murger, murgier n. m.
I. 〈Haute-Marne, Saône-et-Loire, Côte-d’Or, Franche-Comté, Savoie (Maurienne)〉 murger "tas constitué de pierres ramassées au fil des années dans les vignes et les champs
(synon. région. clapier*) ; mur dressé avec ces pierres, sans mortier".
1. L’herbe était sèche, très haute, craquait chaque fois qu’ils remuaient. Tout autour
d’eux, la nuit bruissait dans les murgers épais et les genêts. (B. Clavel, Malataverne, 1990 [1960], 24.)
2. Je vis qu’elle était saisie par la façon dont les maisons s’arc-boutaient solidement
au revers des murgers, par les belles proportions de ces bâtisses en pierre crues […]. (H. Vincenot, La Billebaude, 1978, 315.)
3. […] dans ces lopins de terre pauvre mais régulièrement fumée, débarrassée de ses mauvaises
herbes et de ses pierres (entassées aux murgers), on arrivait à faire pousser du bon seigle, de l’avoine, de l’orge (pas de blé)
et mieux encore les pommes de terre. (M. Sauvage, « Les Travaux et les jours dans les Vosges saônoises », Barbizier. Bulletin de liaison de folklore comtois, n. s. 9, 1980, 68.)
4. À Besançon, d’ailleurs, tout témoigne de la splendeur viticole des siècles passés :
au parcellaire et au bâti de la vieille ville s’ajoutent les « murgers » des collines, produit d’un épierrement séculaire, les caves et les escaliers extérieurs
de Battant et de la Boucle, le folklore de la Madeleine… (J. Boichard, dans J. Courtieu,
dir., Dictionnaire des communes du département du Doubs, t. 1, Besançon, Cêtre, 1982, 291.)
5. Les vacances s’achevaient avec la vendange. Dans le canton [= quartier] des vignes,
au « Buisson des Lièvres » entre quelques murgers patiemment entassés par des générations et des générations, les larges feuilles dentelées
et lobées commençaient à se marquer de rouille tandis que les grappes vertes du noha
[v. noah] semblaient ne pas vouloir jaunir […]. (J. Reyboz, Douceur d’automne, 1984, 112.)
6. On demeure confondu par le travail qui a consisté à dresser les énormes murgers de nos montagnes*. Ils restent comme autant de témoignages de l’opiniâtreté de nos ancêtres à vaincre
une nature hostile pour en tirer leur subsistance. (DuraffHJura 1986.)
7. Le bébé dormait paisiblement dans son panier, à l’ombre d’un buisson de noisetiers,
le long d’un « murger ». (J.-L. Clade, La Vie des paysans franc-comtois dans les années 50, 1988, 103.)
8. […] la silhouette traversa le chemin et, se jetant derrière le murger d’en face[,] disparut dans la nuit. (P. Arnoux, Les Loups de la Mal’Côte, 1991, 36-37 .)
9. Avant de commencer le travail [empierrement d’un chemin], il fallait trouver un murger [en note : tas de pierres arrachées à la terre et empilées à la limite des surfaces cultivables]
pas trop loin du chantier, d’accès facile, et composé de pierres faciles à casser.
(P. Gardot et S. Mandret, Hugier, d’une guerre à l’autre, 1999, 168.)
V. encore s.v. voir1, ex. 4.
□ Avec ou dans un commentaire métalinguistique incident.
10. Au cours des ans, les hommes durent extraire les pierres qui gênaient la culture ;
ils les amassèrent en des tas appelés murgers, puis, se révélant d’excellents bâtisseurs, construisirent des murs et des cabanes
de pierre à dôme circulaire sans jamais utiliser aucun matériau ni outil étranger
à la pierre. (L. Chapuis, Vigneron en Bourgogne, 1980, 26.)
11. […] « murgers », gros tas de pierres sorties des champs ou des vignes, au fil des siècles. (Pays et gens de France, n° 7, la Côte-d’Or, 5 novembre 1981, 6.)
12. Derrière les maisons, de petits murs de pierres sèches (murgers) délimitent les espaces cultivés jouxtant les pâtures […]. (L’Est républicain, éd. Belfort, 27 août 2000, 202 [Concerne les villages du plateau des Mille-Étangs
dans les Vosges saônoises].)
— les pierres vont toujours au murger prov. « qui se ressemble s’assemble ; chassez le naturel, il revient au galop » (ALCB 224*) ; « le sort favorise plutôt les riches que les pauvres » (DromardDoubs 1991).
II. 〈Haute-Savoie, Savoie〉 murgier "id.". Les murgiers, c’est nos anciens qui ont tout tiré de la terre, ici on dit que les
pierres naissent de la terre (GagnySavoie 1993).
◆◆ commentaire. I continue afr. et mfr. murgier, mot bien représenté dans Gdf (13e–15e s. ; les exemples demanderaient à être localisés), mais qui paraît n’avoir jamais
été ni pan-oïlique, ni parisien. La première attestation sûrement localisée (s’ajoutant
à celle de 1249, dans l’Aube [Gdf], qui concerne un topomyne) se trouve dans la Haute-Marne
(Langres 1260, « ou murgiés estoit entre duis champs » GigotDocHMarne, 128) ; le mot se lit ensuite chez le Rémois Guillaume Coquillart
(murje, selon la leçon proposée par J.-P. Chambon, « Mfr. monter sur le murier pour veoir plus loing : murier ou murjer ? », Le Moyen Français 33, 1993, 171, corrigeant Huguet et DiStefanoLoc s.v. murier), « peu après 1480 » (éd. M.J. Freeman, lxxxvi). En 1665, il est encore attesté dans l’Eure-et-Loir (Gdf) et dans le canton de Neuchâtel
(murgier, 1606 et 1698, au Locle ; Pierreh). Au 19e et au tout début du 20e siècle, on en relève encore des traces en dehors de son aire actuelle : dans la Beauce
(Gdf), dans la Meuse (1875, Theuriet [Bar-le-Duc], Frantext), dans le sud des Vosges (PutonRemiremont 1901), mais aussi au Sud-Est : Isère (1836,
Stendhal dans le Brulard, Duraffour MélMichaëlsson 1952, 126) et Savoie (ConstDésSav 1902, 275 et 279). Toutefois,
dans la seconde moitié du 20e siècle, la documentation fait apparaître murger comme replié dans le français d’une zone compacte du Centre-Est (cf. son emploi par
le Franc-Comtois Pergaud, 1901, Frantext)a et, d’autre part, en Maurienne (ici concurrencé par II). Sur son aire française actuelle du Centre-Est, murger s’oppose par la conservation de la voyelle originelle [y] de l’initiale, issue de
U, aux formes postérieurement évoluées des patois (vocalismes majoritairement différents,
[ø], [œ], [u], [e], dans cette zone ; v. ALCB 224, ALB 249, ALFC 168, ALJA 156)b. Le régionalisme conserve donc, de façon remarquablement unitaire, la forme phonique
et graphique qu’il présentait au moment de son passage des scriptæ régionales, abandonnées vers la fin du Moyen Âge, aux nouvelles variétés topolectales
du français moderne, tandis que les patois, anciens partenaires déclassés des scriptæ régionales continuant leur propre évolution dans la seule oralité, l’ont fait évoluer
de façon très morcelée. On peut donc estimer que murger est un régionalisme français de toujours. Sa fortune dans les dictionnaires généraux
des 19e et 20e siècles est diverse : Littré 1868 « provincial » ; Ø DG, GLLF TLF, NPR 1993-2000 et Lar 2000 ; Rob 1985 « régional ». – En revanche, frm. mergey, attesté en Haute-Marne (MulsonLangres 1822)c se signale, par sa conformité au traitement dialectal local (ALCB 224 pt 190) ; ALFC
168 pt 88, cf. aussi pt 72), comme l’éphémère affleurement d’un patoisisme. De façon
partiellement analogue, II, qui vit sur une aire séparée de l’aire principale de I et où il a pris aujourd’hui presque entièrement le dessus sur murger (sauf dans l’aire latérale que constitue la Maurienne ; v. supra), se dénonce de
ce fait, ainsi que par la date récente de sa première attestation (dep. 1902 seulement,
ConstDésSav 275 s.v. morjhi) et, surtout, par sa forme exhibant ‑ier après chuintante, au lieu de l’allomorphe traditionnel ‑er, lequel s’impose dans la graphie du français à partir du 17e s. (v. TLF 9, 1102), comme une réfection partielle récente de murger dont la finale s’explique par celles à yod non résorbé de certains patois savoyards
(ALJA 156 pts 47, 51, 54 ; cf. encore pt 70 [Isère])d.
a P. Moinot (1979, Frantext) en fait une utilisation littéraire.
b Selon les données d’ALJA 156, le correspondant de murger/murgier dans les parlers dialectaux (type d’ailleurs absent de la plus grande partie du département
de la Savoie) ne présente nulle part le vocalisme [y] dans l’initiale ; FEW 6/3, 229b le relève seulement dans l’Isère.
c Cf. aussi merger, « en Brie et en Basse Bourgogne » (Littré).
d Cette variante semi-patoisante est aussi attestée dans le français du canton de Neuchâtel
(La Chaux-de-Fonds, le Locle, Jura bernois) dep. 1868 (v. Pierreh) ; elle semble aujourd’hui
peu usitée (témoignage de Y. Greub).
◇◇ bibliographie. SchneiderRézDoubs 1786 murgier et murier ; MulsonLangres 1822 mergey, la pierre va toujours au mergey ; A. Rousset, Dictionnaire géographique […] des communes de la Franche-Comté […]. Département du
Jura, t. 1, 1853, 37 (« murgers, 1h 48a ; broussailles, 69a ») ; MonnierDoubs 1859 ; BeauquierDoubs 1881 ; PutonRemiremont 1901 "éboulis de pierres et de roches" ; ConstDésSav 1902 ; CollinetPontarlier 1925 ; DoillonComtois [1926-1936] ; MarMontceau
ca 1950 ; GrandMignovillard 1977 ; BichetRougemont 1979 ; GrandjeanFougerolles 1979
murger glosant pat. mœrjér ; ContejeanMontbéliardThom 1982 ; DuraffHJura 1986 « régionalisme inconscient » ; RobezVincenot 1988 ; DromardDoubs 1991 et 1997 ; TavBourg 1991 ; TrouttetHDoubs
1991 ; ColinParlComt 1992 ; DuchSFrComt 1993 ; GagnySavoie 1993 murgier ; TamineChampagne 1993 ; SalmonLyon 1995 ; RobezMorez 1995 ; ValMontceau 1997 ; FréchetMartAin
1998 « globalement attesté ».
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Haute-Saône, 75 % ; Doubs, Jura, 65 % ; Territoire-de-Belfort,
0 %.
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