raie n. f.
I. 〈Surtout Allier, Franche-Comté, Haute-Savoie, Loire, Isère, Provence, Gard, Hérault, Aude,
Puy-de-Dôme, Creuse, Haute-Vienne〉 rural
1. "longue tranchée ouverte dans la terre par la charrue lors du labour". Stand. sillon.
1. Le laboureur, en arrivant au bout de la raie doit pencher sa charrue à droite […] pour verser davantage la terre et ne pas la
traîner sur le chemin. (GarneretLantenne 1959, § 35.)
2. Mille arbres, sur vingt raies espacées de dix mètres, et, entre les raies, des rangées sur fils de fer de panses muscades […]. (M. Pagnol, Jean de Florette, 1995 [1962], 671.)
3. Le père Jacot qui buvait un coup de rouge à son litre au bout de chaque raie […]. (L. Pralus, Mon Village sous l’hiver, 1978, 71.)
4. La Piélouse, dans son milieu naturel qui était de soigner et de récolter, était d’un
agréable commerce. Elle travaillait avec une rapide efficacité, abattant la besogne
en silence, raie par raie. (J.-P. Demure, Fin de chasse, 1998, 98.)
5. Quand il vire en fin de raie, il distingue à l’autre bout de sa planche, un homme en costume noir. (A. Aucouturier,
L’Arthritique de la raison dure, 1999, 49.)
6. […] il était fier de son travail. Pas question de finir un champ avec la dernière
raie tordue, il fallait qu’elle soit droite et régulière. (P. Gardot et S. Mandret, Hugier, d’une guerre à l’autre, 1999, 78.)
— En alternance avec sillon.
7. Deux choses seulement me posaient souci [= me tracassaient], l’arrivée au bout du
sillon et la raie de milieu. […] Le champ, commencé par l’extérieur, sillons retournés après sillons
vers la gauche, terminait fatalement par la ligne médiane et les deux derniers tracés
devaient laisser, au beau milieu de la parcelle, une belle raie, large et profonde, bien droite, preuve du savoir-faire du laboureur. (J. Reyboz,
Douceur d’automne, 1984, 88.)
8. Fierté légitime pour les jeunes agriculteurs, surtout ceux du canton de Marchaux [Doubs]
qui organisaient ce week-end les finales […] de labours. […] Terre nourricière qu’ils
retournent au cordeau. Raies propres, droites, dégagées, profondes. Sillons régulièrement retournés. (L’Est républicain,, éd. Belfort, 4 septembre 2000, 112.)
V. encore s.v. bigot, ex. 13 ; planter, ex. 4 et 8.
□ Dans un commentaire métalinguistique incident.
9. Quand le premier sillon était tracé (on disait « la raie ») de chaque côté du champ, le cheval de tête n’avait plus qu’à le suivre. (J.-L. Clade,
La Vie des paysans franc-comtois dans les années 50, 1988, 80.)
— raie de + subst. désignant ce qui y est semé ou planté. Souvent "rang de légumes ou de fleurs dans un jardin". Synon. région. route*. – Raies de haricots (J. Giono, Le Hussard sur le toit, 1951, 102), raies de légumes (J. Carrière, L’Épervier de Maheux, 1972, 281), raies de « patates » (J.-L. Clade, La Vie des paysans franc-comtois dans les années 50, 1988, 61).
10. Les gros paysans font ici cent kilos de pommes de terre et vingt raies d’oignons. (J. Giono, Les Âmes fortes, 1949, 133.)
11. C’est l’oncle […] qui s’occupait de diriger l’eau du canal d’arrosage dans les raies de tomates de façon à permettre une bonne reprise des plants. (G. Ginoux, Gens de la campagne au Mas des Pialons, 1997, 29.)
12. […] je sautai la murette du potager, me prenant les pieds dans les trois raies de poireaux qui commençaient à faire le bâton. (P. Magnan, Un grison d’Arcadie, 1999, 86.)
— Par restr. 〈Franche-Comté〉 "sillon marquant la limite d’un champ".
13. […] les Bibi étaient mal avec chez* Jean le Blond à cause d’une raie de champ […]. (R. Begeot, Glanes saônoises, 1974, 169.)
— Par méton. 〈Provence, Hérault, Aude〉 faire + dét. + raie "donner une façon, un labour".
14. […] un âne gris s’arc-boutant tirait une petite charrue. L’homme, cramponné aux mancherons,
faisait sa raie d’automne. (M. Scipion, L’Homme qui courait après les fleurs, 1984, 198.)
2. 〈Franche-Comté〉 "rigole de drainage ou d’irrigation". Faire des raies dans les prés pour les assainir (GarneretLantenne 1959, § 42).
15. Il y avait aussi pas mal de travaux dans les prés et les vergers : abattage d’arbres
malades […] et surtout remise en état des rigoles principalement autour des fermes,
ces raies qui assuraient un système d’irrigation bien précieux dans les terrains plutôt pauvres
de nos montagnes ; grâce à ces raies refaites chaque année, débarrassées de ce qui les enlisait, l’eau très abondante
dans nos régions pouvait circuler partout et améliorer les terres à herbes… (M. Sauvage,
« Les Travaux et les jours dans les Vosges saônoises », dans Barbizier. Bulletin de liaison de folklore comtois, n° 9, n.s., décembre 1980, 304.)
II. 〈Saône-et-Loire (Le Creusot), Yonne, Haute-Marne (est), Franche-Comté〉 raie (de chocolat) "petit morceau de chocolat de forme cylindrique ou parallélépipédique ; section d’une
tablette de chocolat, calibrée de façon rectiligne dans le sens de la largeur lors
du moulage de la tablette". Stand. barre. Synon. région. bille*, carreau*, côte*, cran1*. – Trois ou quatre raies de chocolat à moitié fondues (Histoires et traditions du Doubs, 1982, 11). Une tranche de pain avec une raie de chocolat noir (M. Raclot, Nadette, 1985, 83). Râper trois raies de chocolat (Recette, dans R. Harrburger, Du pain avec du chocolat, 1995, 264).
16. Il était midi, il avait faim ; il possédait heureusement un petit pain et une raie de chocolat qu’il grignota, assis sur une souche mousseuse […]. (R. Begeot, Glanes saônoises, 1974, 182.)
17. […] on vend un peu de tout dans ces sortes de bazars de village : de la mercerie […],
de la vaisselle, que sais-je encore ? (j’y ai encore vu vendre au détail le chocolat,
une raie ou une barre séparée du reste de la tablette). (M. Sauvage, « Les Travaux et les jours dans les Vosges saônoises », dans Barbizier. Bulletin de liaison de Folklore comtois, n.s., n° 9, décembre 1980, 37.)
18. […] René Claudel échangeait, lui, son pain noir contre le pain blanc de Marcel Duceux,
fils du Directeur de l’usine, qui lui abandonnait même sa raie de chocolat avec son pain […]. (M. Sauvage, « Les travaux et les jours dans les Vosges saônoises » dans Barbizier, Bulletin de liaison de folklore comtois, n° 9, décembre 1980, 269.)
19. […] comme des galapiâts [= vauriens] qu’auraient mangé leur raie de chocolat d’un seul coup […]. (M. Mazoyer, Les Aventures du Toine Goubard, 1982, 65.)
20. […] il fallait […] donner raies et tablettes de chocolat aux gamins venus offrir leurs services pour porter le bois tronçonné. (Le Pays de Franche-Comté, 14 mars 1992, 28.)
— En compos.
21. Pour les quatre heures* il y avait toujours la demi-raie de chocolat Menier ou la gelée de groseilles du jardin. (R. Collin, Les Bassignots, 1969, 209.)
◆◆ commentaire.
I.1. Attesté dep. ca 1140, fr. raie "sillon" est considéré comme un terme d’agriculture non marqué diatopiquement dans les dictionnaires
généraux contemporains ; largement répandu dans les patois de la France rurale (v. atlas),
son usage en français à la fin du 20e siècle ne semble vivant que dans quelques aires, et tout particulièrement en Franche-Comté ;
on l’a aussi relevé au Québec (Dionne 1909), en Acadie (MassignonAcad 1962, § 735)
et dans le Val d’Aoste (MartinAoste 1984). Les exemples donnés pour le 20e siècle dans les dictionnaires généraux (Genevoix 1925, dans Rob 1985 ; J. Renard
1906 et Pesquidoux 1928, dans TLF) donnent à penser que cet emploi est aujourd’hui
vieillissant : il est en fait senti comme régional depuis le 19e siècle, au bénéfice de fr. standard sillon (cf. ALLy 145 : « Une raie de labour […]. Le français l’appelle sillon »). L’emploi par restriction, attesté dep. Fur 1690, et encore dans GLLF, semble n’avoir
de vitalité qu’en Franche-Comté. 2. n’est illustré dans le TLF que par le recours à un dictionnaire d’agriculture ; on
peut y voir un indice du caractère marginal (diatopique, en l’occurrence) de ce sens.
II. (V. premier paragraphe du commentaire s.v. bille.) Cette innovation régionale, qui s’inscrit dans la série des analogies sur fr. raie "sillon", est attestée dep. 1912 (« La tablette de dix raies coûte huit sous » Pergaud, La Guerre des boutons, dans Œuvres complètes, 687).
◇◇ bibliographie. (I) VillaGasc 1802 "sillon ; rayon d’une planche ou carré de jardin" ; RollandGap 1810 ; JaubertBerry 1838 ; ConnyBourbR 1852 ; JaubertCentre 1864 ; Mâcon
1903-1926 ; BarbeLouviers 1907 ; VerrOnillAnjou 1908 ; BoillotGrCombe 1929 ; G. Straka,
« Sur les dénominations romanes du sillon », RLiR 1982, 231-215 et 1983, 121-128 ; RouffiangeMagny 1983 « le terme français [sillon] n’est pas utilisé » ; GononPoncins 1984 dans la définition s.v. rayer ; MartPellMeyrieu 1987 dans les exemples s.v. culotte et tantôt ; CampsLanguedOr 1991 ; DromardDoubs 1991 et 1997 ; DuchetSFrComt 1993 ; PotteAuvThiers
1993 ; ValThônes 1993 ; SchortzSenneville 1998 ; FEW 10, 386b-387a, rica ; ALF 1234 ; ALPic 112 ; ALIFO 89 ; ALN 63 ; ALO 156 ; ALCe 227 ; ALB 273 ; ALLR 497 ; ALJA 269 ;
ALLOr 711 ; ALLOc 592-593 ; ALMC 889. – (II) TavBourg 1991 (« très vivant au Creusot ») ; aj. à FEW 10, 391b, *rîca.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I) Doubs, Haute-Saône, 100 % ; Jura, Territoire-de-Belfort, 65 %. (II) Yonne, 100 % ; Saône-et-Loire, 75 % ; Côte-d’Or, Nièvre, 50 %.
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