tourte n. f.
I. 〈Basse Bretagne, Normandie, Indre (sud), Cher (sud), Allier, Saône-et-Loire (sud-ouest),
Ain, Rhône, Loire, Drôme, Ariège, Haute-Garonne, Tarn, Tarn-et-Garonne, Lot, Aveyron,
Ardèche, Haute-Loire, Puy-de-Dôme, Cantal, Limousin, Dordogne, Gironde〉 rural, souvent vieilli "gros pain de forme ronde ou ovale, de fabrication artisanale". Tourte de seigle (FréchetMartVelay 1993 ; FréchetAnnonay 1995), de pain de seigle (A. Yzac, Le Dernier de la lune, 2000, 18) ; tourte de pain bis (J. Mallouet, De mes montagnes, 1997, 41) ; tourte de pain dur (M. Chaulanges, Le Roussel, 1972, 67) ; tourte paysanne (J. Jaussely, Deux saisons en paradis, 1979, 106). Tourte de 12 livres (J. Le Povremoyne, Ma Grand’mère paysanne, 1991 [1954], 111) ; tourte de seigle de douze livres (J.-Cl. Boulard, L’Épopée de la sardine, 2000 [1991], 36). Tourtes rondes et dorées (M. Massalve, Marie du fond du cœur, 1998, 53).
1. – Apporte un fromage de chèvre, Julie… et du pain de la petite « tourte »… (J.-L. Boncœur, Le Moulin de la vieille morte, 1988 [1955], 163.)
2. Sortis de la grande maiea, les énormes pâtons qui deviendront les tourtes étaient mis à lever dans un endroit tiède. (R. Béteille, La Vie quotidienne en Rouergue avant 1914, 1973, 101.)
a Il s’agit du pétrin ; entre les fournées de pain, le pétrin était parfois utilisé
comme huche à pain, comme c’est le cas ici dans l’ex. 2.
3. […] le pépé sortit d’une maie la moitié d’une tourte de huit livres et, la calant contre son estomac, il y coupa de larges tranches de
pain bis. (R. Sabatier, Les Noisettes sauvages, 1983 [1974], 24.)
4. […] Antonine posait sur la table la tourte entamée, du lard cuit, du beurre, du fromage et un couteau. (J. Anglade, Jean Anglade raconte, 1975, 129.)
5. Le boulanger pèse la tourte et, avec son grand couteau, il prélève ailleurs un morceau qu’il ajoute pour faire
le poids. Ce morceau, il le pose délicatement sur la tourte et aussitôt il lève les deux mains pour bien montrer qu’il ne touche pas le plateau,
qu’il donne un poids juste et même un peu fort. (P.-J. Hélias, Le Cheval d’orgueil, 1975, 333.)
6. Les tourtes […], elles faisaient au moins cinq kilos […]. (Témoignage recueilli par A. Merlin
et A.-Y. Beaujour, Les Mangeurs de Rouergue, 1978, 54.)
7. Avant d’entamer un si bon pain, le père Laforgue traçait une croix sur la tourte, comme il était d’usage. (Chr. Signol, Antonin Laforgue, paysan du Causse, 1897-1914, 1981, 50.)
8. Il fallait une capacité masticatoire éprouvée pour venir à bout de la dernière de
ces tourtes, mais quel régal que ces croûtons rassis dans une plantureuse soupe au fromage ! (R. Béteille,
Souvenirs d’un enfant du Rouergue, 1984, 49.)
9. Elles payaient, ramassaient leur tourte et la pesée : « Jusqu’à ! » [= à la prochaine !] disaient-elles en tournant les talons […]. (A. Anne, Victorine ou le Pain d’une vie, 1985, 70.)
10. Une maie qui servait à pétrir le pain ; et au-dessus, pendu au plafond, le tourtier où, comme son nom l’indique, s’alignaient les tourtes. (D. Bayon, Au flanc de ma colline, 1995, 16.)
11. Dans la tourte prise dans un tiroir, il se tailla un chanteau et mangea une portion de boudin noir
[…]. (H. Noullet, La Falourde, 1996, 110.)
12. […] mon grand-père travaillant jusqu’à l’heure du « quatre heures ». On s’asseyait alors à l’ombre d’une haie, et il ouvrait sa musette. […]. Il posait
sur l’herbe le pain, le fromage, le saucisson, la bouteille de vin, coupait la tourte avec son couteau, me tendait un morceau, puis une rondelle que je commençais à manger,
tandis qu’il se servait lui-même […]. (Chr. Signol, Bonheurs d’enfance, 1998 [1996], 21.)
13. Taillée dans du chêne massif par Joseph, le menuisier du village, la table ouvre son
grand tiroir sur une tourte cuite à point, à peine entamée et qui propose une mie de couleur bise, appétissante.
(M. Bénézit, La Voix des chaumières, 1999, 27.)
— Au sing. à valeur générique.
14. La tourte reste un classique des campagnes creusoises et corréziennes. Certains boulangers
poussent l’intégrisme jusqu’à ne pas mettre la classique levure de bière dans leur
pâte et à laisser celle-ci fermenter sous l’influence du seul levain contenu à l’état
naturel dans la farine […]. (Le Monde, Supplément, 13 juillet 2000, XI.)
— Dans le syntagme tourte de pain. Tourtes de pain, grandes comme la roue d’une brouette (M. Massalve, Marie du fond du cœur, 1998, 70).
15. Poser la tourte de pain à l’envers sur la table portait malheur ou révélait que l’on avait mal gagné ce pain.
(Chr. Signol, Antonin Laforgue, paysan du Causse, 1897-1914, 1981, 17.)
16. Il pose la petite tourte de pain sur la table avec la plaquette de beurre de la coopérative. (J. Le Clerc de La Herverie
et B. Aubin, Porkopolis, 1984, 47.)
17. J’aimais l’accompagner dans ses courses, surtout lorsqu’elle allait chez « Babille » chercher deux tourtes de pain. (J.-L. Chantelauze, Monsieur le Curé dans ses campagnes, 1994, 68.)
18. J’ai eu pitié d’elle [une gitane], je lui ai donné une tourte de pain frais et elle a bien voulu me tirer les cartes. (P. Louty, Le Secret de Catherine, 1999, 360.)
V. encore s.v. boge, ex. 11 ; frotte, ex. 6.
□ En emploi métalinguistique.
19. […] en Auvergne la miche de pain s’appelle la « tourte » […]. (Détours en France, n° 1, mai 1991, 54.)
— En composition demi-tourte n. f. "pain dont le poids est la moitié de celui de la tourte". Une demi-tourte de pain rassis (G. Bordes, Le Porteur de destins, 1997 [1989], 99).
20. […] il trouva sa femme occupée à couper la soupe : à détacher de la demi-tourte des tranches larges et plates comme des hosties, à les empiler dans le bol jusqu’aux
deux-tiers de la hauteur, pour qu’elles puissent ensuite gonfler abondamment dans
le bouillon brûlant, se ramollir et fondre enfin sur la langue. (J. Anglade, Un front de marbre, 1970, 73.)
21. – Une demi-tourte de pain : il est bis, peut-être que vous n’avez pas l’habitude… (R. de Maximy, Le Puits aux corbeaux, 1996 [1994], 68.)
— En alternance avec miche et pain.
22. Avant de couper la miche, ma mère ne manquait pas de tracer un signe de croix sur
la tourte. Ce geste marquait avant tout sa piété. Mais en jouant, il nous arrivait de poser
la tourte du mauvais côté, face au ciel. Malheur à nous ! Notre mère se précipitait pour retourner
la miche : « Ne savez-vous pas que le Bon Dieu défend de poser le pain du mauvais côté ? Je vous
défends de le faire ! C’est un péché de se moquer du Bon Dieu qui nous a donné du
pain pour notre nourriture principale. » (J. Ropars, Au Pays d’Yvonne, 1993 [1991], 199.)
II. [Pâtisserie]
1. 〈Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Atlantiques〉 "gâteau de pâte feuilletée très fine, comprenant des morceaux de fruits (pommes, poires
ou pruneaux)". Synon. de croustade*, pastis*, tourtière* (au sens 2). Voir s.v. tourtière, ex. 8.
2. 〈Hautes-Pyrénées〉 "gâteau de pâte levée, à texture moelleuse, à mie jaune pâle, souvent parfumé à l’anis". Synon. région. millas* (au sens 3), pastis* (au sens 1), tourtière* (au sens 3).
23. Le repas [dans les Hautes-Pyrénées] se terminera par une tourte parfumée à l’anis, ou par le cèlèbre gâteau* à la broche, cuit lentement au feu de bois et accompagné de crème à la vanille. (Guide Bleu. Midi-Pyrénées, 1989, 121.)
◆◆ commentaire. Attesté dep. l’afr. (ca 1200, Chanson des Aliscans, TLF), tourte a désigné divers pains et pâtisseries (FEW 13/2, 109b, torta). Il s’est conservé jusqu’à nos jours où le français de référence l’enregistre dans
un seul sens non marqué "croûte en pâte, brisée ou feuilletée, garnie de fruits, de légumes, de viande, etc.". Les sens ici analysés, sortis de l’usage à la fin du 18e siècle, ne sont plus employés que dans certaines aires.
I. est caractéristique de deux aires : Normandie-Bretagne et une très large partie centrale
de la France méridionale. Cet usage est enregistré dans Littré (« dans quelques provinces ») et dans les dictionnaires généraux contemporains : GLLF « dans certaines régions » ; Rob 1985 et NPR 1993-2000 « régional » ; TLF « région. (notamment Sud de la Loire) », citant R. Sabatier, ici ex. 3).
II. attesté dep. 1756 dans le français d’Alès pour désigner une pâtisserie (« une tarte qu’on fait à la crème, à la franchipane, &c. & non une tourte qui est une autre espèce de pâtisserie. Voy. Croûstado » Sauvages 1756 s.v. toûrto) est un aujourd’hui un archaïsme conservé dans quelques airesa et principalement dans le Sud-Ouest. Les emplois ici analysés ne sont pas accueillis
dans les dictionnaires généraux contemporains.
a Relevé dans le français de Suisse romande (« Suisse. Gros gâteau ; gâteau d’anniversaire » Lar 2000).
◇◇ bibliographie. (I) VillaGasc 1802 ; PomierHLoire 1835 ; ConnyBourbR 1852 ; MègeClermF 1861 (citant
un texte de 1393) ; JaubertCentre 1864 tourte "environ 25 livres", demi-tourte "de 12 à 15 livres" ; MoisyNormand 1887 "de six ou neuf kilogrammes" ; MazeHavre 1903 « dans le Roumois, c’est le nom du pain de six kilos » ; GononForez 1961, p. 173 « un gros ‘pain rond’, […] la tourte, en français local » ; NouvelAveyr 1978 « courant » ; LepelleyBasseNorm 1989 et LepelleyNormandie 1993 "pain de 12 livres" ; BrasseurNorm 1990 id. ; BoisgontierAquit 1991 (Dordogne) ; TavBourg 1991 (sud-ouest de la Saône-et-Loire)
« assez vivant » ; BoisgontierMidiPyr 1992 (Aveyron, Lot) ; ChaumardMontcaret 1992 ; MazaMariac 1992
avec un exemple renvoyant au passé ; VurpasMichelBeauj 1992 « Beaujolais viticole, connu au-dessus de 20 ans, inconnu au-dessous. Haut-Beaujolais,
usuel au-dessus de 60 ans, en déclin rapide au-dessous » ; DubuissBonBerryB 1993 ; FréchetMartVelay 1993 « usuel » ; VurpasLyonnais 1993 « bien connu » ; FréchetAnnonay 1995 « usuel » ; FréchetDrôme 1997 ; FréchetMartAin 1998 « globalement attesté » ; MichelRoanne 1998 ; ALMC 1126. – (II) Sauvages 1756 ; VillaGasc 1802 ; LarGastr 1938 « il est aussi des tourtes d’entremets de sucre. Ces dernières ne sont en réalité que
des flans ou des tartes » ; MartinAoste 1984 ; BoisgontierAquit 1991.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I) Ardèche, Ariège, Aveyron, Corrèze, Dordogne, Drôme, Loire, Haute-Loire (Velay),
Lot, Haute-Vienne, 100 % ; Creuse, 90 % ; Haute-Garonne, 75 % ; Côtes-d’Armor, Rhône,
Tarn, Tarn-et-Garonne, 65 % ; Gironde, 60 % ; Basse-Normandie, 55 % ; Morbihan, 50 % ;
Lot-et-Garonne, 40 % ; Isère, 20 % ; Finistère, 15 % ; Ain, Gers, Landes, Pyrénées-Atlantiques,
Hautes-Pyrénées, 0 %. (II.2) Hautes-Pyrénées, 100 % ; Landes, 35 % ; Gironde, 10 % ; Gers, Lot-et-Garonne, 0 %.
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