magnin n. m.
I. [Désigne une personne] vieilli
1. 〈Saône-et-Loire, Côte-d’Or (sud), Lorraine, Franche-Comté, Haute-Savoie, Provence〉 "chaudronnier, étameur ambulant".
1. Un magnin était venu à Doucier [Jura] avec son âne qui portait sur son bât tout son atelier
ambulant. (R. Bichet, Contes de Mondon et d’autres villages comtois, 1975, 125.)
2. Mais ma mère m’interdisait cette façon de cheminer, c’était celle des magniens, des colporteurs, des compagnons-passants et autres, qui se déplaçaient ainsi depuis
des millénaires, et pour lesquels on fermait les portes des maisons, même les lucarnes,
et on rentrait les filles. (H. Vincenot, La Billebaude, 1978, 172.)
3. Les métiers ambulants étaient légion […]. Il y avait des rémouleurs et les ramoneurs
venus de Savoie ; les rétameurs et magnins, surtout auvergnats : « l’alluminium [sic] les a tués » m’a dit un vieillard. (M. Sauvage, « Les travaux & les jours dans les Vosges saônoises », Barbizier. Bulletin de liaison de folklore comtois, n.s., n° 9, décembre 1980, 262.)
4. C’est ainsi que le « magnin » venait depuis Châtenois, pour chercher de maison en maison les objets du ménage :
chaudrons, casseroles, cuillères, fourchettes et parapluies cassés, etc., qui avaient
besoin d’être rebouchés, soudés, rétamés ou réparés. (L. Renoux, Un village alsacien-comtois aux années vingt, 1984, 80.)
5. Le magnin : on disait aussi le rétameur. Il réparait les ustensiles de cuisine, les parapluies,
les filtres à cafetières, les bouillotes [sic]. (M. Raclot, Franche-Comté d’autrefois, 1987, 80.)
6. J’ai trop admiré les faucheurs et les maçons, le bourrelier qui réparait à la maison
le harnais de notre âne, et le magnin qui transformait nos vieilles cuillères en une superbe argenterie, pour ne pas garder
la nostalgie de leurs gestes précis et le désir de les imiter. (J. Petit, Le Chant de mon enfance, 1990, 193.)
7. Marie a vécu toute sa vie dans sa petite maison de la rue Haute [à Frangy, Haute-Savoie],
cette rue […] qui connut en son temps une activité paysanne et commerçante importante.
On y comptait en effet pas moins de 4 paysans et[,] de la pharmacie à la Margande[,]
on trouvait un drapier, un cordonnier, un électricien, un « magnin », un bourrelier. (Le Dauphiné libéré, éd. Annecy et Rumilly, 24 février 1998, 9-74D.)
8. Le grand-père paternel […] quitte sa belle vallée piémontaise et franchit à pied les
Alpes pour gagner l’est de la France à la recherche d’un travail. / Il a emmené avec
lui son savoir-faire d’étameur et s’installe à Montreux-Château [Territoire-de-Belfort].
Devenu le « magnien », il va de village en village, étamant casseroles et bidons […]. (Le Pays, 12 octobre 1998, 22.)
V. encore ici ex. 10.
□ En emploi métalinguistique ou autonymique.
9. Tous l’appelaient le « Magnin », ce qui, dans ce pays [Alpes-de-Haute-Provence], veut dire « rétameur ». (M. Scipion, Le Clos du roi, 1980, 25.)
10. Mais le plus pittoresque de ces passants était le rétameur que nous appelions « le magnin ». Pourquoi « le magnin » ? Allez donc le savoir !… Un peu plus tard, j’ai cherché ce mot dans le dictionnaire
[…]. Mais en vain. Ces dictionnaires, ils ne savent pas tout ! (J. Petit, Le Chant de mon enfance, 1990, 43.)
■ graphie. En dehors de la graphie retenue en vedette, on relève parfois, à l’époque contemporaine,
magnien (v. ici ex. 2 et 8).
■ variantes. magnan (VurpasMichelBeauj 1992 ; VurpasLyonnais 1993), maignin (ColinParlComt 1992).
■ remarques. Le terme s’emploie dans le discours sur le passé, ces métiers ayant progressivement
disparu dans la première moitié du 20e siècle.
2. 〈Lorraine, Franche-Comté〉 péj. "bon à rien, individu peu recommandable". Les gens et surtout ses voisins, ne peuvent pas le voir… C’est un sale magnin (DromardDoubs 1991).
□ En emploi métalinguistique.
11. Le ferblantier-rémouleur passait dans les maisons pour récupérer tous les ustensiles percés par la rouille,
les outils brisés, les ciseaux à aiguiser […]. Il disposait d’une vieille torpédo pour faire ses livraisons, ne faisait que des toilettes espacées et passait pour
un magnin, ce terme très équivoque de notre patois jurassien qui évoque, tout à la fois, le
romanichel, le petit artisan métallier, mais également celui qui n’est pas très empressé
au travail. (J. Boichard, Quand le village marchait en sabots, 1989, 120.)
3. Par ext. 〈Ain (Mionnay)〉 "homme à tout faire, bricoleur". Synon. région. Michel* Morin.
12. C’est lundi. Jour sans vie. Chaque lundi, on croirait que le feu du dimanche a brûlé
pour toujours la vie de l’auberge. Seul le « magnin » (celui qui sait tout faire) circule à travers la maison déserte comme à travers un
paquebot en cale sèche, à la recherche d’un joint de robinet qui fuit, d’une ampoule
à changer, d’un placard à repeindre. (F. Deschamps, Croque en bouche, 1980 [1976], 183.)
II. [Désigne un inanimé concret]
1. 〈Lyonnais〉 rural "gros nuage noir menaçant". Avec ces gros magnins, il va sûrement pleuvoir (VurpasLyonnais 1993).
2. 〈Doubs, Jura〉 rural "nappe de brouillard nuisible pour les cultures, notamment pour la vigne".
13. « Le magnin a passé dessus » dit-on d’une vigne malade […]. (R. Bichet, Contes de Mondon et d’autres villages comtois, 1975, 177.)
3. 〈Territoire-de-Belfort, Doubs, Haute-Saône〉 fam. "mucosité nasale durcie". Stand. fam. crotte de nez. – Mouche-toi ! Tu as un magnin qui te sort du nez (DromardDoubs 1991).
14. À côté [dans une cage d’immeuble], ils me collent les magnins de nez sur la glace de l’ascenseur ! (Gardienne d’immeuble, env. 55 ans, Belfort, 2 mars
2000.)
◆◆ commentaire.
I.1. Au sens de "chaudronnier, étameur ambulant", magnin (probablement issu d’un lat. vulg. *manianus "artisan") est largement répandu dep. l’afr. sous un grand nombre de formes, principalement
dans la moitié nord de la France (v. Gdf s.v. maignan ; aj. 1450 « Perault et plusieurs autres maignens estoient et souppoient a Gençay [Poitou] ensemble » Lettre de rémission, dans AHP 32, 1903, 165 ; le type aussi est attesté en 1519 en
mfr. de Montbéliard, v. R. Cuisenier, « La vie d’une communauté vers l’an 1500. Les pauvres et l’hôpital de Montbéliard », Bull. et mém. de la Soc. d’émulation de Montbéliard 82 (1986), 143 ; maignen dans une farce (1532-1547), « probablement de l’Ouest, au nord de la Loire et au sud de la Normandie » Chambon FrPréClass 6, 138). Entré dans la lexicographie dep. Oud 1660 (magnan, « en plusieurs régions » Ménage 1694-Trév 1771 ; maignen Trév 1752-1771 ; maignier « dans quelques provinces » Littré ; magnin Lar 1873), mais aujourd’hui absent des dictionnaires généraux, il est conservé à
l’époque moderne et contemporaine : en Bourgogne (CunissetDijon 1889 ; FertiaultVerdChal
1896 ; Mâcon 1903-1926 magnien ; LarocheMontceau 1924 ; MarMontceau ca 1950 ; RobezVincenot 1988 magnien ; TavBourg 1991 « très vivant en Saône-et-Loire et sud de la Côte-d’Or » ; ValMontceau 1997), en Lorraine (LanherLitLorr 1990 s.v. caramagnâ), à Belfort (CorbisBelfort 1879), en Franche-Comté (BrunFrComté 1753 ; SchneiderRézDoubs
1786 ; MonnierJura 1824 ; MonnierDoubs 1859 ; ContejeanMontbéliard 1876 s.v. maignin ; BeauquierDoubs 1881 ; VautherinChâtenois 1896 ; CarrezHJura 1906 ; CollinetPontarlier
1925 ; BoillotGrCombe 1929 ; GarneretLantenne 1959 ; GrandMignovillard 1977 ; DelortStClaude
[ca 1977] ; BarreyBreuchin 1978 ; BichetRougemont 1979 ; GrandjeanFougerolles 1979 ;
DuraffHJura 1986 « très usuel » ; DromardDoubs 1991 et 1997 ; ColinParlComt 1992 « s’employait encore récemment dans la région de Croux-les-Usiers ou de Baume-les-Dames » ; RobezMorez 1995 « mot ancien, mot-souvenir »), dans la région de Lyon et de sa zone d’influence (DuraffVaux 1941 ; PuitspeluLyon
1894 ; VachetLyon 1907 ; MiègeLyon 1937 « peu courant » ; « Un “magnin” en français local, é mànâeâ en forézien est un marchand ambulant » (M. Gonon, « Les noms de personnes à Montbrison en 1789 d’après le rôle de tailles », Bulletin de la Diana 27/4, 1939-1940, 29 n. 10 ; RLiR 42 (1978), 176 ; BrussonCordon 1982, 225 ; GuichSavoy
1986 ; VurpasMichelBeauj 1992 « bien connu au-dessus de 40 ans, en déclin rapide au-dessous » dans le Beaujolais viticole, « attesté au-dessus de 40 ans » dans le Haut Beaujolais ; VurpasLyonnais 1993 « Beaujolais, Nord Dauphiné » ; FréchetMartAin 1998 « globalement peu attesté » ; MichelRoanne 1998 « bien connu au-dessus de 60 ans ») et en Provence (MartelProv 1988) ; il a été également relevé en Suisse romande (Pierreh).
Dans la plupart de ces régions, il est également bien attesté dans les patois (ALB
1521, surtout en Saône-et-Loire ; ALFC 967, type dominant partout ; ALLR 1015, dans
le sud-est du domaine ; ALLy 1165, type dominant).
2. est attesté de façon sporadique en Lorraine (LanherLitLorr 1990) et en Franche-Comté
(déjà BeauquierDoubs 1881 ; DromardDoubs 1991 et 1997). 3 ne semble pas pris en compte par la lexicographie ni générale ni régionale. – Sous
diverses variantes, le mot est bien attesté comme patronyme (v. M.-Th. Morlet, Dictionnaire étymologique des noms de famille s.v. Magnien).
II. Par analogie du précédent (cf. DrozBesançon 1920 « le même terme désignait autrefois un gros nuage noir, mâchuré comme le magnin »), le sens "gros nuage noir" est attesté en Lyonnais (dep. PuitspeluLyon 1894 ; VurpasLyonnais 1993 ; SalmonLyon
1995 ; FréchetMartAin 1998 « globalement peu attesté »)a ; le sens 2 relevé en Franche-Comté dep. 1824 (MonnierJura), y est régulièrement enregistré depuis
cette date : PyotJura 1838, 448 « la brûlure des feuilles par un soleil trop ardent après une pluie ou un brouillard
et qu’on appelle magnin »b ; MonnierDoubs 1859 ; BeauquierDoubs 1881 ; VautherinChâtenois 1896 ; DuraffHJura
1986 ; ColinParlComt 1992 ; le sens 3 est attesté de façon sporadique en Franche-Comté depuis la fin du 19e s. : ContejeanMontbéliard 1876 mégnin s.v. mignin ; BeauquierDoubs 1881 mégnin ; VautherinChâtenois 1896 ; BichetRougemont 1979 ; DromardDoubs 1991 et 1997 ; élèves
de 4e d’un collège belfortain en 1997 ; Ronchamp (Haute-Saône), témoignage oral de J. D. – ChambonÉtudes
1999, 228 ; FEW 6/1, 203a-204a, *manianus (y rattacher les formes du Doubs égarées ibid. 21, 316a, ‘mucus’).
a Cf. le ciel est noir comme un magnin (DromardDoubs 1991 et 1997) et, vieilli, il va tomber des magnins (cul nu) ("se dit devant un orage menaçant", BonNeuch 1867 ; PuitspeluLyon 1894 ; BoillotGrCombe 1929 ; ColinParlComt 1992 « avant 1949 »).
b Si le texte de Pyot ne comporte pas de coquille, magnin y désigne une maladie entraînant la brûlure, le noircissement des feuilles ; le sens de "brouillard" relèverait alors d’une métonymie.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance (au sens I.1) supérieur à 75 % en Franche-Comté.
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