chéneau ou cheneau n. m.
〈Moitié est de la France (sauf l’Alsace et l’est de la Moselle)〉 usuel "conduit semi-cylindrique situé à la partie inférieure d’un toit pour recueillir les
eaux de pluie et les conduire au tuyau de descente ; par méton. tuyau de descente". Stand. gouttière. Synon. région. dalle*, gargouille*. – La lessiveuse d’eau qui était toujours sous le chéneau (P. Arnoux, Un village gros comme ça, 1986, 20). Eaux de pluie descendant des chéneaux (P. Fohr, Les Vergers de Morhange, 1986, 27). L’eau du chéneau (L. Semonin, La Madeleine Proust, 1990, 185).
1. Malgré leur aplatissement sous la lumière, les toits jouaient autour des faîtages,
des chéneaux, des gênoises […]. (J. Giono, Le Hussard sur le toit, 1951, 116.)
2. Ils avancèrent lentement, à quatre pattes sur le toit. Une fois au bout, ils se couchèrent
à plat ventre, la tête au ras du chéneau. (B. Clavel, La Maison des autres, 1991 [1962], 142.)
3. Le vent mourant miaulait encore de loin en loin en frôlant du flanc le chéneau du toit, mais, déjà il n’avait plus la force de soulever la tôle déclouée sur la
cabane aux outils. (B. Clavel, Le Tambour du bief, 1970, 270.)
4. […] certains quartiers fort peuplés de telle ville de la banlieue de Saint-Etienne
étaient encore, en 1925, arrosés par les eaux usées que les cheneaux déversaient joyeusement au ras des trottoirs… (M. Gonon, La Vie familiale au Moyen Âge, ca 1970, 4.)
5. Apparition [en 1931] des bottes (à l’imitation des ouvriers agricoles polonais) ; des chénaux aux toits ; des chaises, à côté des bancs. (M. Gonon, « État d’un parler franco-provençal dans un village forézien en 1974 », dans Ethnologie française 3, 1973, 278.)
6. L’hiver est solidement installé. / Les maisons ont froid et, tout au long des chéneaux, pendent des doigts de glace que le jour ne parvient pas à fondre. (L. Pralus, Mon village sous l’hiver, 1978, 33.)
7. Pendant toute une nuit, une pluie battante avait tambouriné sur les toits et chanté
dans les chéneaux. (J.-L. Clade, La Vie des paysans franc-comtois dans les années 50, 1988, 109.)
8. Silencieusement, ils appuyaient une échelle contre le chéneau, grimpaient sur le toit, hissant avec eux la longue branche de hêtre, progressaient
jusqu’à la cheminée, dans le conduit de laquelle ils engageaient le « mai ». (J.-L. Clade, La Vie des paysans franc-comtois dans les années 50, 1988, 159.)
9. Avec un bruit de cascade, l’eau dévalait les tuyaux de descente des chéneaux trop remplis. (P. Arnoux, Les Loups de la Mal’Côte, 1991, 88.)
10. […] les gouttes tombaient toujours des chéneaux en creusant de petits cratères à la lisière de la dalle de béton […]. (J.-J. Salgon,
07 et autres récits, 1993, 77.)
11. […] un individu dégradant, à l’aide d’un bâton, des panneaux d’information, auvent
et autres chénaux d’évacuation d’eau. (Le Dauphiné libéré, 12 novembre 1993, 6.)
12. La neige est en train de fondre, et de partout l’eau ruisselle et gargouille. Par
un chéneau crevé, elle tombe du toit de la grange, et répandue dans la cour, renvoie une lumière
aveuglante. (Ch. Juliet, Lambeaux, 1995, 63.)
13. Le chéneau de zinc qui surplombait l’entrée lâcha alors un paquet d’eau, comme si le métal venait
juste de céder sous la pression. (R. Wallet, Portraits d’automne, 1998, 57.)
14. Une voiture a été endommagée, rue Blum à Belfort, par la chute d’un chéneau. Mais […] le coup de vent d’hier n’a fait aucune victime. (L’Est républicain, éd. Belfort, 13 décembre 1999, 254.)
15. De grosses gouttes d’une pluie tiède tombent dru, font chanter les chénaux. (J. Mallouet, Les Jours chiffrés, 1999, 170.)
16. Les plus chers [trottoirs] à mon cœur sont ceux où j’ai joué […] et dont je connaissais
toutes les particularités, les chenaux, les bateaux, les cassures, les parallélépipèdes de granit ou de basalte qui les bordaient
[…]. (M. Rouanet, Dans la douce chair des villes, 2000, 38.)
V. encore s.v. bouille, ex. 10.
— En alternance avec gouttière.
17. – […] Hyacinthe est sur son toit pour réparer les chéneaux. Et je te rampe, et je m’accroche aux tuiles pour remplacer les vieilles gouttières.
(H. Lesigne, Un garçon d’Est, 1995, 196.)
18. Les gouttières de la ruelle se riaient de nos parapluies, les chéneaux des toitures débordaient en un vacarme assourdissant. (P. Magnan, Un grison d’Arcadie, 1999, 218.)
● la raie des fesses (ou terme du même paradigme) me/te/lui etc. sert de cheneau loc. phrast. pop. "(pour signifier qu’on est trempé de pluie ; pour signifier une grande frayeur et l’une
des manifestations physiques qu’elle peut entraîner)".
19. Et c’est là que la raie des miches commence à me servir de cheneau. Me voici inondé de sueur, tout soudain, pis que si j’avais plongé tout habillé dans
la Seine. (San-Antonio, Cocottes-minute, 1990, 128.)
■ morphologie. 〈Jura, Haute-Savoie, Ain, Loire (Pilat), Isère (spor.), Drôme, Ardèche, Languedoc oriental, Pyrénées-Orientales, Auvergne.〉 Emploi du mot comme n. f. Il faut que je fasse changer mes cheneaux, elles sont percées (PotteAuvThiers 1993). C’est vrai que les cheneaux d’aujourd’hui sont moins résistantes que celles d’autrefois
(FréchetAnnonay 1995). La cheneau déborde (LaloyIsère 1995).
■ graphie. Il est possible que la graphie chéneau soit due, dans certains des exemples ci-dessus, à un souci de correction typographique.
La forme chénau/chenau (v. ci-dessus ex. 5, 11, 15-16 et ci-dessus n. e) est moins fréquente.
◆◆ commentaire. Attesté dep. le 15e siècle en français de Suisse romande (1429 chinaulxa pl. ; 1462 chenaulx pl., GPSR) – et représentant une couche française archaïque, exogène même si elle est ancienne,
sur tout le domaine originellement frpr. et occ. –, mfr. fr. chéneau est enregistré dans les dictionnaires français dep. Rich 1680 sous la forme chéneau (« terme de plombier »). De nos jours, les dictionnaires généraux le donnent sans marque, en signalant toutefois
la var. cheneau f. comme un régionalisme de Suisse romande (Rob 1985 « on écrit aussi cheneau » ; Lar 2000). Il est un avatar de chenal, le [e] initial (et peut-être la finale ‑eau, au lieu de ‑au attendu) étant dû à l’influence de fr. chêne, en raison peut-être du matériau souvent employé autrefois à cet usage (on n’a pas
manqué de confondre, sous la même graphie chêneau "gouttière" et "jeune chêne", ainsi Trév 1771, mais Ac 1778 distingue bien chéneau et chêneau ; cf. SchneiderRézDoubs 1786)b. C’est précisément pour une variante de prononciation (encore que l’indication cheneau soit parfois ambiguë : [ʃəno] ou [ʃno] ?)c, habituellement doublée d’une variante morphologique (f. au lieu de m.), qu’un bon
nombre de relevés régionaux signalent aujourd’hui ce terme.
Mais si l’on y prend garde, ces données, qui attestent ainsi l’usage de ce type lexical,
forment une vaste aire homogène, que renforcent les attestations littéraires tirées
des dictionnaires généraux (M. Tinayre [née à Tulle], GLLF ; J. Renard [Nièvre], Rob 1985 ;
A. Theuriet [Meurthe-et-Moselle], TLF), de la base Frantext (Balzac, Goncourt, Erckmann-Chatrian, Ramuz, Genevoix, Bernanos, Bourget, Pesquidoux,
Van der Meersch, Cendrars, Clavel), de la documentation DRF (dont sont tirés la plupart
des exemples cités ci-dessus), sans oublier les données dialectales (FEW et atlasd). Dans quasiment toute la moitié ouest de la France, on ne voit pas que le mot appelle
de remarques sur sa prononciation ou son genre grammatical : c’est pour la bonne raison
qu’il n’y est pas d’usage courante et, dès lors, les relevés des lexicographes régionaux concernant cheneau attestent moins des régionalismes qu’un subrégionalisme. On est ainsi fondé à penser
que chéneau et ses variantes constituent un ensemble qui, malgré son importance et la caution
des dictionnaires de référence, est bien loin de représenter un usage général et doit
être assorti d’une marque diatopiquef, qui est, pour partie sa marque d’origineg : il s’étend, autant qu’on puisse l’entrevoir en l’absence d’une enquête d’ensemble,
sur une vaste aire est, avec prolongements en Belgique (PohlBelg 1950 ; cf. ALW 4,
51) et en Suisse romande (Lengert 1994 ; DSR 1997). Cet ensemble est socialement stratifié :
chéneau, parfaitement légitime (et légitimé par la lexicographie de référence), mais néanmoins
diatopisme réel, est le plus usuel (avec la variante comtoise [ʃɛː], v. n. b) ; cheneau, vieille prononciation française (cf. LeDuchat 1750 « Les Messins écrivent ce mot cheneau », cité par FréchetAnnonay) qui passe pour standard (BonnaudAuv) est plus populaire ;
cheneau f., forme française et genre probablement dialectal (c’est l’inverse dans certains
parlers de l’ALLy), qui se corrige et est pop. ; enfin la chanau, emprunt (dep. Mège 1861) au substrat dialectal et aujourd’hui (BonnaudAuv 1976) probablement
en voie d’extinction.
Quant à la loc. phrast. illustrée ici par l’ex. 19, elle semble un archaïsme encore
en usage dans diverses régions (v. ici n. f ; DuraffVaux 1941 s.v. abonder ; et les équivalents patois dans GPSR et BecquevortArconsat 1981), attesté dep. 1609
(« Qui pis est, il pleuvoit d’une telle maniere Que les reins par despit me servoient
de goutiere » Mathurin Régnier, Œuvres complètes, Paris, Didier, 1958, 150), 1610 (« ce berger auquel en temps de pluye la raye du cul seruoit de goutiere » Béroalde de Verville, Le Moyen de parvenir, fac-similé, par H. Moreau et A. Tournon, Marseille, 1984, 33), 1612 (« le plus souuent aux femmes de Paris la raye du cul leur sert de goustiere » Bruscambille, Les Fantaisies, Lyon, 1618, 286)h et dans Oudin 1640 (non trouvé dans FEW).
a Dans chinaulx, le i est une adaptation propre à la zone frpr., du schwa français (cf. GardPhon et Chambon
MélMartin).
b Cette graphie se retrouve, par exemple, à la nomenclature française de BlochLex 1915
(qui emploie chéneau dans la métalangue : « L’endroit légèrement en saillie d’où l’eau tombe d’un toit quand il n’y a pas de chéneaux », « L’eau qui tombe d’un toit sans chéneaux ou par les trous d’un chéneau endommagé » s .v. gouttière. Les graphies correspondent à la prononciation de la Haute-Saône avec une longue dans
l’initiale (même chose pour le Doubs, cf. BoillotGrCombe 1929).
c Noter aussi les indications moins fréquentes chèneau (FleischJonvelle 1951 ; déjà en 1812 chaineau, ChambonHSaône 1989) et « chaîneaux percés » (G. Chovrelat, Abécédaire de guerre, 2000, 114).
d Cf. la carte ‘chéneau’ dans ALB 1396, ALFC 892, ALJA 1075, ALLOc 848, ALLOr 974, ALLR 357, ALLy 688 et ALMC
671, lequel indique en marge : « En français local on dit “la chœno” ».
e Tel contre-exemple peut s’expliquer par un recours à l’usage considéré standard :
« – Ce sont les feuilles qui ont bouché les chenaux, dit madame Salmon, les descentes n’évacuent plus ! » (J. Failler, Le Manoir écarlate, 1996 [1994], 208). Interrogé sur l’usage de ce terme, l’auteur quimpérois a répondu
par courrier du 29 septembre 1998 qu’il s’agissait simplement d’une « double coquille » pour chéneaux. V. encore « un bout de chéneau » (P. Moinot, Le Matin vient et aussi le soir, 1999, 182).
f On laisse ici de côté les formes achenal et achenau (v. RézeauOuest 1984, qui donne aussi, pour la Vienne, la loc. phrast. il mouillait* tellement que la raie du cul lui servait d’achenau) ; bien qu’appartenant au même type lexical, elles en constituent une variante particulière,
de diffusion beaucoup plus faible.
g V. Baldinger RLiR 21, 79, n., qui cite BlWb pour lequel le mot vient d’un « parler central ou oriental ».
h Attestations communiquées par P. Enckell.
◇◇ bibliographie. SchneiderRézDoubs 1786 ; MègeClermF 1861 chanau, achanau f. ; GuilleLouhans 1894-1902 chéneau (définissant de écheneau) ; FertiaultVerdChal 1896 chêneau, dans la définition de écheneau ; VachetLyon 1907 chéneau, dans la définition de chanée ; DauzatVinz 1915, § 4569 chéneau (comme définissant) ; LarocheMontceau 1924 chéneau (définissant écheneau) ; BoillotGrCombe 1929 ; DuraffHab 1935, 137 « en français local, “la chenô” ["gouttière horizontale"] » ; DuraffVaux 1941 ch(e)nô n. f. "chéneau, chenal, tuyau de descente" ; DuraffGloss, § 1175, 1379, 2403, 5143 dans la métalangue des articles mentionnés
à l’index, mais l’index porte cheneau ; FleischJonvelle 1951 chèneau ; ZumthorGingolph 1962, 256 chenô f. ; VincenzCombeL 1974, 28 cheneau (comme équivalent régional du patois) ; CrouvChampagne 1975 chéneau (définissant de chanlatte) ; DuprazSaxel 1975 chéneau pour définir shno ; BonnaudAuv 1976 cheneau, chanau f. (noter la définition "cheneau, masculin en français [stand.])" ; DelortStClaude ca 1977 cheneau f. ; NouvelAveyr 1978 cheneau, dans la définition de canal ; DuraffHJura 1986 « cheneau n.f. régionalisme inconscient, prononc. ch’nô » ; MartinPilat 1989 cheneau f. « usuel à partir de 20 ans » ; CampsLanguedOr 1991 cheneau f. ; CampsRoussillon 1991 cheneau m. « très souvent, on entend la cheneau » ; TavBourg 1991 « échenau n. m. chéneau […] synon. chaînau » ; FaraçaVans 1992, 39 le cheneau pour gloser occ. l’achanau ; FréchetMartVelay 1993 cheneau f. « usuel » ; PotteAuvThiers 1993 cheneau f. ; TamineChampagne 1993 chéneau (comme définition de chanlate) ; FréchetAnnonay 1995 cheneau f. « usuel » ; LaloyIsère 1995 cheneau f. ; MartinLorr 1995, 18 chéneau comme définissant de chânate ; RobezMorez 1995 cheneau f. ; SalmonLyon 1995 cheneau m. ; ValMontceau 1997 chenau m. « fortement concurrencé par le fr. standard moderne chéneau » ; FréchetDrôme 1997 cheneau f. « usuel » ; DSR 1997 ; DufaudLLouvesc 1998 chéneau (dans la nomenclature française) ; ChambonÉtudes 1999, 20, n. 1 et 217 ; FEW 2, 168b-169a, canalis (où chéneau/cheneau n’apparaît que comme définissant et non comme terme de « nfr. »).
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (cheneau f.) Ardèche, Drôme, Haute-Loire, 100 % ; Pyrénées-Orientales, 80 % ; Loire, 75 % ;
Rhône, 30 % ; Isère, 20 %.
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