quatre heures n. m. pl.
〈Haute-Marne, Bourgogne, Franche-Comté〉 usuel "petite collation prise dans l’après-midi" ; par méton. "nourriture constituant cette collation". Stand. goûter, fam. quatre heures (au sing.). Synon. région. collation*. – Confitures qu’on mangeait à pleines tartines à l’heure des quatre heures (M. Mazoyer, Les Aventures du Toine Goubard, 1982, 15). Le pain des quatre heures (A. Nicoulin, Les Prisonniers du bacul, 1987, 69).
1. […] ensuite tout le monde repartait charger le foin qui embaumait ; puis c’était les
« 4 heures » avec pain, fromage, cancoillotte*, lard, confiture, ce qui permettait d’attendre le souper*. (Histoires et traditions du Doubs, 1982, 179.)
2. Les longs après-midis d’été sont coupés par l’arrêt reposant des « quatre-heures » au bout d’un rang de vigne, à l’ombre d’un arbre, derrière une bouchure* ou dans la cabane de vigne. (J. Gadant, Un écho du terroir, Couches-en-Bourgogne, 1984, 135.)
3. Quand j’avais une dizaine d’années, aussitôt sorti de l’école, le soir, je prenais
mes « quatre heures ». (P. Arnoux, Un village gros comme ça, 1986, 71.)
4. […] sa sœur lui chuchota, avec une satisfaction évidente, « qu’il était resté trop longtemps dehors, qu’il n’était pas revenu pour chercher ses
quatre heures, qu’il allait bien se faire disputer et que c’était bien fait pour lui ». (R. Vuillemin, La Chasse aux doryphores, 1989, 74.)
5. […] la guinguette de la Mère Duchat, au bord de l’étang de Torcy. Sous les tonnelles
de l’été, on y savourait la petite friture, le jambon cru du Morvan et le célèbre
claque-bitou [= fromage blanc] des quatre-heures creusotines. (R. Boutavant, Mémoire de vie 1911-1979, 1992, 23.)
6. Au moment des quatre heures, une voiture stoppa devant chez le Roger. (M. Dussauze, Le Pont du lac Saint-Point, 1995, 264.)
V. encore s.v. dix-heures, ex. 1 ; raie, ex. 21.
□ En emploi métalinguistique.
7. Il faisait bon à l’ombre d’un arbre, souffler un peu après des heures de travail,
se désaltérer, et devant un calme paysage refaire ses forces en mangeant ces produits
de la ferme qu’on appelait « les quatre heures » : pain de seigle, fromage blanc aux ciboules, lard froid… (M. Sauvage, « Les travaux & les jours dans les Vosges saônoises » dans Barbizier. Bulletin de liaison de folklore comtois, n° 9, décembre 1980, 350.)
8. L’été, aux jours les plus longs, un quatrième repas était consommé : « les quatre heures ». Ce repas, ou plutôt ce « casse-croûte », était pris, soit à la maison, lorsque le travail s’y prêtait, soit aux champs, si
on ne rentrait pas. (P. Gardot et S. Mandret, Hugier, d’une guerre à l’autre, 1999, 127-128.)
— faire les quatre heures, loc. verb. "prendre cette collation". Synon. région. faire collation*. – On prend le café et on fait les quatre heures (J. Garneret, Vie et mort du paysan, 1993, 165). Viens faire les quatre heures avec nous ! (M.-Th. Boiteux, Le Secret de Louise, 1996, 170).
9. […] ces constructions […] où les vignerons prenaient autrefois leur repas de midi
et faisaient les « quatre heures ». (L. Chapuis, Vigneron en Bourgogne, 1980, 26.)
10. – […] Ma mère m’a dit que si j’en voulais [du pain], j’avais qu’à rentrer faire les quatre heures chez nous. (A. Nicoulin, Les Prisonniers du bacul, 1987, 76.)
11. […] on échange des confitures, des recettes, des trucs pour le jardin, on fait les quatre heures chez nos voisins […]. (L. Semonin, La Madeleine Proust, 1990, 15.)
12. – […] On arrive juste pour « faire les quatre heures » et j’ai un p’tit creux à l’estomac, pas toi… ? (R. Vuillemin, La Victoire des vingt culs, 1990, 34.)
13. – Allez, viens t’ réchauffer ; tu f’ras les quatre heures avec nous […]. (M. Vuillemin, La Mort de Fany, 1994, 229.)
V. encore s.v. arranger, ex. 5 ; dix-heures, ex. 8.
■ remarques. En dehors de cette zone compacte, les quatre heures est attesté sporadiquement, et souvent comme vieilli, en Auvergne et dans quelques
aires voisines : 〈Aveyron, Lozère (nord), Haute-Vienne (sud).〉 « – Vous n’avez pas eu vos quatre heures […] remarqua Léa à notre intention. / Et reprenant : / – Allez, montez à la maison ;
je vais vous donner une tartine de miel à chacun » (R. Béteille, Souvenirs d’un enfant du Rouergue, 1984, 84) ; « Heureusement, la bonne odeur du déjeuner rassemblait tout le monde. Je parle du déjeuner ;
ni le petit déjeuner, ni la soupe, ni les quatre-heures, ni même la soupe du soir ne réunissaient forcément toute la famille à la fois » (M. Delpastre, Les Chemins creux. Une enfance limousine, 1993, 244) ; « Lorsque le temps des quatre-heures fut arrivé, il quitta à regret ces lieux paradisiaques et reprit le chemin de la
maison » (Cl. Fourneyron, Les Rêves bleus, 1993, 109) ; « Alors que Jean va aider à planter, il a demandé à la Françoise d’aller chercher le
casse-croûte des quatre heures. […] Sur le linge blanc, elle aura mis du cidre, des verres, de la caillée* et même un morceau de saucisson sec qu’elle a acheté en ville ce matin » (Panazô, La Françoise, 1996, 67). Dans la loc. verb. faire les quatre heures « – Ça fait une trotte de Saint-Martin aux Aubrières, dit-elle, asseyez-vous ! On va
faire les “quatre heures”, on travaillera après » (J. Jaussely, Deux saisons en paradis, 1979, 57). – En référence au français rural du Livradois, dans L. Gachon, La Petite-fille de Maria, 1974, au f. pl. : « Quatre heures bien faites – le bol de lait pour les petits – le meilleur, ce fut le plein de saladier de fraises
à l’eau sucrée rougie de vin », « […] le grand panier d’osier où étaient, sous des lainages, ustensiles, sacs pour les
cueillettes, les provisions pour les quatre heures » et, par ellipse : « La voix forte de Rosa : “Madame, ohé, Madame Anne-Marie : les quatre” » (respectivement 36, 68, 99).
■ encyclopédie. Cette pratique est considérée par ValMontceau 1997 comme « un trait de civilisation locale : les dimanches et jours de fête, on va souvent “faire les quatre heures” à la campagne, dans des auberges spécialisées […] ».
◆◆ commentaire. Quatre heures n. m. "goûter" (par métonymie de fr. quatre heures, moment approximatif de cette collation) semble sans tradition lexicographique dans
les dictionnaires français avant Rob 1961 (v. GoosseMél 1991, 212 [1989]), alors que
faire quatre-heures est attesté par exemple en Belgique en 1874 (ibid.) et à Mâcon en 1926. Mais si le mot et la locution verbale appartiennent à la langue
familière et ne sont pas marqués diatopiquement, il n’en va pas de même de l’emploi
au pluriel, qui est caractéristique d’une aire assez compacte (déjà repérable dans
ALF) à l’est de la France et en Suisse romande (DSR 1997), à quoi s’ajoutent quelques
traces sur le pourtour du Massif Central et en Belgique. Cet emploi est attesté en
Suisse dep. 1866 (dans Pierreh), puis dans le Doubs (Beauquier 1881) et à Dijon (CunissetDijon
1889 « faire les quatre heures et les quatre heures ») ; Rob 1985 et TLF s.v. quatre n’ont pas exploité deux exemples qu’ils citent, tirés respectivement de Ramuz et
de Cendrars.
◇◇ bibliographie. ALF 657 ; ALFC 136 ; ALB 205 (« Nous n’avons pas porté sur cette carte l’expression faire les quatre heures qui est connue partout ») ; ALJA 1197 ; CunissetDijon 1889 ; BeauquierCuisine 1909, 258 porter les quatre heures aux champs ; GarneretLantenne 1959 ; GrandMignovillard 1977 ; BichetRougemont 1979 faire les quatre heures ; BecquevortArconsat 1981 faire les quatre heures s.v. ouro ; RouffiangeMagny 1983 « français rural » ; DuraffHJura 1986 « régionalisme inconscient » ; TavBourg 1991 quatre heures, n. (« genre hésitant » ; mais rien n’est dit sur le nombre : le pluriel apparaît dans l’exemple) ; DuchetSFrComt
1993 quatre-heures n. m. (avec un exemple au sing. et un autre au pl., sans que cet écart soit commenté) ;
Lengert 1994 ; ValMontceau 1997 ; LesigneBassignyVôge 1999 ; FEW 4, 468b, hora.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Cantal, Doubs, Haute-Loire (nord-ouest), Puy-de-Dôme, Saône-et-Loire,
Haute-Saône (sud), Yonne, 100 % ; Nièvre, 75 % ; Jura, Haute-Saône (nord), 65 % ;
Côtes-d’Or, 50 % ; Territoire-de-Belfort, 0 %.
|