cagnard n. m.
I. 〈Hautes-Alpes, Provence, Gard, Hérault, Aude, Aveyron, Lozère, Ardèche, Haute-Loire〉 usuel
1. "emplacement exposé au soleil et à l’abri du vent". Le cagnard le mieux abrité du village (Y. Audouard, La Clémence d’Auguste, 1986 [1985], 43).
1. Heureusement ça [l’hiver] dure guère et on tarde pas de voir des coulées de violettes
à l’abri des cagnards. (Th. Monnier, Madame Roman, 1998 [1957], 128.)
2. Cinq ans après [leur arrivée au village], sous la crête de la même montagne, au cagnard le plus ensoleillé, ils habitaient une maisonnette bien à eux […]. (J.-P. Chabrol,
Les Rebelles, 1965, 161.)
3. Autour d’eux les amandiers aux troncs contournés crispaient leurs bras sous un manteau
de fleurs précoces ; dans un « cagnard », bien exposé au midi, ils recouvraient déjà la terre d’une parure de neige où, par
endroits, les tons rosés de certains arbres formaient des nuages de pastel. (G. Combarnous,
Mamette de Salagou, 1973, 36.)
4. […] les bancs de pierre installés devant l’église, depuis des siècles, au « cagnard », pour les vieux qui venaient s’y asseoir l’hiver. (L. Chaleil, La Mémoire du village, 1989 [1977], 215.)
5. Pour le passant, le voyageur ou le vigneron allant à sa vigne, il faut trouver un
bon endroit, à l’abri du vent, pour profiter des rayons solaires ; c’est la quête
du cagnard, institution fondamentale du pays qui peut se créer, s’inventer à l’instant avec une
murette, un talus ou une haie de cyprès bien serrée. (Pays et gens de France, n° 59, l’Hérault, 9 décembre 1982, 2.)
6. […] entendant sonner la demie de neuf heures à l’horloge de l’église Saint-Jean, il
alla chercher son casse-croûte. Il s’assit au cagnard, contre un muret de pierres sèches. En cette fin de mai, le soleil était déjà chaud.
(S. Pesquiès-Courbier, La Cendre et le feu, 1984, 11.)
7. – […] quel cagnard ! J’y passe des heures à lézarder au soleil ! (P. Magnan, Les Courriers de la mort, 1986, 78.)
8. […] la terrasse de géraniums, un furtif citronnier au cagnard et un vase de basilic. (R. Chabaud, Un si petit village, 1990, 20.)
9. Balcon au soleil, que viennent de tous côtés battre les courants d’air : pays de « cagnards » où l’habitude se prend de s’asseoir au pied d’un mur, d’un rocher, à l’abri du vent
froid, dans la douce illusion d’un pays chaud ; mosaïque de petits coins protégés
où le soleil s’attarde, entourés de couloirs où s’engouffre la bise*. (J. Onimus, Les Alpes-Maritimes, 1999, 14-15.)
□ Dans un commentaire métalinguistique incident.
10. Par les journées très ensoleillées de l’hiver en Languedoc on trouve de faux printemps
dans les coins abrités du vent. On les appelle des « cagnards » (M. Rouanet, Nous les filles, 1990, 35.)
— Par métaph.
11. L’Hérault est un cagnard à lui tout seul, si on le compare aux pays où les vents du Nord sont terribles, comme
chez ses voisins d’Avignon ou de Narbonne. (Pays et gens de France, n° 59, l’Hérault, 9 décembre 1982, 2.)
— Par anal. "endroit en plein air aménagé pour le repos".
12. Il fallait attendre la sieste de la méridienne et que le soleil écrase le pays, empêchant
le travail, pour qu’on puisse dormir dans l’atmosphère surchauffée des maisons. Comme
mon lit était dans la salle commune où s’activait ma mère avec les plus jeunes, je
m’échappais vers le jardin, après le repas. Là, au milieu d’un bosquet de roseaux
où j’avais installé un cagnard, avec la fraîcheur de l’eau qui coulait tout près et les rais de lumière passant entre
les tiges, j’observais un moment le vol en rond des demoiselles et, tandis que les
cigales crépitaient dans les pins de l’autre rive, je finissais par m’endormir […].
(J.-L. Magnon, Les Larmes de la vigne, 1996 [1991], 123.)
2. 〈Mêmes aires et aussi Loire (Rive-de-Gier), Drôme, Haute-Garonne (Toulouse).〉 Par méton. "soleil particulièrement ardent ; forte chaleur". T’es pas cabourd* de sortir sans chapeau avec un tel cagnard ! (NouvelAveyr 1978). Le cagnard a plombé toute la journée (P.-J. Vuillemin, Les Contes du pastis, 1988, 103). Y a un cagnard à tout casser ce matin (G. Del Pappas, Massilia dreams, 2000, 8).
13. – Le « cagnard », il chauffe si fort aujourd’hui que l’on se croirait au mois d’août ! (E. Boissin,
Le Minot, 1988, 209.)
14. – Il fait un sacré cagnard ici ! On meurt de soif ! fit Darnagas. (M. Courbou, Les Chapacans, 1994, 256.)
15. Mon voisin de table [à l’école] avait eu à commenter une scène de moissons. Peu inspiré,
il avait écrit sur sa copie en tout et pour tout :
« Comme il tombe un cagnard du diable, les paysans s’arrêtent de travailler pour piquer un bon roupillon en attendant qu’il fasse moins chaud et maintenant, ils dorment ! » (G. Ginoux, Dernier labour au Mas des Pialons, 1994, 65.) 16. C’est encore un après-midi de grand cagnard. On suffoque. C’est le désert brûlant dans la cour. La terre éclate. Le soleil est
fou. (Cl. Couderc, Le Petit, 1998 [1996], 81.)
17. Notre rue, large comme la main, dégringolait en désordre vers la mer. Une rue pas
encore goudronnée, plutôt faite pour les chèvres que pour les humains, l’hiver une
solitude et l’été un vrai four à poulets. Le soir, l’air y était frisquet. La journée,
inutile de parler du cagnard, de la poussière, des caillasses, des estrasses* aux bâtons des fenêtres […]. (M. Albertini, Les Merdicoles, 1998, 23.)
V. encore s.v. pieds-paquets, ex. 3.
— Dans le syntagme (en) plein cagnard. Malheureux, tu vas pas quitter le parasol en plein cagnard ? (Fr. Fernandel, L’Escarboucle, ma Provence, 1992, 165). Trois heures […], en plein cagnard (Ph. Carrese, Tue-les, à chaque fois, 1999, 72). En plein mois d’août, en plein cagnard (Fr. Thomazeau, Qui a tué l’homme-grenouille ?, 1999, 68).
18. Il vous construisait un poulailler que même en plein cagnard leurs poules chantaient de bien-être. (Fr. Fernandel, L’Escarboucle, ma Provence, 1992, 57.)
19. Il venait de dehors, du plein cagnard. Il avait chaud. (M. Courbou, Les Chapacans, 1994, 162.)
20. […] elle s’en allait biner, sans chapeau et en plein « cagnard » son champ de carottes. (G. Ginoux, Dernier labour au Mas des Pialons, 1994, 100.)
— Dans les syntagmes sous le / un cagnard.
21. Le train […] se traîne à 40 kilomètres à l’heure sous le cagnard […]. (Actuel, juin-juillet 1980, dans Doillon, août 1986, 24.)
22. Les Calanques ne se livrent que par l’effort de longues et parfois difficiles marches
sous le « cagnard » (soleil). (Pays et gens de France, n° 38, les Bouches-du-Rhône, 10 juin 1982, 25.)
23. Le travail de la ferme ne la rebutait pas ; elle avait appris très jeune à bâtir une
charretée de paille sous le cagnard, à préparer la litière des vaches à l’étable, à conduire le tracteur. (D. Crozes,
La Fille de La Ramière, 1998, 23.)
● Suivi d’un adj. ou d’un compl. déterminatif.
24. […] elle travaillait à la vigne, nourrissait volailles, lapins et porcs, cultivait
un jardin dont elle était fière. Vaillante, infatigable, du ramassage des bûches au
plus froid de l’hiver à la vendange sous le cagnard de septembre qui, ici, sait être cruel. (M. Rouanet, Petit Traité romanesque de cuisine, 1997 [1990], 182.)
25. Le monument aux morts était tout au bout de l’avenue Gambetta et le défilé se faisait
en fin de matinée sous un cagnard impitoyable. (M. Fillol, Petites Chroniques des cigales, 1998, 84.)
II. 〈Indre-et-Loire, Eure-et-Loir, Loir-et-Cher, Loiret〉 vieilli "petit réchaud ou fourneau alimenté par de la braise récupérée dans la cheminée et
par de la charbonnette*".
26. Elle ne faisait jamais de feu. Quelquefois, elle venait chercher une pelle de braise
chez la Pauline, pour mettre dans son cagnard. (Cl. Courchay et G. Arnoult, Une petite maison avec un grand jardin, 1980, 44.)
□ Dans un commentaire métalinguistique incident.
27. Il existait enfin de petits réchauds portatifs, à charbon de bois également, dits
cagnards ou cagnas. (A. Morin, M.-R. Simoni-Aurembou, Le Perche à table, 1992, 21.)
◆◆ commentaire.
I. Attesté en français dep. 1460 (caigniart "réduit, abri misérable" Greban, Actes des Apôtres, TLF) et entré dans les dictionnaires avec Cotgr 1611 (cagnard), le mot est d’origine incertaine. Enregistré dans les dictionnaires généraux contemporains
comme diatopisme (GLLF « dans le Midi » ; TLF « région. (Provence et Languedoc) » ; Rob 1985 « régional […] En Provence et en Languedoc » ; NPR 1993-2000 « région. » ; Lar 2000 « région. (Midi) »), cet archaïsme est en effet principalement en usage aujourd’hui dans le français
de Provence et du Languedoc. S’il est connu ailleurs, il n’y est employé que de manière
occasionnelle (cf. ColinArgot 1990 et CellardRey 1991, lequel indique « peu usuel » dans le français non conventionnel)a.
II. Attesté dans le français de Touraine, où le mot a toujours vécu, dep. 1843 (Balzac,
La Rabouilleuse, v. Pignon FrMod 14, 266 et Frantext), ce sens est relevé aussi, à la fin du 19e et au début du 20e s., en Normandie, Maine, Maine-et-Loire et dans le Centre (ainsi dans l’Indre-et-Loire
« le petit cagnard de fonte rempli de braise rouge » R. Morin, Mélie Buttelière, 1926, 25) ; il s’articule sur frm. cagnard "fourneau de cirier" (dep. 1751, Enc, v. FEW). Enregistré par LittréSuppl (citant MoisyNomsFamille, 52
« nom, en Normandie, du réchaud »), il est absent de GLLF et de Rob 1985 ; TLF le prend en compte, mais sans marque
d’usage ni exemple.
a On notera aussi quelques exemples, glanés dans la langue des chroniqueurs sportifs :
« Le terrain, à ce moment-là, était devenu une fournaise sous l’effet – Thierry Roland
l’a aussitôt noté – d’un “véritable cagnard” […] » (Le Monde, 20 juin 1994, 24) ; « […] cette équipe [de football] mexicaine qui a souffert sous le cagnard » (Le Monde, 27 juin 1998, 7) ; « […] un sidérant contre-la-montre sous le cagnard » (Le Monde, 15 juillet 1999, 15) ; « Le Tour [de France] n’est jamais plus beau qu’avec un franc cagnard » (Le Journal du dimanche, 18 juillet 1999, 14).
◇◇ bibliographie. (I) Sauvages 1756 « Les Français n’ont pas de nom propre pour rendre cagnar » ; RollandGap 1810 ; BurnsDaudet ; MichelDaudet ; PuitspeluLyon 1894 ; VachetLyon
1907 « assez rarement employé » ; JoblotNîmes 1924 ; BrunMars 1931 ; ALMC 12* « (se mettre) au ’cagnard’ […] Cette expression signifie "se mettre en un coin ensoleillé", notamment quand il fait un vent froid » ; NouvelAveyr 1978 (seulement au sens I.1.) ; GermiLucciGap 1985 « très vivant » ; BouvierMars 1986 ; MartelProv 1988 ; BlanchetProv 1991 ; CampsLanguedOr 1991 ;
MazaMariac 1992 ; ArmanetBRhône 1993 ; FréchetMartVelay 1993 ; FauconHérault 1994 ;
PovArmCamarg 1994 ; CovèsSète 1995 ; FréchetAnnonay 1995 ; GermiChampsaur 1996 ; MazodierAlès
1996 ; FréchetDrôme 1997 ; ArmKasMars 1998 ; MartelBoules 1998 ; BouisMars 1999 ;
MoreuxRToulouse 2000 s.v. cagnas « la variante cagnard est assez répandue [au sens I. 2], jusque chez les jeunes » ; FEW 2, 185a, *cania. – (II) EudelBlois 1905 ; BarbeLouviers 1907 ; RougéTouraine 1931 ; FEW 2, 185b, *cania.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I) Alpes-Maritimes, Gard, Hérault, Lozère, 100 % ; Var, 80 % ; Hautes-Alpes, Aude,
75 % ; Bouches-du-Rhône, 60 % ; Alpes-de-Haute-Provence, Vaucluse, 50 %. (II) Indre-et-Loire, 100 % ; Loir-et-Cher, 50 % ; Eure-et-Loir, 30 % ; Essonne, Loiret,
Seine-et-Marne, Val-d’Oise, 0 %.
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