artison n. m.
Le plus souvent au pl.
I. 〈Bourgogne〉 fam. "petit insecte ou larve d’insecte qui ronge le bois". Stand. vrillette ; 〈Côte-d’Or (Auxois), Haute-Marne (est), Lorraine, Creuse〉 "petit insecte ou larve d’insecte qui ronge les étoffes, les fourrures". Stand. mite. – Si tu ne mets pas des boules de naphtaline dans tes armoires, les artisons vont tout
te dévorer (LanherLitLorr 1990).
— En alternance avec mite.
1. Ses tiroirs [d’une commode] abritaient les blancs jupons de lin festonné, les robes
de soie noire, les corsages à manchettes et jabot de dentelles […]. / Ces falbalas,
mal protégés des mites, ne sortaient guère de leurs retranchements que pour les grandes
fêtes […]. Une odeur désuète de moisi, de renfermé et de poudre pour les artisons, flottait longtemps sur les pas de celles qui les portaient […]. (R. Collin, Les Bassignots, 1969, 9.)
— être mangé aux artisons loc. verb. fam. "être troué ; par ext. être usé, vieux (d’un vêtement, d’une étoffe)". Stand. mangé aux mites.
2. Sigo a endossé sa vieille canadienne qui sent un peu la naphtaline. Le mouton est bien un peu mangé aux artisons, mais elle est encore bien chaude. (A. Aucouturier, La Tourte aux bleuets, 1997, 54.)
II. 〈Haute-Savoie, Loire, Rhône, Ardèche, Haute-Loire, Cantal, Puy-de-Dôme〉 usuel "acarien du fromage (Tyroglyphus siro)". L’araignée rouge. Une bestiole pas plus grosse que les artisons du fromage (J. Anglade, Le Voleur de coloquintes, 1972, 279). Quand les artisons s’y mettent, les fromages sont bons (MartinPilat 1989 et VurpasLyonnais 1993).
3. Elles [les tommes] sèchent plusieurs mois jusqu’à ce que les artisons qui s’y installent indiquent qu’elle est prête [sic au singulier] à entâmer [sic]. (M.-H. Reynaud, dans M. Carlat, L’Ardèche, 1985, 229.)
4. Cousine Anne nous reçut très gentiment et nous offrit le café accompagné de gâteaux
secs. En guise de présent d’amitié, ma mère avait apporté une belle tome avec ses
artisons et un poulet. (M. Fouriscot, Marie la dentellière, 1987, 97.)
5. […] la bonne façon auvergnate de consommer le fromage. Non pas en enlevant une épaisseur
de croûte inconsidérée ; mais en la raclant avec délicatesse, juste ce qu’il faut
pour faire tomber les moisissures et les artisons. D’autres bestioles, mais pas nuisibles comme les doryphores, puisqu’elles apportent
au cabecou* un supplément d’âme. (J. Anglade, La Soupe à la fourchette, 1996 [1994], 239-240.)
6. Chaque samedi, M. Gibaud, agriculteur à Saint-Front [Haute-Loire], descend de sa montagne
pour proposer sur le marché du Puy des fromages jugés « les meilleurs de la place » par ses fidèles clients : « C’est du lait de vache et de la présure. Ça mûrit tout seul en cave sur une planche
de bois pendant environ deux mois. Mes parents et mes grands-parents s’y prenaient
déjà comme ça avec, bien sûr, l’aide des artisons ». […] Pour déguster, pas question de tailler l’écorce de cette divine pâte, il suffit,
pour les plus délicats, de gratter avec la lame d’un « Laguiole »* la surface du fromage. Forcément, il reste quelques artisons à croquer : « Ils font partie du fromage », assurent les gourmands, qui préconisent un accompagnement au Saint-Joseph. (Centre France Hebdo, 22 mars 1998, n° 68, cahier région, VI.)
□ Dans un énoncé définitoire ordinaire.
7. Les artisons sont de petites bêtes, à peine visibles à l’œil nu, qui grouillent sur la croûte
du fromage. […] A y regarder de plus près, c’est-à-dire au microscope, la bestiole
n’est pas vraiment ragoûtante. Il s’agit en fait d’un acarien scientifiquement baptisé
« acarus siro ». Son rôle incontestable est celui de l’élaboration esthétique du fromage : creusant
la croûte, il lui donne son inimitable aspect d’authentique produit du terroir. Mais
il enrichit aussi le goût d’une puissante saveur… (Centre France Hebdo, 22 mars 1998, n° 68, cahier région, VI.)
□ Avec ou dans un commentaire métalinguistique incident. Un vieux fromage sur lequel se multipliaient les artisons, les acarus du fromage (M. Gonon, La Vie familiale au Moyen Âge, ca 1970, 9.)
8. La fourme* se caille comme le picodon*. On la verse dans des moules hauts et cylindriques, puis on la fait sécher. […] Elle
prend une croûte grise et rugueuse grouillante parfois d’une poussière vivante que
l’on nomme dans le pays des « artisons », et qui est peut-être un agent de fermentation. (Ch. Forot, Odeurs de forêt et fumets de table, 1987 [1955], 291.)
9. […] elle achète aussi du fromage de chèvre. Le chèvreton* en français, chabrillo en patois. Rectangulaire comme une brique, séché sur la paille, chaque brin y a creusé
une douce ride. Lui ne s’amollit pas en vieillissant : il s’affermit au contraire ;
aussi, jamais tu ne trouves dedans l’ombre d’un asticot. Tout au plus se couvre-t-il
d’une sorte de farine brune, pareille à celle du pain cuit. Avec de bons yeux tu y
verras grouiller trois mille millions de bestioles minuscules que nous appelons les
« artisons » et qu’il faut respecter, parce qu’elles apportent au chèvreton un supplément d’âme.
(J. Anglade, Le Voleur de coloquintes, 1972, 83-84.)
10. Avec ce procédé simple et naturel, nous obtenions de jolis chabrirous [= fromages
de chèvre] à l’odeur pénétrante. Après plusieurs jours au garde-manger, ils se couvraient
d’artisons, ces petites araignées minuscules que nous n’enlevions jamais tout à fait avant de
les manger. (Y. Gimbert, Roche-Longue, 1994, 37.)
11. Il fallait aussi retourner les fromages régulièrement. Il paraît qu’ils étaient bons
lorsqu’ils avaient des artisons (insectes microscopiques qui vivent en colonies sur les fromages secs. (R. Cuisinier,
Mon Enfance à Haute-Rivoire, 1941-1955, 1998, 131.)
V. encore s.v. cabécou, ex. 16.
□ En emploi autonymique.
12. Le fromage était sans crème, toute la crème servant à la fabrication du beurre […]
mais eux les trouvaient bons, d’autant plus qu’il y avait des artaisons (vers blancs),
Maryvonne disait « artisons » […]. (P. Chevrier, La Haute-Bigue, 1996, 53.)
◆◆ commentaire. Sans doute apparenté à mfr. et frm. artre "teigne" – dont les seuls exemples textuels (Gdf, Huguet) proviennent du Comtois Du Pinet
et du Savoyard François de Sales ; le type a été relevé en Franche-Comté, Mâcon (FEW)
et en Savoie (ALJA 1028 pt 61) et c’est à tort qu’il est compté parmi les emprunts
du français à l’occitan dans GebhardtOkzLehngut 1974, 305 – artizon ne s’est conservé à l’époque contemporaine que dans quelques aires, qui correspondent
à des zones de repli (la situation dans les patois est assez comparable, mais dessine
des aires un peu plus vastes et/ou discontinues, v. FEW). Entré dans les dictionnaires
avec Cotgr 1611 (artuson) et attesté sous la forme artison dep. 1562 (Du Pinet), il figure dans les grands dictionnaires contemporains, sans
mention diatopique ni marque d’usage mais avec des exemples qui témoignent de son
caractère d’archaïsme régionalisé (Rob 1985 cite Amyot, repris de Littré ; TLF reprend
MichelLorr 1807). I. Seuls sens pris en compte par les dictionnaires généraux. II. est attesté en français de Lyon dep. ca 1750 (« un artison, ver qui se met dans le fromage » Du Pineau) ; absent des dictionnaires généraux contemporains, il est bien pris en
compte par les relevés régionaux et son aire géographique cohérente est caractéristique
de l’influence de Lyon. Ce type est largement attesté dans ALLy 1104 (la carte est
d’ailleurs intitulée « Les “artisons” du fromage ») et l’ALMC 1104 le relève dans la Lozère (nord), l’Ardèche (nord), la Haute-Loire
et le Cantal (nord). En Basse Auvergne, les formes artézon (JaffeuxMoissat), artaizon (BigayThiers et PotteAuvThiers ; cf. ici ex. 12)a s’entendent, mais elles sont marquées comme vieillies ou rurales, de même que artisoub : le “mot français” est artison, forme supra-locale venue du français de Lyon ; la présence dans le sud du Cantal
(Ytrac et environs, FEW) de ortizon est le signe que le mot a été véhiculé par le français (et attiré par artisan), sinon on aurait *ortizu.
a Ou encore arteron, dans l’Ambertois (A. Pourrat, Traditions d’Auvergne, 1976, 103 ; M. Boy, Petit Guide de l’arrondissement d’Ambert, 1984, 7).
b « […] apparition en surface [de la tomme de Lozère] des “artisous” (une espèce d’insecte microscopique), preuve d’une bonne maturation » (L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Languedoc-Roussillon, 1998, 299). – Cette forme, enregistrée par MédélicePrivas 1981 (« courant, mais uniquement rural ») et PotteAuvThiers 1993, est un transfert, non adapté, de l’occitan.
◇◇ bibliographie. (I.) MolardLyon 1797, 1810 s.v. arthes ; MonnierDoubs 1857 artusons pl. ; BourquelotProvins 1868 artuison ; PuitspeluLyon 1894 "ver du bois" ; MichelLorr 1807 "teigne" ; GuilleLouhans 1894-1902 dans la définition de arte ; OffnerGrenoble 1894 id. ; Mâcon 1903-1926 id. ; BlochVosgesMérFr 1921, 127 « “mite” est inconnu ; on ne dit qu’artison ou artisan » ; PrajouxRoanne 1934 dans la définition de artes pl. ; CrouvChampagne 1975 artisan, artison, artuse ; JamotChaponost 1975, 52 ; TavBourg 1991. – (II.) DuPineauV [ca 1750] ; PomierHLoire 1835, 14 ; GrasForez 1863, comme définissant d’un type dialectal
tout différent ; CunissetDijon 1889 artoison ; VachetLyon 1907 dans la définition de artes pl. ; ParizotJarez [1930-40] s.v. arte ; MiègeLyon 1937 ; BigayThiers 1941 artaizons pl. ; JamotChaponost 1975, 61 ; RLiR 42 (1978), 157 ; BecquevortArconsat 1981 s.v. ortèsou ; MalapRég 1981, 132 ; GononPoncins 1984 « usuel, tous âges » ; MeunierForez 1984 pl. ; JaffeuxMoissat 1987, 3 artézon s.v. artèïzou ; QuestThiers 1987 artison, artéson ; MartinPilat 1989 « usuel à partir de 20 ans, attesté au-dessous » ; EscoloGév 1992 dans la définition de artisou "artison, ciron du fromage" ; VurpasMichelBeauj 1992 ; FréchetMartVelay 1993 « usuel » ; PotteAuvThiers 1993 artaizon ; VurpasLyonnais 1993 ; SalmonLyon 1995 ; PlaineEpGaga 1998 « encore utilisé » ; ChambonÉtudes 1999, 175 ; FEW 13/1, 122a-b, tarmes.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (II) Puy-de-Dôme, 90 % ; Haute-Loire, 80 % ; Cantal, 30 %.
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