fruitière à la personne qui l’exerce » ; MonnierDoubs 1859 ; ConstDésSav 1902 ; CollinetPontarlier 1925 ; BoillotGrCombe
1929 ; DuraffVaux 1941 ; ZumthorGingolph 1962, 260 s.v. fruitière ; DuprazSaxel 1975 ; MartinAoste 1984 ; DuraffHJura 1986 « usuel » ; ColinParlComt 1992 ; DuchetSFrComt 1993 ; GagnySavoie 1993 ; RobezMorez 1995 ;
ChambonÉtudes 1999, 248 dans la métalangue ; DSR 1997 ; FEW 3, 825b, fructus.
◆◆ commentaire. Caractéristique d’une aire compacte, à cheval sur l’est de la France (du Doubs à la
Savoie) et la Suisse romande (dep. le 16e s.), ce type lexical est attesté en français du Doubs dep. 1272 (« item partem meam de la forest de la Sarray, partem meam des corvees et des fruitieres
de Deserviler et de Livier » Prost et Bougenot, Le Cartulaire de Hugues de Chalon, 1904, cité dans M. Vernus, Le Comté, Lyon, 1988, 29 ; déjà en 1264 « et le droit que je avoie et devoie es fruicteries et en autres choses » ibid.). Mais le sens est ambigu dans les textes des 13e et 14e siècles, où il peut désigner soit le local où l’on fait le fromage soit un pâturage,
et « leur examen attentif n’apporte pas la preuve précise et attendue de l’existence de
la fruitière associative » (M. Vernus, op. cit., 31). Le sens "installation d’été en altitude, en bois, comprenant une cuisine et un local de fabrication
du fromage" est attesté dep. 1441 (« faire une fruitière sous le cens de tous les fromaiges qui se feront de tout le bestail
de la communauté et villaige de Treley en deux jours d’une chacune année », cité dans M. Vernus, op. cit., 33, qui glose : « Le droit de location s’élevait donc à la production de fromage de deux jours ») ; le sens de "société de producteurs de lait" est explicite dep. 1789 (v. Pierreh) et le syntagme « fruitières d’associations » dep. 1800 (cité dans M. Vernus, op. cit., 69). Comme fruitier, le terme est dérivé sur fr. fruit "produit de l’industrie laitière, notamment fromage" (dep. 1597, v. Pierreh). Pris en compte par la lexicographie générale dep. LittréSuppl
(« Franche-Comté »), il est habituellement enregistré dans les dictionnaires généraux contemporains
avec des indications diatopiques vagues ou peu adéquates : GLLF « en certaines régions » ; TLF « région. » ; Rob 1985 « régional (Suisse, Savoie, Franche-Comté) » ; NPR 1993-2000 (« région. (Suisse) ») ; Lar 2000 sans marque.
◇◇ bibliographie. MonnierDoubs 1859 ; ConstDésSav 1902 ; BoillotGrCombe 1929 ; LarGastr 1938 ; DuraffVaux
1941 dans la métalangue ; ZumthorGingolph 1962, 260 ; DuprazSaxel 1975, 89 (et passim dans la métalangue) ; RLiR 42 (1978), 173 (Isère, Savoie) ; DuraffHJura 1986 « régionalisme inconscient » ; GuichSavoy 1986 ; RouffiangeAymé 1989 ; ColinParlComt 1992 (avec cit. de M. Aymé,
1943) ; DuchetSFrComt 1993 ; GagnySavoie 1993 ; RobezMorez 1995 ; DSR 1997 (avec bibliographie ;
aj. LengertAmiel) ; ChambonÉtudes 1999, 248 ; aj. à FEW 3, 825b, fructus.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96 : Ø.
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