place n. f.
I. 〈Surtout Haute Bretagne, Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire, Indre-et-Loire〉 rural, vieillissant "sol d’une pièce d’habitation, notamment d’une cuisine". Balayer, laver la place.
1. Pour disposer le lapin au-dessus d’un nid de braises, Cadet Rousselle l’a empalé sur
une branche de houx, en attachant les pattes avec le collet de laiton qui l’a étranglé.
Le tout repose sur deux fourches solidement enfoncées dans un sol nettoyé comme une
place de cuisine. (G. Mercier, Le Pré à Bourdel, 1982, 19.)
2. On frappe ; quand on a répondu : « Entrez », on ouvre le haut de la porte et on jette les pots sur le milieu de la « place ». (G. Chevereau, Une Enfance à la campagne, 1987, 231.)
3. On lavait [durant la semaine sainte] à grande eau toutes « les places » (le sol), cimentées ou carrelées, on passait le balai « O cédar » sur le balatum dans le recoin des chambres, jusque sous le lit et les armoires. (P. Bourigault,
Le Café de l’église, 1999, 91.)
4. […] une grande pièce avec la place en terre et une très grande cheminée […]. (Témoin né en 1928, dans J. André et al., À Grand-Lieu, un village de pêcheurs, 2000, 132.)
— Dans le syntagme dans la place "à même le sol de la cuisine, par terre".
5. – Tu te rappelles pas, l’année dernière, que Jean-Marie Lerout était à quatre pattes
dans sa place, à jouer avec le train à son gars* ! (H. Boyer, 29 décembre 1973, L’Éclair, dans BrasseurNantes 1993).
6. Ma mère commençait à préparer son bois la veille tout coupé en petites brindilles,
un peu plus gros après ; le lendemain matin, la farine était mise dans le chaudron :
et que je te mélange à genoux dans la place ; il ne fallait surtout pas l’embêter. (Chr. Leray et E. Lorand, Dynamique interculturelle et autoformation, Une histoire de vie en pays gallo, 1995, 264.)
7. Ils étaient, lui et son fils, en train de faire du feu dans la pièce principale de
leur maison. Dans la « place », il y avait du bois partout, il n’y avait pas un endroit où mettre le pied. (Témoin
né en 1930, dans J. André et al., À Grand-Lieu, un village de pêcheurs, 2000, 130.)
— 〈Loire-Atlantique, Maine-et-Loire〉 tout mettre par les places loc. verb. "mettre sens dessus dessous, bouleverser (une pièce d’habitation)".
8. C’est qu’avec elle, vive comme alle [= elle] est, alle est pas longtemps à tout mettre par les places ! Et pis hop ! En route dans la manne* à bourriers ! (H. Bouyer, L’Éclair, 14 avril 1962, dans BrasseurNantes 1993.)
9. Fallait les voir mettre tout par les places, et renverser les lits, et vider les armoires […]. (J. Boutin, Louis Rougé, le braconnier d’Anjou, 1979, 228.)
II. 〈Nord, Aisne, Oise, Ardennes〉 vieillissant "pièce d’une habitation". La place du devant (CartonPouletNord 1991).
III. 〈Surtout Allier, Haute-Marne, Saône-et-Loire, Haute-Saône, Territoire-de-Belfort, Doubs, Jura,
Ardèche, Corrèze, Lot-et-Garonne, Dordogne〉 usuel "endroit où poussent avec prédilection des végétaux, particulièrement des champignons". Synon. région. tache*. – Il connaissait les places où foisonnent les champignons (A. Nicoulin, Le Dessus du Mont, 1979, 70).
10. C’était le paradis des chercheurs de mousserons. Dès que septembre avait allongé les
nuits et versé ses ondées, on montait à la Coudre par les vieux chemins de haies et
de talus ; on longeait le bois, on se hâtait vers les bonnes places. (J. Cressot, Le Pain au lièvre, 1977 [1943], 177.)
11. […] l’Albine va visiter « ses places », c’est-à-dire des endroits qu’elle connaît. Elle sait d’expérience que les premiers
champignons pousseront obligatoirement à telle période en tel endroit. (F. Dupuy,
L’Albine, 1978, 196.)
12. En pleine saison, lorsque partout les champignons sortaient de terre, […] je courais
les bois. Nous partions le matin de bonne heure, afin d’arriver aux « places » avant les voisins […]. (Th. Bresson, Le Vent feuillaret. Une enfance ardéchoise, 1980, 216.)
13. – Je suis content de t’avoir fait connaître mes meilleures places de champignons. (J. Lazare, L’Ami Pouchu, 1988, 126.)
14. Avec elle [la grand-mère], j’ai découvert les champignons, les marches interminables
vers les forêts de chênes où poussent les cèpes : femme de la campagne, elle en connaissait
toutes les places, celles des cèpes noirs, durs sous la main, la queue ventrue ; celles des cèpes clairs,
à la consistance plus moelleuse. (A. Paraillous, Le Chemin des cablacères, 1998, 262.)
— Dans le syntagme par places.
15. Par place [sic], encore rares, d’autant plus précieux et recherchés, des bolets poussaient leurs
têtes brunes ou noires sous les fougères et la bruyère. (Cl. Michelet, L’Appel des engoulevents, 1990, 19.)
16. En septembre, nous allions cueillir des champignons […]. Nous partions tôt le matin ;
parfois, le pré était encore dans le brouillard. C’était un pré immense, tout là-bas
au bord du bois. Les champignons y poussaient par places, en larges plaques blanches qu’on distinguait de loin. (J. Petit, Le Chant de mon enfance, 1990, 91.)
◆◆ commentaire.
I. Relevé de la Normandie à la Saintonge (FEW), ce sens est attesté dep. le milieu du
18e siècle en Anjou (DuPineauR baleyer la place) et dep. le début du 19e siècle à Rennes, Nantes (FEW) et en Bretagne (LeGonidec 1819), mais on l’a relevé
aussi dans les français d’Amérique (Dunn 1880 ; Clapin 1894 ; Dionne 1909 ; GPFC 1930 ;
PoirierAcadG ; DitchyLouisiane 1934 ; ALEC 58 ; BrassChauvSPM 1990 ; NaudMadeleine
1999 ; mais Ø de DFPlus 1988 et de DQA 1992). Il est largement ignoré de la lexicographie
générale (sauf TLF (« région. (Canada) ») et de la plupart des relevés régionaux ; sa vitalité actuelle dans le français de
l’Ouest et du Val de Loire est en déclin. La loc. tout mettre par les places est attestée dep. 1880 dans le français de Vendée (Saint-Étienne-du-Bois, à la limite
de la Loire-Atlantique ; v. D. et P. Rézeau, De la Vendée aux Caraïbes. Le Journald’Armand Massé (1878-1884), missionnaire apostolique, Paris, L’Harmattan, 1995, t. 2, 363) ; sans doute bien antérieure, du fait de sa
présence dans le fr. du Québec (Dionne 1909 tout jeter par les places et les fenêtres). – DuPineauR ; LeGonidecBret 1819 ; ClouzotNiort 1907-1923 ; VerrOnillAnjou 1908 ;
MussetAunSaint 1938 ; BrasseurNantes 1993 ; SimonSimTour 1995 ; aj. à FEW 9, 37b-38a, platea (où la locution manque).
II. Cet emploi est caractéristique du français du nord de la France et de Belgique (PohlBelg
1950 ; MassionBelg 1987 « un peu vieilli »). Il est enregistré comme tel dans les dictionnaires généraux contemporains (Rob 1985
et NPR 1993-2000 « régional (Nord et Belgique) » ; TLF « région. (Belgique) ») et dans CartonPouletNord 1991 ; GuilleminRoubaix 1972 ; FEW 9, 38a, platea.
III. Par restriction de fr. place "endroit, lieu" (quasiment disparu du français de France, mais toujours en usage en Belgique et au
Québec), cet emploi semble un archaïsme qui perdure de manière diffuse dans quelques
aires discontinues, ainsi qu’en Belgique francophone et au Québec (où il est attesté
dep. 1884, FichierTLFQ ; Dionne 1909 ; GPFC 1930). Il est ignoré de la lexicographie
générale et régionale. – CartonPouletNord 1991 s.v. placeux, dans la métalangue définitionnelle ; aj. à FEW 9, 37b, platea, où ce sens manque.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I) Indre-et-Loire, 80 %. (II) Nord, 100 % ; Oise, 60 % ; Aisne, 40 % ; Pas-de-Calais, Somme, 0 %. (III) Haute-Saône (sud), 100 % ; Territoire-de-Belfort, 65 % ; Doubs, Jura, 30 % ; Haute-Saône
(nord), 0 % [ ? !].
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